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Secrets de famille

Zurich
Opernhaus
05/25/2015 -  et 27, 29*, 31 mai, 3, 7, 10, 13, 16 juin 2015
Antonio Vivaldi : La verità in cimento, RV 739
Julie Fuchs (Rosane), Wiebke Lehmkuhl (Rustena), Christophe Dumaux (Melindo), Delphine Galou (Damira), Anna Goryachova (Zelim), Richard Croft (Mamoud)
Orchestra La Scintilla, Ottavio Dantone (direction musicale)
Jan Philipp Gloger (mise en scène), Ben Baur (décors), Karin Jud (costumes), Franck Evin (lumières), Claus Spahn (dramaturgie)


(© Judith Schlosser)


Si nul n’ignore que Vivaldi a composé Les Quatre Saisons et divers concertos, peu nombreux sont ceux qui savent qu’il est aussi l’auteur de près de cinquante opéras. Une production lyrique qui, contrairement à celle de Monteverdi et de Händel, ne jouit guère de la faveur des théâtres aujourd’hui. Le « prêtre roux », comme on l’appelle familièrement, en est peut-être le premier responsable. Ne dit-on pas de lui en effet qu’il composait très rapidement, au point que ses opéras suivraient tous le même schéma, seraient ennuyeux à mourir et parfaitement interchangeables, qu’il laissait à ses élèves le soin d’écrire les récitatifs et qu’il n’hésitait pas à réutiliser plusieurs fois les mêmes airs.


L’Opernhaus de Zurich a eu l’excellente idée de tordre le cou à ces préjugés en programmant, pour la première fois de son histoire, une œuvre de Vivaldi. Le choix s’est porté sur La verità in cimento (littéralement : La Vérité à l’épreuve), un ouvrage créé en 1720 à Venise. L’histoire se passe dans le harem d’un sultan. Pour cette production zurichoise, les récitatifs ont été considérablement réduits, certains airs supprimés et le chœur final annonçant le traditionnel « happy end », conforme aux usages de l’époque, a été remplacé par un air triste et mélancolique tiré d’un autre opéra du compositeur, L’incoronazione di Dario.


Il faut bien l’avouer, on nourrissait les pires craintes pour la mise en scène de Jan Philipp Gloger, lequel avait sévi à Bayreuth en 2012 en transposant Le Vaisseau fantôme dans une usine de ventilateurs. Heureusement, il signe à Zurich un spectacle très intelligemment construit. L’action a été transposée à notre époque et le sultan (Mamoud) est devenu un riche homme d’affaires. Il a deux fils, l’un (Zelim) né de l’union avec son épouse (Rustena), l’autre (Melindo) né de sa liaison avec sa domestique (Damira). Ne pouvant épouser Damira puisqu’il est déjà marié, il a promis à sa maîtresse que ce ne serait pas son fils légitime mais le fils né de leur amour qui serait son héritier. Pour ce faire, il a échangé l’identité des deux garçons à leur naissance. L’opéra débute 25 ans plus tard, au moment où Melindo est sur le point d’épouser une très belle jeune fille, Rosane. Celle-ci a été auparavant liée à Zelim, mais elle a préféré le quitter pour un meilleur parti. Ne supportant plus le poids du mensonge, Mamoud décide de dire la vérité à son entourage, ce qui provoque des crises d’identité chez chacun des personnages. Zelim sera finalement le seul survivant de cette tragédie familiale. L’actualisation permet de donner à cette « turquerie » des airs de « thriller psychologique » haletant, au diapason d’une musique dynamique et nerveuse, magnifiquement servie par Ottavio Dantone et les musiciens de La Scintilla, la formation baroque de l’Opernhaus. Le chef accentue les contrastes à dessein et caractérise finement chaque personnage, avec une palette de couleurs et de nuances extrêmement variée. Dans un décor représentant une riche habitation bourgeoise, les personnages passent d’une pièce à l’autre. Les répétitions des airs « da capo » se font généralement dans un autre endroit du logement, ce qui change la perspective. Etre et paraître, vérité et mensonge sont inextricablement liés. Par ailleurs, la direction d’acteurs est particulièrement soignée.


La distribution est proche de l’idéal. Wiebke Lehmkuhl incarne une épouse trompée qui tient à sauver les apparences par-dessus tout. La Damira de Delphine Galou est une révélation : son personnage de femme frustrée et hystérique atteint son paroxysme dans son superbe air « Se l’acquisto di quel soglio ». Dandy sûr de lui, à la limite de l’arrogance, le Melindo de Christophe Dumaux possède une voix magnifique, qui se plie aux vocalises les plus périlleuses. Richard Croft campe un père dépassé par les événements qu’il déclenche, préoccupé seulement par la propreté de sa belle voiture. Malgré les remords, il n’hésite pas à coucher avec sa future belle-fille. En dépit de quelques difficultés initiales, Julie Fuchs prête sa belle voix claire et limpide à une Rosane opportuniste et ambiguë à souhait. Anna Goryachova incarne un Zelim mélancolique et désabusé, vêtu en punk gothique. Il ne reste plus qu’à espérer que cette magnifique production donnera à d’autres théâtres l’envie d’exhumer des opéras de Vivaldi.



Claudio Poloni

 

 

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