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Le feu et l’eau

Paris
Philharmonie 1
04/23/2015 -  
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 1, opus 15
Richard Wagner: Parsifal: Prélude et Enchantement du Vendredi Saint
Pierre Boulez: Notations I, II, III, IV et VII

Martha Argerich (piano)
Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (direction)


D. Barenboim


Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, certains concerts symphoniques non plus. Ainsi de celui que vient de donner dans la toute nouvelle Philharmonie parisienne la magnifique Staatskapelle de Berlin, un des plus anciens orchestres de cour d’Europe, aujourd’hui orchestre de fosse du Staatsoper Berlin, appelé depuis que Daniel Barenboim en a pris, en 1992, la direction artistique à vie, à une vocation supplémentaire d’orchestre symphonique. Le programme balayait trois siècles de musique, de Beethoven à Boulez.


Martha Argerich et Daniel Barenboim c’est un peu le mariage du feu et de l’eau. Si ces deux musiciens aujourd’hui parmi les plus demandés au monde ont quasiment commencé leur éducation musicale sur le même tabouret de piano à Buenos Aires dans les années quarante du siècle dernier, leur carrière de pianiste soliste s’est par la suite beaucoup diversifiée, pour elle vers la musique de chambre tous azimuts, pour lui vers la direction d’orchestre en passant par la musique de chambre. C’est dire si l’œuvre choisie pour ce concert de retrouvailles, le Premier Concerto de Beethoven, était le meilleur choix possible, les autres chevaux de bataille de l’énergique pianiste en matière de concertos – Ravel, Prokofiev, Tchaïkovski et même Chopin – n’auraient pas été appropriés au tempérament plutôt placide du maestro. Tout au long de l’époustouflante performance qu’ont donnée les trois protagonistes, on a eu la preuve par neuf que la grande Martha tenait seule les rênes de la troïka, imposant ses tempi, réglant elle-même par des micro-décalages la dynamique interne de l’orchestre. Barenboim, respirant à l’unisson, semblait se contenter de mettre au point tout ce qui doit sonner joli dans cette merveilleuse partition. Trop de cordes peut être dans une œuvre qui doit tant à la filiation mozartienne et dans laquelle on attend plus d’équilibre avec les vents. On ne sait que louer d’avantage de l’art de la pianiste de l’énergie et la souplesse féline avec laquelle elle dévore cette musique notamment le Rondo final, de la beauté des phrasés particulièrement ceux du Largo qu’elle a déroulé avec l’intimité d’un songe et de la sonorité perlée de son jeu et des couleurs qu’elle donne à chaque note qu’elle effleure et que l’on serait bien en peine de décrire. Elle est aujourd’hui, parmi les nombreux interprètes toutes générations confondues, la pianiste la plus fascinante, comme on a pu le lire récemment dans le plébiscite d’une revue spécialisée française où elle figure comme la seule en activité parmi les dix pianistes reconnus les plus populaires. Après des applaudissements nourris les deux pianistes sont venus s’asseoir au piano, avec pour luxueux tourneur de page le Konzertmeister de l’orchestre, pour un bis généreux, le Rondo en la majeur D. 951, une des compositions les plus poignantes de la dernière année de Schubert, treize minutes de dialogue musical dans une œuvre que l’on a déjà entendue jouée de façon plus léchée mais jamais avec une telle intensité dans l’échange et la complicité.


Après un entracte interminable – il faut bien que les sponsors tiennent open bar pour leurs invités – pendant lequel on a le choix entre rester tranquillement à sa place pour s’instruire – en particulier sur la passionnante et douloureuse chronologie des Notations de Boulez – avec les notes du programme ou d’errer dans les couloirs les plus sinistres que l’on connaisse avec les vues poétiques que l’on imagine sur le boulevard périphérique, on est tombé de haut avec une lénifiante exécution des deux extraits symphoniques de Parsifal. Faire jouer la musique de Wagner sur scène par un orchestre plus fourni que dans la fosse à qui elle appartient est une pratique à double tranchant. On peut penser que l’on entend d’avantage de détails mais on surexpose aussi les défauts de direction. Il est surprenant que Daniel Barenboim, capable de si bien réussir Parsifal à l’opéra – Tristan reste cependant ce qu’il fait le mieux – puisse en diriger en concert les deux extraits symphoniques que sont le Prélude et l’«Enchantement du Vendredi Saint» en imposant aux musiciens des tempi si étirés et si peu dramatiques que la musique en ressort totalement démembrée et parfaitement ennuyeuse. Pense t-il que lenteur implique spiritualité et dans ce cas pourquoi seulement dans le cadre du concert et pas dans l’intégralité de l’œuvre? Cela restera probablement un mystère aussi épais et bien gardé que la signification mystique de Parsifal.


La Philharmonie de Paris commence sa carrière en rendant hommage à l’occasion de ses quatre-vingt ans à Pierre Boulez, un des instigateurs principaux de sa naissance, auquel est consacrée une importante exposition et dont les œuvres figureront au programme de quelques-uns des concerts de sa première saison. Le choix de la version orchestrale des Notations (œuvre encore inachevée) était tout à fait opportun car c’est Daniel Barenboim qui en avait passé la commande de la première partie alors qu’il était directeur musical de l’Orchestre de Paris et assuré la création mondiale des Notations I à IV en 1980, et celle de Notation VII quasiment vingt ans plus tard à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago. Le chef israélien voue un culte au compositeur français, qui lui a ouvert les oreilles à la musique contemporaine alors que, quand il était jeune étudiant musicien en Argentine, il se limitait à Bartók, qui venait de mourir, et à Stravinski, qui était encore vivant.


Ces Notations, qui sont une orchestration extrêmement sophistiquée de pièces de jeunesse pour le piano, demandent une perfection instrumentale et une virtuosité orchestrale immenses. Ce que l’on a entendu permet de mesurer davantage le travail réalisé par le chef et sa phalange berlinoise sur le répertoire symphonique qui, on le répète, n’est pas sa vocation originelle. Autant dans les très complexes architectures harmoniques et les alliages de timbres des quatre premières Notations (les œuvres étaient jouées dans un des deux ordres recommandé par le compositeur) que dans les prodigieuses vagues musicales aux influences très clairement debussystes et l’utilisation de techniques symphoniques très élaborées de la dernière orchestrée (jouée dans une révision faite en 2004), la Staatskapelle Berlin, enrichie des très nombreuses percussions requises, a rendu justice à cette partition avec toute la rigueur et le sang-froid qui s’imposent. Pour l’anecdote, l’encombrante partition (il s’agit pour chaque section d’un immense cahier dont on peut presque distinguer l’écriture du premier balcon) a failli entraîner la chute du pupitre pendant l’exécution et c’est grâce à l’intervention de deux violoncellistes, dont les instruments étaient gravement menacés, que l’équilibre de l’ensemble à pu être rétabli! Après une telle performance, Daniel Barenboim, accueilli en triomphe, est venu rappeler par un petit discours au ton pince-sans-rire qu’à la création de 1980, à l’occasion de la réouverture après les travaux de la salle Pleyel, les Notations I à IV avaient été données en préambule à la Neuvième Symphonie de Beethoven et que le commentateur de la retransmission radiophonique avait exhorté à la patience les auditeurs, leur assurant que l’œuvre n’était pas longue... «Je ne sais si nous avons fait des progrès depuis, mais vous certainement!» a ajouté triomphalement le chef, avant de conclure le concert en reprenant la tempétueuse Notation II, dernière dans les deux ordres provisoires préconisés par le compositeur.



Olivier Brunel

 

 

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