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Oxymores musicaux Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac) 04/18/2015 - Anton Webern : Passacaille, opus 1 (transcription Henri Pousseur)
Richard Wagner : Wesendonck-Lieder, WWV 91
Gustav Mahler : Symphonie n° 1 (transcription Klaus Simon) Irina de Baghy (mezzo-soprano)
Secession Orchestra, L’Atelier de musique, Clément Mao-Takacs (direction) (© S. Guy)
ConcertoNet retrouve encore avec plaisir le festival dit de Pâques de Deauville dans son écrin de verdure. 2015 est l’année de la dix-neuvième édition ! La formule est la même : la programmation est essentiellement consacrée à la musique de chambre, un concert orchestral faisant traditionnellement exception ; elle est éclectique et doit satisfaire tous les goûts (vingt compositeurs sont à l’affiche en 2015, de Mozart à Philippe Hersant) ; elle est intelligemment articulée autour des vacances scolaires parisiennes et concentrée sur les week-ends pour rassembler un public nombreux, d’autant que la politique tarifaire est modérée (places gratuites pour les jeunes) ; le principe de la cooptation des artistes permet de renouveler les générations – cette année encore de nouveaux interprètes apparaissent tandis que des anciens (Jérôme Ducros, Jérôme Pernoo, Nicholas Angelich, tous trois fondateurs du festival), qui n’oublient pas leurs premiers pas dans la carrière, reviennent épauler les jeunes pousses ; enfin les concerts (huit au total en 2015) se déroulent dans la salle Elie de Brignac, normalement dévolue aux ventes de chevaux mais à l’acoustique suffisamment sèche pour être adaptée aux concerts.
Parmi les nouveautés de cette année, en dehors de la venue de visages inconnus et d’ensembles récemment constitués (Secession Orchestra, créé en 2011, Ensemble Messiaen en résidence à la Fondation Singer-Polignac depuis 2014), on relèvera justement que tous les concerts ont lieu au même endroit. Ainsi le théâtre néo-dix-huitième, suranné et inconfortable, noyé dans le temple du mauvais goût animé par le cliquetis insupportable des machines à sous qu’est le casino et qui était utilisé habituellement pour un concert unique, est heureusement abandonné. Par ailleurs, la concomitance du festival Livres&Musiques n’a plus lieu. Cette fois, c’est dommage. Le festival, cette année consacré, pour sa douzième édition, à l’Amérique (du 9 au 11 mai), était pourtant l’occasion de compléter de façon pertinente la musique présentée. Côté salle Elie de Brignac, à l’inverse, c’était l’occasion de découvrir des pages sortant des sentiers battus. Il est regrettable que l’idée n’ait pas été développée. Il y avait là, les années passées, l’occasion de belles synergies culturelles. Mais, en 2015, on en profitera pour revenir sur la côte normande... Probablement, l’objectif.
En attendant, le premier concert était principalement consacré à des pages convoquant classiquement des effectifs importants, entorse à la ligne directrice du festival, pourtant sans limite : la musique de chambre. Il débuta en effet, après les traditionnels mots de remerciements de l’infatigable maître de cérémonie et grand organisateur du festival, Yves Petit de Voize, et des propos quelque peu inquiétants de la trésorière de l’association porteuse du festival sur le déclin des subventions publiques lui étant destinées, par une transcription réalisée par Henri Pousseur en 1987 de la Passacaille (1908) d’Anton Webern (1883-1945), lui-même il est vrai transcripteur de Johann Sebastian Bach ou de Johann Strauss. Malgré un beau couac initial de la trompette et des cuivres un peu faibles, l’ensemble fut parfaitement tenu, sans précipitation aucune, par le jeune chef Clément Mao-Takacs (né en 1980). Au-delà de la tension post-romantique, on ne pouvait que sentir le nouveau langage musical du vingtième siècle poindre à l’horizon de ces paysages passant de la désolation adamantine initiale au trop plein. Mais l’on resta aussi confondu par la pauvreté de la réduction et les déséquilibres provoqués par le bruit sourd de la grosse caisse ou les cymbales. Des cors divisés par quatre ! Dans ces conditions, on ne pouvait que chercher vainement l’aspect paroxystique de la partition originale.
Le comble de l’absurdité résidait dans la transcription de la Première Symphonie (1896) de Gustav Mahler (1860-1911). Réalisée par Klaus Simon en 2008, elle passe en effet à la moulinette l’immense fresque musicale panthéiste. Sans doute, le premier mouvement aux tonalités pastorales pouvait sembler presque adapté à un ensemble d’instrumentistes somme toute encore un peu verts ; il laissait apparaître une certaine naïveté nullement déplacée. Mais nonobstant la distance et la retenue imposées par le chef, son aspect populaire, renforcé par la présence d’un accordéon, frisa la vulgarité. Quant au deuxième mouvement, il tourna tout simplement à la caricature, allant bien au-delà de l’ironie mahlérienne. Le troisième mouvement fut encore plus consternant : la marche funèbre entamée par un piano brutal et une contrebasse manquant de justesse pour l’occasion, puis poursuivie par le basson, sombra définitivement lorsque l’accordéon fut à nouveau convoqué par le transcripteur. Heureusement que le chef sut à nouveau suivre les changements incessants de climat de façon assez impressionnante, sans morceler le discours, passant avec naturel de la grâce élégiaque à la danse ou de la passion à l’abattement, pour faire un peu oublier le travail de compression. Le quatrième mouvement se déroula ensuite sans pathos exagéré, avec un orchestre dégraissé par force (deux cors au lieu de sept, pas de tuba...) et impeccablement dirigé vers le triomphe final, notamment du côté des cordes.
Entre les deux pièces, étaient proposés les Wesendonck-Lieder de Richard Wagner (1813-1883) dans leur version cette fois orchestrée. La direction ouvragée et attentive permit à la mezzo-soprano canadienne Irina de Baghy de déployer un chant toujours juste sur l’ensemble de la tessiture, délicat dans les pianissimos mais parfois faiblement articulé et manquant singulièrement de puissance, un peu juste pour s’imposer face à un ensemble orchestral pourtant modeste et la salle. La déréliction de Im Treibhaus fut des plus prenantes, au bord du gouffre tristanesque. Et le public, scandaleusement peu nombreux pour un programme aussi exceptionnel, obtint en bis une reprise de Schmerzen, la cantatrice y démontrant un sens musical sans faille et un legato des plus exquis.
Le site du festival de Pâques de Deauville
Le site de Clément Mao-Takacs
Stéphane Guy
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