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Les oreilles sont à la fête

Lausanne
Opéra
03/20/2015 -  et 22, 25*, 27, 29 mars 2015
Gioacchino Rossini : Tancredi
Anna Bonitatibus (Tancredi), Jessica Pratt (Amenaide), Yijie Shi (Argirio), Daniel Golossov (Orbazzano), Camille Merckx (Isaura), Mashal Arman (Roggiero)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Antonio Greco (préparation), Orchestre de chambre de Lausanne, Ottavio Dantone (direction musicale)
Emilio Sagi (mise en scène), Javier Ulacia (assistant à la mise en scène), Daniel Bianco (décors), Pepa Ojanguren (costumes), Eduardo Bravo (lumières)


(© Marc Vanappelghem)


Rossini n’a que 21 ans lorsqu’il écrit Tancredi, son premier « opera seria ». Adapté du Tancrède de Voltaire, l’ouvrage établira la renommée mondiale du compositeur. Stendhal ne s’y était d’ailleurs pas trompé : « Ce qui me frappe dans la musique de Rossini, c’est la jeunesse […], tout y est simple et pur […], c’est le génie dans toute sa naïveté, et si l’on me permet cette expression, c’est le génie vierge encore […] ». Le musicien fait éclater les codes baroques alors en vigueur, notamment en écourtant les récitatifs et en utilisant l’orchestration pour sublimer les passions exprimées. C’est le « bel canto » par excellence, où tout doit concourir à mettre en valeur les prouesses vocales. Peu importe alors si le livret semble tarabiscoté : le chevalier Tancrède revient incognito en Sicile pour défendre sa patrie contre les Sarrasins. Amenaïde, qui l’aime en secret et craint pour sa vie, lui a écrit une lettre qu’elle n’a pas signée. Ayant intercepté la missive, le père de la jeune fille, Argirio, croit que celle-ci a correspondu avec Solamir, le chef des Sarrasins, ce dont est persuadé aussi Orbazzano, à qui Argirio a promis sa fille. Amenaïde est condamnée à mort pour trahison, mais échappe au supplice lorsque Tancrède, pourtant convaincu lui aussi de son infidélité, tue son rival en duel et part combattre les Sarrasins. Mais la vérité éclate au grand jour et le couple est finalement réuni. Cette fin heureuse est celle de la création de l’œuvre à Venise en février 1813, conformément aux usages de l’époque. Un mois plus tard, Rossini proposait cependant à Ferrare une fin tragique, où Tancrède meurt dans les bras d’Amenaïde. C’est cette dernière version qui a été présentée à Lausanne.


On ne change pas une équipe qui gagne : après le grand succès obtenu ici même en novembre 2010 par L’Italienne à Alger (autre opéra rossinien créé lui aussi, soit dit en passant, en 1813 à Venise), le directeur de l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié, a demandé au chef, au metteur en scène et à la mezzo-soprano de rempiler pour Tancredi. Emilio Sagi a transposé l’action du Moyen Age au début du XXe siècle, la signature du traité de paix qui ouvre l’opéra devenant le Traité de Versailles, paraphé dans la célèbre Galerie des glaces. Si, une fois la scène d’ouverture terminée, on peine à faire le lien entre l’invasion de la Sicile par les Sarrasins et la Grande Guerre et si le spectacle paraît très statique, privé de véritable direction d’acteurs, le décor monumental conçu par Daniel Bianco avec ses hautes colonnes de marbre sert d’écrin somptueux aux voix. Et quelles voix !


Le ténor Yijie Shi est une révélation. S’il n’est peut-être pas le plus raffiné ni le plus nuancé des chanteurs, forçant çà et là l’émission, ses aigus percutants, lumineux et bien timbrés font sensation. La soprano Jessica Pratt incarne, pour sa première Aménaïde, un personnage d’une grande pureté et d’une infinie douceur, avec sa belle voix ample et claire et une technique irréprochable, qui fait fi des vocalises les plus périlleuses. Anna Bonitatibus revêt, pour la première fois elle aussi, les habits de Tancrède, et sa prise de rôle est à saluer : certes, la chanteuse privilégie une conception plutôt intériorisée du personnage, plus victime du destin que combatif, mais le contrôle absolu de l’émission, l’élégance du phrasé, la longueur du souffle et le sens de la coloration font merveille, sans parler de l’époustouflante agilité belcantiste. L’Isaura de Camille Merckx complète idéalement cette distribution vocale de haut vol. Dans la fosse, Ottavio Dantone, à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne, se révèle un accompagnateur attentif aux chanteurs, sait mettre en valeur les passages virtuoses des musiciens, au demeurant en grande forme, et offre une lecture tout à la fois dynamique et légère de la partition de Rossini. Les oreilles sont à la fête ce soir !



Claudio Poloni

 

 

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