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Otello ou Iago ?

Barcelona
Peralada (Théâtre des jardins)
08/01/2015 -  
Giuseppe Verdi: Otello
Gregory Kunde (Otello), Carlos Alvarez (Iago), Francisco Vas (Casio), Vicenç Esteve Madrid (Roderigo), Miguel Angel Zapater (Lodovico), Damián del Castillo (Montano, Héraut), Eva-Maria Westbroek (Desdémone), Mireia Pintó (Emilia)
Cor del Gran Teatre del Liceu, Conchita Garcia (chef de chœur), Orquestra del Gran Teatre del Liceu, Riccardo Frizza (direction musicale)
Paco Azorín (mise en scène, décors), Ana Garay (costumes), Albert Faura (lumières), Pedro Chamizo (vidéo)


(© Miquel González/Shooting)


En donnant l’Otello de Verdi, puis une adaptation traduction de l’original anglais, Peralada anticipe l’année Shakespeare, mort en avril 1616. Avant même que tout commence, un grand portrait du dramaturge apparaît sur le rideau – et l’on pourra plus tard lire deux de ses sonnets. Shakespeare présenté comme l’auteur de Iago, titre initial de l’opéra. Iago, d’ailleurs, s’affaire, non seulement personnage, mais régisseur, metteur en scène, deux fois ordonnateur de la sinistre tragédie.


C’est donc autour de lui que Paco Azorín a conçu sa mise en scène. Un Iago voyou chef de bande plus que figure du mal absolu, souvent en blouson noir, lançant ses démons, qu’il persécute aussi sadiquement, à l’assaut de la conscience du Maure. Les praticables du décor très sobre – seul un lion géant nous rappelle Venise - constituent les murs d’une forteresse prison où Otello se débat telle une bête traquée et du haut desquels Iago contemple son œuvre, ne se séparant jamais de son miroir – miroir de voyeur et de Narcisse, miroir piège également, qui aveuglera le jaloux pris de folie.


Travail efficace, un peu désordonné au premier acte, entre le foisonnement shakespearien et l’épure de la tragédie grecque telle qu’on l’a longtemps conçue, entre la profusion baroque et la sobriété classique. Des images de la mer sont souvent projetées, mer démontée de la tempête, mer déchaînée des passions délétères, qui pourrait être celle de l’Idoménée mozartien, apaisée à la fin quand le couple se rejoint dans la mort.


Vocalement en revanche, Otello et Iago font jeu égal. On savait – ne serait-ce que par la production vénitienne de 2013 captée par Unitel Classica – que Gregory Kunde peut impressionner. Non que la voix de cet ancien Otello... rossinien soit cuirassée de bronze : elle atteint ici ses limites, surtout à 61 ans, et il ne peut incarner un titan brisé. Mais l’art est plus fort que la nature : voici un Otello profondément humain, qui dérive peu à peu vers l’aliénation tout en restant jusqu’à la fin maître absolu de ses moyens vocaux. Pendant que les pseudo-véristes éructent leur folie, le belcantiste sait qu’on peut exprimer les passions les plus violentes en les phrasant, en soutenant la ligne et en galbant le legato, pas seulement dans le monologue du troisième acte – ici un modèle de style. Plus machiavélique, plus fouillé qu’à Salzbourg en 2008, où il paraissait presque bonhomme, Carlos Alvarez assume ici la méchanceté du personnage, assez humain lui aussi – le timbre n’a pas le mordant noir de certaines voix. Et, comme son maître, le baryton espagnol, venimeux ou mielleux, mauvais génie manipulateur, phrase et nuance, grâce à la souplesse d’émission que doit avoir tout vrai baryton Verdi – il ne lâche pas la bride à son « Credo » et cisèle le faux rêve de Cassio.


Eva-Maria Westbroek, en revanche, déçoit : le foyer n’irradie plus, la voix a perdu de sa chair. Restent heureusement le chant, parfois fragile mais toujours stylé, la justesse et la force de l’incarnation : loin d’être un ange désincarné, Desdémone, même vêtue de probité candide et de soie blanche, est une femme qui vibre et qui souffre. Dommage aussi que Riccardo Frizza se montre plus efficace qu’inspiré, peut-être desservi par l’acoustique du Théâtre des jardins. Le souffle de Shakespeare et de Verdi a néanmoins passé sur la soirée, grâce au Maure et à son enseigne maudite. On attend maintenant, l’année prochaine, le trentième anniversaire du festival.



Didier van Moere

 

 

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