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De haut lignage

Paris
Opéra Bastille
04/03/2015 -  et 7, 10, 13, 16, 18, 23, 26 avril 2015
Antonín Dvorák: Rusalka, opus 114, B. 203
Svetlana Aksenova*/Kristine Opolais (Rusalka), Dimitry Ivashchenko (L’Esprit du lac), Larissa Diadkova (Jezibaba), Pavel Cernoch (Le Prince), Alisa Kolosova (La Princesse étrangère), Igor Gnidii (Le garde forestier), Diana Axentii (Le garçon de cuisine), Yun Jung Choi (Première nymphe), Alzběta Polácková*/Anna Wall (Deuxième nymphe), Agata Schmidt (Troisième nymphe)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Jakub Hrůsa (direction musicale)
Robert Carsen (mise en scène, lumières), Michael Levine (décors et costumes), Peter van Praet (lumières), Philippe Giraudeau (chorégraphie)


(© Opéra national de Paris/Christian Leiber)


On ne se lasse pas de la Rusalka de Dvorák relue par Robert Carsen en 2002 – disponible en DVD avec Renée Fleming, une de ses plus belles inspirations. Convoquant Freud et Bachelard, il met en scène un drame œdipien où l’eau, omniprésente, devient un élément originel dont l’ondine peine à s’affranchir. Un drame de l’incommunicabilité aussi, de la hantise de la perte, de la peur de l’autre et de soi, peur sexuelle d’abord – le ballet du deuxième acte s’apparente à une scène de viol. Rusalka et le Prince échouent à former un couple, écartelés entre le fantasme et la réalité – il ne peut pas non plus s’unir vraiment à la Princesse étrangère, double de l’ondine ici, mais qui assume fièrement sa féminité. D’où ces jeux de miroirs, ce monde de reflets, ce passage d’un bassin à une chambre qui se dédouble au deuxième acte ; ils ne s’aboliront que lorsque le couple se formera à travers un baiser à la fois mortifère et salvateur, dans une sorte de Liebestod. La production oscille très subtilement entre les deux univers, sans tourner au didactisme pesant ou maniériste, joue sur les symboles – le couteau castrateur, par exemple – et crée un hors temps mythique malgré un décor très design et des costumes modernes. Nous reconnaissons une de ces visions stylisées et esthétisantes dont Robert Carsen a le secret, mais le théâtre ne perd jamais ses droits, ni le conte sa fraîcheur.


On attendait Olga Guryakova, qui avait succédé à Renée Fleming en 2005. Svetlana Aksenova la remplace – elle alternera avec Kristine Opolais : médium charnu mais aigu très acide, timbre trop mûr, elle finit par convaincre grâce à la justesse du phrasé et l’intensité de la composition. On se demande malgré tout si elle ne posséderait pas plutôt le format de la Princesse étrangère, incarnée par le mezzo altier d’Alisa Kolosova. Pavel Cernoch, lui, remplace Khachatur Badalyan : Prince solide à la tessiture assez centrale, plutôt gris de couleur, moins souple, surtout dans l’aigu, qu’à la Monnaie en 2012. Treize ans après, Larissa Diadkova reste la Jezibaba inquiétante que l’on connaît, jamais outrée, très maîtrisée vocalement. Gageons que Dimitry Ivashchenko chantera bientôt un Sarastro aussi imposant que son Esprit du lac : la voix est ronde et chaude, la ligne noble. Impeccables rôles secondaires : Nymphes charmantes et parfaitement accordées, Garde forestier et Garçon de cuisine bien campés, Chasseur affûté.


Mais la production vaut surtout par la direction de Jakub Hrůsa. Ses concerts avec le Philhar’ avaient révélé un excellent chef symphonique. On le découvre formidable chef de fosse, héritier de la plus grande tradition tchèque, digne de succéder aux Chalabala ou aux Krombholc. Un sens infaillible de la narration, jusque dans le ballet, un art des couleurs qui renouvelle la sonorité de l’Orchestre de l’Opéra, une pâte sonore aussi fluide que savoureuse : on se croirait à Prague. Une baguette de haut, très haut lignage.



Didier van Moere

 

 

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