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Concert de démonstration

Baden-Baden
Festspielhaus
04/04/2015 -  
Felix Mendelssohn Bartholdy : Ouverture pour « Ruy Blas », opus 95
Robert Schumann : Concerto pour piano en la mineur, opus 54
Sergei Rachmaninov : Symphonie n° 3 en la mineur, opus 44

Igor Levit (piano)
Berliner Philharmoniker, Riccardo Chailly (direction)


I. Levit, R. Chailly (© Monika Rittershaus)


Réunir Martha Argerich et Riccardo Chailly dans le Concerto pour piano de Schumann est un luxe dont le Festspielhaus de Baden-Baden vient d’être privé pour la seconde fois. En 2006, avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, il avait fallu appeler en catastrophe Herbert Blomstedt pour remplacer Riccardo Chailly souffrant. Et cette fois, avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, c’est Martha Argerich, mal remise d’une récente grippe, qui doit annuler sa participation. Le jeune pianiste russe Igor Levit la remplace au dernier moment, en imposant dans cette partition hypervirtuose (la cavalcade de l’Allegro vivace final est redoutable) un style différent, non moins spectaculaire mais d’une sonorité moins nourrie et variée. Le toucher est incisif, ce qui n’exclut pas une large gamme dynamique (mais pourquoi écraser le jeu pianissimo en bloquant la pédale gauche ? l’utilité de se fondre à ce point dans l’orchestre ne paraît pas patente...), et le soliste nous donne l’impression que cette partition ne lui pose aucun problème, ni de virtuosité ni d’architecture (le final est pris à un train d’enfer, sans une bavure). Voilà déjà de quoi nous convaincre largement, même si on rêverait parfois de davantage de souplesse et de couleurs, pour éclabousser à la volée ce tableau un rien trop géométrique. En bis le choral de Bach Nun komm der Heiden Heiland arrangé par Ferruccio Busoni nous révèle d’autres facettes du pianiste : une très grande concentration, une remarquable variété dans l’orchestration des différentes voix du contrepoint et des nuances extraordinairement calibrées.


Au début du concert c’est un Riccardo Chailly très vif que l’on voit arriver d’un bon pas, puis bondir sur le podium. Dès l’attaque d’une rare Ouverture de Ruy Blas de Mendelssohn, sa baguette énergique transmet avec une exceptionnelle précision chaque décharge motrice à imprimer au discours, et fait étinceler timbres incisifs et couleurs vives sans pourtant rien bousculer. L’inertie somptueuse dont souffrent parfois les Berliner Philharmoniker se mue en superpositions de couleurs plus nerveuses, d’un intérêt musical évident. A vrai dire, depuis l’arrivée de ces musiciens d’élite à Baden-Baden en 2013, on ne les avait jamais entendus à ce point dynamisés par un chef invité, voire par leur directeur musical actuel. Techniquement il s’agit d’une phalange d’une telle perfection qu’elle peut tout jouer quasiment au pied levé, mais encore faut-il pour un chef ne pas se contenter de s’extasier à chaque instant sur les beautés qu’elle prodigue mais tenter d’en prendre réellement possession, comme n’importe quel interprète le ferait de son instrument. Et là, vraiment, Riccardo Chailly nous a paru dominer son sujet, en utilisant son ascendant naturel pour obtenir exactement ce qu’il souhaite : un résultat confondant d’évidence, non seulement dans un Concerto de Schumann forcément un plus prudent qu’il ne l’aurait été dans d’autres circonstances, mais surtout dans la Troisième Symphonie de Rachmaninov, massif rarement exploré voire d’un accès relativement malaisé du fait d’un travail thématique en lignes constamment brisées et qui sonne ici avec la même lisibilité qu’une épopée. On se prend à imaginer, derrière des interventions de la petite harmonie aussi judicieusement mises en scène, tout un programme sous-jacent, l'action d'un ténébreux drame postromantique qui n’aurait rien à envier en intensité passionnelle à la Francesca da Rimini ou à la Monna Vanna inachevée du même compositeur. Fermement pris en main, perpétuellement relancé et invité à rester aux aguets, l’Orchestre philharmonique de Berlin se couvre ici de gloire comme à ses plus belles heures du passé. Et là, vraiment, la concurrence de quelques unes des plus belles autres phalanges mondiales d’aujourd’hui se laisse distancer, de peu, mais d’un idéal technique néanmoins tangible.


Le 11 mai prochain, les 124 musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin se réuniront afin d’élire le successeur de Simon Rattle. Un conclave aux règles particulières puisque peuvent y être cités au premier tour les noms les plus variés, y compris ceux de chefs qui ne se seraient pas du tout déclarés candidats. Ensuite, évidemment, la liste se précise, mais le suffrage reste essentiellement démocratique et l’heureux élu sera finalement celui vers lequel auront convergé les voix en nombre majoritaire. Depuis l’annonce officielle du départ de Simon Rattle, un certain nombre de noms circulent, ouvrant des perspectives plus ou moins probables, intéressantes ou farfelues, indifférentes ou redoutables... On ne citera personne, mais chacun reconnaîtra derrière ces adjectifs, selon son propre vécu, l’une ou l’autre de nos baguettes starisées du moment. Or, Riccardo Chailly n’a pas été si souvent cité que cela dans les spéculations auxquelles donne lieu la petite liste d’élus potentiels, groupe que des impératifs de marketing, le jeu d’autres nominations en cours voire les diktats d’imprésarios modifient aussi sans cesse. Dans un contexte de tractations tendues, ce concert attentivement suivi par des musiciens de l’orchestre présents aussi dans la salle, n’arrive sans doute pas par hasard. Sa réussite extraordinaire par un candidat brillant, galvanisé par l’enjeu voire dont les attitudes avantageuses d’homme politique en campagne font même un peu sourire à la fin, est susceptible, on l’espère, de peser lourd dans la discussion à venir. Alors Mesdames et Messieurs, votez le 11 mai, oui, mais de grâce votez bien !



Laurent Barthel

 

 

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