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Assez peu crédible

Paris
Palais Garnier
01/06/2015 -  et 7, 8, 9, 10 janvier 2015
Juliette et Roméo
Musique: Piotr Ilyitch Tchaïkovski (arrangements d’Anders Högstedt sur un choix musical de Mats Ek)
Bengt Ake Lundin (piano), Orchestre Colonne, Alexander Polianichko (direction musicale)
Mats Ek (chorégraphie), Magdalena Aberg (décors et costumes), Linus Fellbom (lumières)
Kungliga Baletten


(© Francette Levieux/Opéra national de Paris)


A Mats Ek on doit la relecture radicale et très décoiffante de nombreux ballets des répertoires classique et romantique. Le Lac des cygnes, La Belle au bois dormant et surtout sa Giselle dans un hôpital psychiatrique, qui reste son chef-d’œuvre absolu. Juliette et Roméo, créé par le Ballet royal de Suède en mai 2013 pour le deux cent quarantième anniversaire de cette compagnie invitée pendant les vacances du Ballet de l’Opéra national de Paris et qu’elle vient de présenter au Palais Garnier, ne laissera pas de souvenir impérissable. Le chorégraphe dit avoir été stimulé et inspiré par le «Printemps arabe» de ces dernières années et même si une lecture politique de la pièce de Shakespeare n’est pas aberrante (celle d’Angelin Preljocaj était autrement convaincante), on a trop souvent l’impression que le mélange ne prend pas et s’éloigne de l’essence même de cette histoire d’amour contrarié, passant d’images d’une intensité poignante à des scènes qui tendent à noyer le poisson. Tout se passe comme s’il avait essayé de montrer que cette histoire n’est pas crédible.


On admire certes la plastique du spectacle qui grâce à des éclairages savants, des costumes qui flirtent avec l’intemporalité et avec une scénographie rudimentaire plutôt sinistre, des murs gris coulissants et une trappe, réussit à peupler sans donner l’impression de vide la grande scène dénudée. Quelques trouvailles font sourire, comme la scène dans laquelle le Prince, interprété magistralement par Niklas Ek, 80 ans passés, frère du chorégraphe et danseur fétiche de Maurice Béjart, exprime son impuissance à rétablir le calme dans sa ville, un no man’s land situé quelque part entre Vérone et Elseneur, en faisant un impayable numéro de piétinement sur place sur le premier mouvement du Premier Concerto pour piano de Tchaïkovski. L’utilisation de segways, trottinettes électriques conduites avec virtuosité par les danseurs, lors de quelques scènes de foules assez cocasses est aussi une surprise. La scène finale où toute la ville pleure ses jeunes disparus avec les jambes en l’air comme eux le sont dans la mort, est aussi une image surprenante dont Ek sait avoir le secret.


Mais on reste trop souvent sur l’impression qu’il n’a pas su comment prendre l’histoire à bras-le-corps et faire de ses personnages, à défaut de les rendre sympathiques, hormis pour celui de la Nourrice interprétée par l’immense Ana Laguna, 70 ans passés, des êtres vraiment passionnels. Les deux héros paraissent dès le début tellement immatures, plus dans la romance de premières amours adolescentes que sous l’effet d’un coup de foudre et des marionnettes entre les mains des adultes que, malgré les deux duos d’amour stupéfiants d’originalité que leur a destinés Ek, l’on n’entre pas dans cette relation amoureuse dont l’issu fatale est tellement simplifiée qu’elle en paraît peu crédible. Les épisodes-clés de l’histoire, comme la mort de Mercutio qui apparaît accidentelle ou la scène du mariage forcé, sont tellement gommés qu’ils passent inaperçus.


Une fois écarté Prokofiev, le choix musical de Mats Ek s’est porté sur une sélection de musiques de Tchaïkovski, certes un compositeur de ballets, mais pas dans ce qu’elle a de plus fin ni de plus dansant. Hormis les extraits de la Cinquième Symphonie et du Premier Quatuor, et le Concerto pour piano qui offre son effet comique, ni Manfred, ni La Tempête, ni le Capriccio italien, ni Fatum, ni les Première et Troisième Suites, ne se révèlent un choix particulièrement heureux. Tchaïkovski épaissit trop souvent le trait et se trouve en décalage avec le vocabulaire chorégraphique de Mats Ek, beaucoup plus subtil. Il faut ajouter que la direction en force d’Alexander Polianichko à la tête de l’Orchestre Colonne n’allégeait pas le propos.


Cela n’enlève rien au mérite des danseurs, tous très à l’aise avec le vocabulaire si particulier de Mats Ek, particulièrement la délicieuse Mariko Kida, à qui le chorégraphe n’offre pas la possibilité de faire évoluer un personnage plutôt monolithique. De même pour Anthony Lomuljo et son Roméo tout en naïveté, dont la virtuosité est trop au service d’une danse froide et distante. On a dit le bonheur de voir danser Ana Laguna, compagne et muse du chorégraphe, dans le rôle le plus intéressant de cette pièce. Hokudo Kodama brille aussi mais son personnage de Benvolio en doudoune argentée est un peu trop caricatural. Mention spéciale aussi pour l’éclatant Mercutio de Jérôme Marchand, le Français de cette distribution assez internationale.


Ek sera à nouveau à l’affiche à Paris fin janvier quand la Compagnie nationale de danse d’Espagne viendra danser son Casi Casa au Théâtre des Champs-Elysées. Déception? Certes, mais on était prévenus avec l’inversion des prénoms dans le titre et quand, dans une interview reproduite par le programme, Mats Ek, franc-tireur, affirme: «Toute beauté n’est pas belle à voir.» Est-ce là le sens de son œuvre?



Olivier Brunel

 

 

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