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Variations variées

Saintes
Saint-Bris-des-Bois (Abbaye de Fontdouce)
07/27/2015 -  
Girolamo Frescobaldi : Il primo libre di toccate: Cento partite sopra passacagli
Anton Webern : Variations pour piano, opus 27
Ludwig van Beethoven : Sonate pour piano n° 30, opus 109
Johann Sebastian Bach : Variations Goldberg, BWV 988

Cédric Pescia (piano)




Quiconque découvre l’abbaye de Fontdouce, traversée par le ruisseau éponyme (3,2 kilomètres) qui rejoint le Coran, affluent de la Charente, ne peut que tomber sous le charme de ces vieilles pierres entourées de bois et de vignes et, surtout, se dire que ce fut une rudement bonne idée que d’y créer un festival en 1994. Ce site idyllique avait en effet tout pour réussir, avec ses vastes espaces verts permettant aux spectateurs de déguster les paniers-repas préparés par un traiteur local, son jardin à la française, ses bâtiments lentement mais sûrement restaurés, mêlant les périodes romane et gothique, et sa maison de maître édifiée au XIXe. Située aux confins des deux Charentes, sur le territoire de la commune de Saint-Bris-des-Bois, entre Saintes et Cognac, la communauté bénédictine fondée dès 1111, érigée en abbaye royale en 1485, a prospéré puis décliné, comme tant d’autres, au fil des siècles: le site, devenu bien national en 1793, a été racheté au début du XIXe par la famille Boutinet, qui en est toujours propriétaire.


Thibaud Boutinet préside d’ailleurs actuellement le festival, qui a élargi sa palette de styles: le jazz sous toutes ses formes – ainsi, cette année, aussi bien les improvisations Didier Lockwood que les couleurs manouches du groupe Bratsch – est venu compléter le «classique», dont la programmation est assurée depuis 2013 par le pianiste Philippe Cassard. Pour cette vingt-deuxième édition, elle est concentrée en deux journées au déroulement identique. On retrouve d’abord, dès 17 heures, debout derrière l’autel de la chapelle basse, le producteur et présentateur des «Notes du traducteur» sur France Musique: il s’y livre à une introduction accessible au grand public – mais toujours aussi passionnée – des deux concerts de la journée, qui se tiennent à 18 heures puis à 21 heures dans la salle des moines, inaugurée en 2011 (pour les neuf cents ans de l’abbaye) après sept ans de fouilles et de travaux. Des propositions variées, pour ne pas dire disparates, entourent la manifestation: conférence «Musique et architecture à l’époque romantique», spectacle jeune public «Le Rêve de Mr. Jazz», «concert parade» et démonstrations par les sculpteurs des Lapidiales de Port d’Envaux.



C. Pescia (© Uwe Neumann)


Pour le premier concert du premier jour, Philippe Cassard a invité le partenaire de son récent album Schubert paru chez La dolce volta (voir ici), Cédric Pescia (né en 1976). De la part de celui qui a enregistré en 2007 chez Claves un album («Les Folies françaises») mêlant Couperin, Debussy et Messiaen, le parcours de trois siècles exactement qu’il a conçu autour de la variation ne surprend pas mais n’en fascine pas moins par la difficulté technique – d’autant qu’il est donné sans entracte – et par l’ambition artistique. Le choix se révèle néanmoins payant, tant il s’attache à ce que les quatre œuvres dialoguent entre elles, parfois de façon tout à fait inattendue.


Dans les «Cento partite sopra passacagli» du Premier Livre de Toccatas (1637) de Frescobaldi, le pianiste suisse confirme, comme avec Couperin, qu’il aborde sans complexes ni réticences ce répertoire ancien, bastion des clavecinistes: d’une inventivité et d’une modernité sans cesse renouvelée, son jeu n’est pas pour autant infidèle à cette musique à la fois si volubile et versatile. Il se montre tout aussi chaleureux et contrasté dans les Variations (1936) de Webern, alternant attaques implacablement incisives et moments d’une infinie délicatesse, sans omettre quelques épisodes véritablement ludiques. Ces premières minutes sont aussi aussi l’occasion de découvrir l’acoustique du lieu, tout à fait digne des meilleures salles: les voûtes, grâce à un plafond recouvrant tout l’espace, ne résonnent nullement, le son semblant même, depuis les derniers rangs, assez mat et les dynamiques un peu écrasées.


La suite offre des paysages plus familiers au public, à commencer par la Trentième Sonate (1822) de Beethoven – avec son finale à variations, bien sûr – que Pescia a enregistrée en 2009 (ici aussi chez Claves) – c’est d’ailleurs la seule partie de son concert pour laquelle il se dispense de la partition. Revient ici à l’esprit la description que Philippe Cassard, dans un entretien qu’il nous avait accordé l’an dernier, faisait de son cadet: «ce que j’aime chez Cédric Pescia, c’est qu’il revisite [Beethoven] avec un soin maniaque et fanatique du texte et qu’on ne se sent jamais trompé. Il possède en outre un pianisme prodigieux, inventif, coloré, intelligent, subtil.» Que dire de plus? Que ce Beethoven ne ressemble assurément à nul autre, sans nécessairement paraître pour autant excentrique ou déplacé: d’une folle liberté dans le premier mouvement, où la musique jaillit comme si elle s’écrivait au fur et à mesure; approchant un état de transe dans le deuxième mouvement, où la prise de risque peut dégénérer en embardées incontrôlées; traçant un chemin dans le dernier mouvement, sans nul doute, là où tant d’autres font du sur place, et creusant le texte tout en donnant l’impression d’improviser.


A la fin, le thème revient, intact mais tellement différent, après ses avatars successivement présentés – c’est exactement le procédé des Variations Goldberg (1742) de Bach. Ici aussi, Pescia en a laissé un enregistrement, voici plus de dix ans (Claves), suivi, en 2013, par un Art de la fugue très remarqué (cette fois-ci chez Aeon). Variété, le terme apparaît nécessairement tautologique, s’agissant de Variations mais c’est pourtant celui qui s’impose avec la force de l’évidence pour qualifier le véritable kaléidoscope que fait tourner le pianiste d’une page à l’autre: les trente pièces (sans leurs reprises) se succèdent de manière tout sauf scholastique ou austère, toutes les ressources du piano moderne étant convoquées pour rendre justice à un Bach plein de santé et de vigueur, entre narrations préromantiques et feux d’artifice digitaux.


Le pari de ce récital était audacieux mais Cédric Pescia l’aura tenu avec l’assurance et la musicalité d’un artiste remarquablement accompli.


Le site du festival de Fontdouce
Le site de Cédric Pescia



Simon Corley

 

 

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