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Le baroque à portée de tous les rires

Metz
Opéra-Théâtre
01/18/2015 -  et 20 janvier (Metz), 6, 7, 8 février (Versailles) 2015
Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse
François-Nicolas Geslot (Don Quichotte), Marc Labonnette (Sancho Pança), Chantal Santon Jeffery (Altisidore, La Reine du Japon), Gilles Benizio (Le Duc, Le Japonais), Thomas Roediger (Montésinos, Merlin, Le traducteur), Aline Maalouf (La paysanne, Une suivante), Aline Metzinger (Une amante), Charles Barbier (Un amant), Camille Brulais, Vincent Clavaguera, Rodolphe Fouillot, Anna Konopska, Camille Lélu, Vivien Letarnec (danseurs)
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole, Nathalie Marmeuse (direction), Le Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction musicale)
Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley et Dino (mise en scène), Philippe Lafeuille (chorégraphie), Daniel Bevan (décors), Anaïs Heureaux, Charlotte Winter (costumes), Jacques Rouveyrollis (lumières)


(© Williams Bonbon/Metz Métropole)


Le genre lyrique ne saurait être confit dans l’esprit de sérieux, et le Don Quichotte chez la duchesse de Boismortier réglé par le duo Shirley et Dino en apporte une preuve éloquente. L’arrivée du chef en armure du chevalier de Cervantès contrarie avec une habilité complice les intentions de Gilles Benizio, qui a revêtu les habits du Duc, prêt à réserver une surprise divertissante à son épouse, en tirant profit du passage du héros castillan sur ses terres. La narration donne ainsi une consistance à cette comédie-ballet dont on ne connaît les conditions de représentation que de manière relativement lacunaire, défi qui n’effraie point Hervé Niquet, fin spécialiste du répertoire baroque français et de ses trésors oubliés, soutenu dans ce projet par l’incontournable Centre de musique baroque de Versailles.


Une cheminée et une succession de portes comme une perspective de coulisses ménagent un trompe-l’œil qui donne d’emblée la tonalité comique du spectacle: les cartons-pâtes empruntent davantage au loufoque qu’à la tradition, mettant en valeur la fantaisie délirante et assumée du livret. La scénographie de Daniel Bevan trouve dans les costumes dessinés par Anaïs Heureaux et Charlotte Winter une indéniable complémentarité, qui explose dans le final japonisant, évasion dans des pastels exotiques et exubérants à laquelle une certaine sensibilité moderne peut attendre un retour à la situation de départ en guise de conclusion, comme un songe qui se referme – à cet égard, l’on ne connaît pas le point de vue de l’époque, et Les Indes galantes de Rameau, autre opéra-ballet de quelques années antérieur, ne permet pas de trancher la question. La chorégraphie de Philippe Lafeuille, élément constitutif, ne recherche pas la restitution historique: après quelques séquences d’échauffement, elle se mêle au dynamisme irrésistible de la production.


Mais c’est bien évidemment l’improvisation sur laquelle s’appuie la direction d’acteurs, qui constitue le pivot de la vitalité de l’ensemble. Elle se fait évidente dans les numéros de Gilles Benizio, en Duc se métamorphosant en Japonais dans la scène finale, comme dans l’intervention de Corinne Benizio, mais également dans les interactions entre les solistes, à l’instar des commentaires colin-maillard avant la chaconne conclusive. La partie musicale n’y reste pas étrangère, avec les réécritures de génériques fameux, tels Star Wars ou RTL, qui éloignent sans doute du propos authentiquement parodique de l’époque au profit du plaisir du public – si le procédé démontre la plasticité du Concert spirituel jusqu’en des répertoires où la formation passerait pour irréductiblement allophone, un point de vue intermédiaire quant aux citations aurait pu approfondir les porosités entre le savant et le populaire. Et l’on n’oubliera pas les saluts, chacun avec une pancarte où est inscrit le nom de son personnage, et au verso, «Je suis Charlie», hommage, plus que slogan, aussi discret qu’émouvant, sincère et non didactique, à l’image de l’ensemble du spectacle: un bel exemple d’enracinement du baroque dans le réel contemporain, fidèle en cela à l’histoire du genre comique.


Alchimie entre scène et public, plutôt que perfection muette, la présente réussite théâtrale ne sacrifie pas la vocalité, quand bien même l’on a d’abord cherché des caractérisations plus que des gosiers opulents. Le chevalier et son enseigne, Don Quichotte et Sancho Pança, en témoignent, confiés respectivement à François-Nicolas Geslot et Marc Labonnette. Les rôles secondaires complètent le tableau – Thomas Roedinger grimant les stentors en Merlin et Montésinos, tandis qu’Aline Maalouf amuse avec ses tournures rurales en paysanne et servante. Aline Metzinger et Charles Barbier assument les répliques des amants. Seule Chantal Santon Jeffery se distingue avec un rôle significativement plus lyrique, Altisidore qui se mue en Reine du Japon pour couronner la fête orientalisante. Sans omettre le travail du chœur de l’opéra messin préparé par Nathalie Marmeuse, la générosité musicale est bien évidemment l’œuvre d’Hervé Niquet et de son Concert spirituel, en grande forme. L’Opéra de Versailles donnera à ceux qui ont manqué les réjouissances lorraines une occasion de se rattraper, pour vérifier que le baroque sait se mettre à portée de tous les publics et tous les rires, sans sacrifier son excellence – au contraire.



Gilles Charlassier

 

 

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