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Yeux et oreilles grands ouverts

Paris
Palais Garnier
09/09/2015 -  et 11, 12, 14, 17, 20, 23, 27, 29 septembre, 3, 6, 8 octobre 2015
Jean-Philippe Rameau : Platée
Frédéric Antoun (Thespis), Alexandre Duhamel (Un satyre, Cithéron), Florian Sempey (Momus), Julie Fuchs (Thalie, La Folie), Armelle Khourdoïan (L’Amour, Clarine), Philippe Talbot (Platée), François Lis (Jupiter), Julien Behr (Mercure), Aurélia Legay (Junon)
Chœur des Musiciens du Louvre-Grenoble, Nicholas Jenkins (chef de chœur), Orchestre des Musiciens du Louvre-Grenoble, Marc Minkowski (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, costumes), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières), Laura Scozzi (chorégraphie), Agathe Mélinand (dramaturgie)


(© E. Bauer/Opera national de Paris)


Disons-le d’emblée, cette reprise de Platée à Garnier tient ses promesses et on passe un excellent moment. La mise en scène est certes connue, mais elle n’en garde pas moins sa drôlerie et sa justesse. On plonge littéralement dans le marais de Platée à la rencontre des batraciens tantôt drôles, tantôt inquiétants. En émaillant les passages instrumentaux de saynètes à la limite de la bouffonnerie, Laurent Pelly inscrit résolument l’opéra dans une tradition comique. Le chef se prête volontiers au jeu, allant jusqu’à accepter d’être remplacé par un batracien géant pour le prologue du troisième acte. Les danseurs et le chœur participent très volontiers à cette grande farce: ils s’amusent et nous aussi!


On aurait cependant tort de s’arrêter à cette apparente comédie. Si Rameau utilise avec habileté l’humour, c’est d’abord pour traiter de sujets plus difficiles et pour masquer la cruauté profonde de l’histoire. Les dieux de l’Olympe s’amusent aux dépens des mortels mais aussi des dieux qui, comme Junon, cèdent à l’hubris de la jalousie. On accepterait que les excès de la souveraine des dieux soient moqués, afin de livrer «au ridicule une éternelle guerre» (Prologue). Hélas, cela se fait en usant et abusant de la naïveté de la pauvre nymphe, un peu imbue d’elle-même et emplie d’aspirations sociales. Mais, comme le dit Momus dans le Prologue, « la raison dans l’Olympe est souvent hors d’usage», laissant la voie libre à la médiocrité et à la faiblesse de nos humeurs. La mise en scène de Laurent Pelly joue parfaitement sur cette ambiguïté.


Philippe Talbot incarne une Platée soupirante et hésitante, plus débonnaire que naïve. Dès le premier acte, il manifeste une certaine incrédulité, douloureuse anticipation, qui ne cessera de grandir au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire. Sur le plan musical, on apprécie la voix juste et ample de ce ténor, indéniablement à l’aise dans les parties les plus hautes de la partition comme dans les registres plus graves. On pourrait, à la rigueur, regretter qu’il n’accentue pas plus certaines onomatopées dans les deuxième et troisième actes comme il le faisait dans le premier acte. Mais cette évolution est pertinente: le batracien du début laisse peu à peu la place à la nymphe qui prend conscience du tour qu’on lui joue. Sa colère finale est loin d’être feinte même si, à ce moment, il est dommage que Philippe Talbot privilégie le jeu (au demeurant très convaincant) au chant.


Il est accompagné dans cette constante valse entre burlesque et gravité par un Mercure à la limite du diabolique et un Jupiter d’une hypocrisie manifeste et assumée. Le jeu de scène et la voix – un rien brillante – de Julien Behr, qui campe un Mercure insolent et sûr de lui, sont parfaitement adaptés au rôle. François Lis incarne quant à lui un Jupiter olympien, servi par une voix puissante et profonde: on se laisse volontiers impressionner par son tonnerre. Frédéric Antoun est un très bon Thespis – on aimerait l’entendre plus! Alexandre Duhamel est un Cithéron de bonne facture qui, s’il apparaît un peu falot au départ, se bonifie progressivement. En revanche, Momus peine à convaincre: Florian Sempey manque de coffre et reste souvent couvert par l’orchestre ou par ses partenaires. Armelle Khourdoïan en Amour et Clarine est, quant à elle, absente, tant vocalement que scéniquement.


Mais la révélation de cette soirée a été, sans conteste, une Julie Fuchs étourdissante dans le rôle de la Folie. Dotée de capacités vocales remarquables, elle embrase la salle. Pétillante, incisive, agressive mais aussi mélancolique, désespérée et mutine, elle virevolte d’une mesure à l’autre, joue avec la salle et avec le chef. Marc Minkowski est sous le charme et nous aussi. En plus d’une soprano promise à une glorieuse carrière, on a vu une grande actrice qui incarne parfaitement le rôle et qui y prend un plaisir fou!


L’orchestre, dirigé de main de maître par Minkowski, sert parfaitement la partition. Il lui impose un allant impressionnant au point qu’on se demande parfois s’il ne va pas s’emballer mais il reprend aussitôt les choses en main et redonne la juste impulsion. Une mention particulière aux bois, qui se distinguent par leur clarté et leur densité.


En conclusion, une reprise qu’il faut aller voir les yeux et les oreilles grands ouverts.



Gaspard Favre

 

 

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