About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Tristan à l'heure anglaise

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/18/2015 -  et 21*, 24, 30 mars, 2 (Strasbourg), 17, 19 avril (Mulhouse) 2015
Richard Wagner : Tristan und Isolde
Ian Storey (Tristan), Attila Jun (Le Roi Marke), Melanie Diener (Isolde), Raimund Nolte (Kurwenal), Michelle Breedt (Brangaene), Gijs Van der Linden (Melot), Sunggoo Lee (Un berger, Un marin), Fabien Gaschy (Un timonier)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Axel Kober (direction)
Antony McDonald (mise en scène, décors, costumes), Ricardo Pardo (décors, costumes), Mimi Jordan Sherin (lumières)


Avec Antony McDonald, c’est tout un pan de sensibilité et de culture d'Outre-Manche qui tente de s’installer sur la scène de l’Opéra national du Rhin, une approche qui a le mérite d’assumer ses particularismes sans violenter outre mesure un ouvrage aussi difficile à représenter que Tristan et Isolde. Beaucoup de goût anglais pour les costumes, les décors et l’ameublement, dans un style milieu de siècle dernier comme altéré par le temps, un rien dégradé, vaguement moisi d’humidité. Acclimaté sur ces rivages davantage britanniques que bretons, le mythe s’installe dans des lieux invariablement réduits en surface, d’un confort qui semble avoir été meilleur dans un passé plus glorieux. L’ouvrage se réduit dès lors immanquablement au devenir de ses seuls personnages, prisonniers d’un quotidien étriqué, plus conventionnels et proches que d’habitude. A l’arrière-plan, seules quelques ouvertures révèlent une mer sur toile peinte, vision qui certes libère l’horizon mais bloque aussi les êtres face à une immensité hostile.


Au premier acte, les ponts et escaliers rouillés de ce qui pourrait être un ferry ou un cargo, au deuxième acte la chambre d’un villa balnéaire dont le bow-window s’ouvre à perte de vue sur la mer, et au troisième acte une haute pièce mi-donjon mi-cabane en lattis, équipée de fenêtres à guillotine. A chaque fois on pourrait se croire quelque part entre Douvres et Brighton, dans un monde décrépit resté coincé hors du temps. Une ambiance en définitive prégnante, même si on peut longuement discuter de son adéquation. En l’occurrence de nombreux hiatus dérangent : on nous parle de voiles à hisser sur un rafiot dont on pourrait jurer qu’il sent horriblement le gas-oil, à chaque fois qu’il est question d’une épée le protagoniste concerné sort de sa poche un quelconque opinel ridicule, et quand il s’agit de savoir, à l’acte II, s’il faut éteindre ou non leur torche fatidique, Brangäne et Isolde se chamaillent autour d’un interrupteur électrique ! On peut s’agacer ou s’amuser de ces discordances, selon son degré d’humour... britannique sans doute.


Ce qu’on apprécie en tout cas, outre les éclairages en apparence peu variés mais subtilement dosés de Mimi Jordan Sherin, c’est une constante impression de resserrement, une intimité qui nous rapproche des chanteurs, de leurs physionomies, de leur voix aussi (acoustiquement ces espaces restreints riches en parois réfléchissantes renvoient bien le son vers la salle). Des personnages très humains (Kurwenal, tout particulièrement franc et bon bougre, Brangäne, suivante maternelle et gentiment popote, Marke, monarque rêveur voire un peu ahuri, Isolde même, dont on oublie totalement les dimensions magiques et inquiétantes...). Le mythe s’acclimate voire perd une certaine lourdeur intimidante volontiers associée au drame wagnérien. Reste à savoir si c’est vraiment cela, le Tristan et Isolde de nos rêves.


Musicalement, on y est presque avec Axel Kober, dont on apprécie l’énergie, le souci d’avancer, le sens permanent de la relance des phrasés. Son Tristan, court en minutage (et pourtant sans coupures), élude constamment l’ennui, magnifiquement servi de surcroît par les timbres d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg en grande forme. Quasiment pas d’accidents de parcours (des cors d’intonation un peu perfectible parfois), une lisibilité extraordinaire (tout un monde sonore, où brillent tout particulièrement hautbois, clarinette, basson...) : on découvre là une passionnante dramaturgie instrumentale, complémentaire des voix, phénomène plus habituel des versions de concert et dont il faut souligner qu’il s’accomplit ici dans une fosse acoustiquement ingrate. On a connu des Tristan plus souples, qui s’épanchent davantage en atermoiements sensuels et poétiques, mais tel quel ce travail d’Axel Kober passionne par son exigence et surtout la structure tangible qu’il confère à l’œuvre, en surimpression de ses chromatismes vertigineux. Et c’est aussi le travail d’un chef de théâtre compétent, apte à soutenir une équipe vocale courageuse mais fragile, dont il vaut effectivement mieux ménager le souffle court en adoptant des tempi véloces.


Pour cette deuxième représentation l’Isolde de Melanie Diener serait-elle déjà fatiguée ? En tout cas la soirée paraît difficile pour elle, avec quelques accidents d’aigu au I, un duo du II précautionneux et surtout un final du III où la justesse se dérobe de partout. Pourtant l’investissement du rôle, la lisibilité musicale voire l’intelligibilité des mots sont très intéressants. Mais subsiste le problème d’un vrai manque de format, particulièrement dans un registre aigu qui n’est pas celui d’un véritable soprano dramatique. Dans un contexte acoustiquement favorable (ici c’est le cas), cette Isolde peut faire illusion, mais seulement les soirs d’excellente forme. Le risque étant quand même qu’à force de surmenage et d’accidents elle y ruine sa voix. Pour Ian Storey, Tristan qu’on ne présente plus, ces problèmes sont déjà là : un vilain chevrotement sur les passages à découvert, un souffle qui autorise peu de phrases complètement stables, et pourtant au fil de la soirée un instrument de Heldentenor qui s’échauffe et nous vaut même un acte III de bon aloi, pas follement agréable de timbre mais d’un bel héroïsme passionné. Davantage de confort, comme très souvent dans Tristan, du côté des voix graves : le Kurwenal bien chantant de Raimund Nolte (cela dit bien trop juvénile de silhouette voire de timbre par rapport à un Tristan qu’il est censé avoir fait sauter sur ses genoux enfant) et l’impressionnant Marke d’Attila Jun, aussi cubique psychologiquement que physiquement, très sonore en tout cas. N’oublions pas la superbe Brangäne de Michelle Breedt, d’une tenue et d’une dignité exemplaires, alors qu’elle est pourtant fort peu valorisée par un costume et une coiffure impossibles.


En définitive une soirée consistante, mais dont on retiendra surtout, outre quelques images visuellement particulières, une lecture orchestrale passionnante, à mettre au crédit d’un Orchestre philharmonique de Strasbourg dont il faut souligner aujourd’hui l’excellence. Et gardons pour la fin une profonde reconnaissance à Antony McDonald d’avoir laissé le rideau fermé pendant le Prélude, et ceci délibérément : « Il faut faire très attention à ne pas illustrer la musique » déclare-t-il dans le programme. Une lucidité qu’on souhaiterait partagée par un plus grand nombre de ses collègues!



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com