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L’opéra aux confins de la folie

Bordeaux
Grand Théâtre
01/21/2015 -  et 22, 23, 24, 25 janvier 2015
Detlev Glanert : Nijinskys Tagebuch
Martin Achrainer (baryton), Eléonore Marguerre (soprano), Lara-Sophie Milagro, Peter Pruchniewitz (comédiens), Marie-Laure Agrapart, Alexandre Tondolo (danseurs)
Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Darrell Ang (direction musicale)
Carolyn Sittig (mise en scène), Olga von Wahl (scénographie), Igor Kirov (chorégraphie), Carl-Christian Andresen (costumes), François Thouret (lumières), Stéphane Broc (vidéo)


(© Rodolphe Esher)


Il est certaines soirées où l’opinion est scellée dès les premières mesures. Créé en 2008 à Aix-la-Chapelle et donné pour la première fois en France, Le Journal de Nijinski de Detlev Glanert s’inspire du texte éponyme de l’égérie des Ballets russes. Au début de sa chute dans la folie à la fin de la Première Guerre mondiale, l’étoile et chorégraphe a rédigé des carnets, sur une période de six semaines au premier trimestre de 1919, publiés dans une version expurgée en 1946, et restitués dans leur intégralité un demi-siècle plus tard. C’est de cette publication non censurée qu’est tiré le livret de l’opéra par Carolyn Sittig, qui en a également réglé la mise en scène.


Cette dernière ne manque pas d’atouts indéniables. Faisant appel à trois duos – de chanteurs, d’acteurs et de danseurs – comme autant d’amplifications de la dissociation schizophrénique du délire de Nijinski, la scénographie réserve des images marquantes, à l’instar des hypnotiques variations vidéographiques aux tons sépia autour de l’œil, réalisées par Stéphane Broc. La chorégraphie d’Igor Kirov ménage progressivement de remarquables plages de virtuosité, en particulier au jeune Alexandre Tondolo, qui revêt, parmi ses costumes successifs, un chatoyant turban pailleté d’or, félin reflet de Nijinski peut-être, tandis que le soliste s’apparie autant avec Marie-Laure Agrapart, que les deux danseurs se mêlent aux autres interprètes. Une croix blanche sur fond rouge accrochée à une hampe rappelle les séjours dans les cliniques helvétiques comme autant de vaines tentatives de guérison.


Mais dans l’envoûtement où le spectacle plonge à l’occasion, c’est évidemment le texte qui tient les fils, en allemand pour préserver son aura de mystère métaphysique. Au gré de manipulations verbales où jaillissent quelques éclairs dans un magma parfois redoutablement cru, seule la fascination exercée par Nijinski justifie la dévote attention que l’on porte à une écriture assez inégale, çà et là aux confins de la saturation – effet sans doute amplifié pour un public allophone, ou du moins non parfaitement germanophone.


A cet égard, la musique de Detlev Glanert offre un écrin idéal, avec un tissu qui rappelle le Weill de Quat’Sous ou le Berg de Wozzeck, dans une relecture décantée, dominée entre autres par le souffle sec et rugueux des flûtes, épure plus docile à la parole et la modernité. La partition est d’ailleurs admirablement défendue par Darrell Ang, qui sait tirer le meilleur des musiciens de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine. On n’oubliera pas Martin Achrainer, solide baryton, auquel donne la réplique le soprano expressif d’Eléonore Marguerre, l’un et l’autre maîtrisant une partie aux limites du chant et de la déclamation, avec une imperturbable constance. Grâce aux comédiens Lara-Sophie Milagro et Peter Pruchniewitz, le théâtre évite habilement de souligner l’emphase mégalomaniaque d’un texte qui ne s’en montre pas avare. Objet lyrique non identifié qui puise à toutes les sources de l’opéra, Le Journal de Nijinskiconstitue un exemplaire avatar de Gesamtkunstwerk frappé du sceau de la conceptualité presqu’idolâtre d’une certaine tradition germanique, mais heureusement épargné par l’intellectualisme d’avant-garde. C’est ce qui fait sa force, à laquelle le public bordelais s’est révélé sensible.



Gilles Charlassier

 

 

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