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L’apprentissage tardif de la mort

Madrid
Teatro Real
12/04/2014 -  et 4, 7, 11, 14, 17, 19*, 23 décembre 2014
Benjamin Britten: Death in Venice, opus 88
John Daszak (Gustav von Aschenbach), Leigh Melrose (Traveller, Elderly fop, Old gondolier, Hotel manager, Hotel barber, Leader of the players, Voice of Dionysus), Anthony Roth Costanzo (The Voice of Apollo), Tomasz Borczyk*/Alejandro Pau (Tadzio), Duncan Rock (English clerk, A Guide), Itxaro Mentxaka (Beggar woman), Vicente Ombuena (Hotel porter), Antonio Lozano (Glass maker), Damián del Castillo (Hotel waiter), Nuria García Arrés (Lace seller), Ruth Iniesta (Strawberry seller, Newspaper seller), Debora Abramowicz, Miriam Montero, Alexander González, Rubén Belmonte, Elier Munoz, Sebastián Covarrubias, Vasco Fracanzani, Igor Tsenkman, Ivaylo Ognianov, José Alberto García, Enrique Lacárcel, Paula Iragorri, Ohiane González de Vinaspre, Adela López, Legipsy Alvarez, Esther González, José Carlo Marino, Oxana Arabadzhieva, Alvaro Vallejo, Carlos Carzoglio
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Alejo Pérez (direction musicale)
Willy Decker (mise en scène), Wolfgang Gussmann (décors), Wolfgang Gussmann et Susana Mendoza (costumes), Hans Toelstede (lumières), Athol Farmer (chorégraphie)


(© Javier del Real / Teatro Real)


Deux Britten à la suite, et à chaque fois, ce fut le Britten le plus exquis, le plus nuancé et subtil, plein de sens, plein de chuchotements. On a déjà parlé du très beau récital de Bostridge et des siens. En même temps, c’est le Britten le plus subjectif, où le point de vue – est-ce le Britten le plus Henry James, malgré l’inspiration de Thomas Mann? – conditionne et donne sens aux situations, à l’action dramatique, au monologue: à la rigueur, Mort à Venise est un monologue, de la crise créative à la préparation pour la mort, en passant par le côté canaille – essayer de s’en moquer ou de la fuir (chez le coiffeur, chez le perruquier, avec des postiches, du fard à joues...). Et la «canaille» apparaît toujours en groupe dans la formidable production de Willy Decker, coproduite avec le Gran Teatre del Liceu de Barcelone: les classes populaires ou les petits arnaqueurs de la rue, les musikanten, la vendeuse de fraises, les mendiants, le coiffeur même, eux tous, ils apparaissent ensemble tout le temps, à la faveur du motif confié par Britten à la petite percussion.


Si Mort à Venise est la vision d’un personnage se rendant dans le sud simplement pour y mourir, le développement de l’action lyrico-dramatique doit être subjectif. Or, au théâtre, le point de vue, la subjectivité, encore plus l’illusion, l’hallucination, ce n’est pas facile. Mort à Venise constitue une exception: opéra du moi («as I lay dying», pourrait-on dire), opéra des visions où la parole recule souvent pour privilégier l’image, la danse, ce qu’on voit, ce qu’on imagine, les désirs, les effrois; enfin, une histoire où Mann se laisse aller à sa méfiance envers le sud, comme il le fera dans une autre nouvelle, Mario et le magicien , contre la tradition de nombreux écrivains de l’Europe Centrale. Malgré le respect scrupuleux de Decker pour l’original, sans «créativité» intempestive de metteur en scène, il évite l’icône vénitienne. Une ville historique soumettant son passé à l’humiliation du tourisme… c’est trop commun, en Italie et ailleurs, et les décors simples, beaux et efficaces, ne sont pas là pour placer l’action sur la carte, mais pour suggérer la ville balnéaire, en un temps où les vacances possédaient encore quelque chose du symbole, du statut social, une des activités de la «classe oisive» décrite par Veblen un peu avant la publication de la nouvelle.


La très belle mise en scène est au service de la pièce, de l’œuvre. Agile, sans répit, seulement les moments nécessaires pour l’introspection: les décors de Wolfgang Gussmann, beaux et simples, au service de la mise en scène de Decker, jamais encombrants ni prétentieux, servent pour tout, ils sont des portes, des fenêtres, des rues, des intérieurs, la mer, l’hôtel, la véranda, le champ où se développe l’agon (les jeux d’Apollon), un peu ignoré par Decker dans sa traduction visuelle.


C’est certainement ici l’un des moments importants de la carrière du jeune Argentin Alejo Pérez, bien connu au Teatro Real. Ce chef semble spécialisé dans la musique contemporaine (Eötvös, Rihm, Pintscher) ou les classiques du XXe siècle comme Maderna, Henze et Chostakovitch. Mais il a été l’âme musicale de spectacles plus classiques, comme le Don Giovanni très controversé de Tcherniakov dans ce même théâtre, production venue d’Aix. Mort à Venise est un opéra où il faut savoir nuancer les suggestions et les silences. Alejo Pérez a accompagné Bostridge dans le concert Britten avec exactitude et sagesse; et il est allé plus loin, grâce à l’opportunité d’une partition riche en contenus celés. Savoir suggérer, savoir taire sans réduire la musique au silence: un art suprême?


John Daszak, dans un rôle écrit pour Peter Pears, réussit une construction du personnage riche, pleine de nuances et véritable dans ses tourments de créateur, d’homosexuel peut-être inattendu, d’amant de la beauté voué à la mort. Chanter et être acteur d’un personnage comme Aschenbach est la preuve de force pour un ténor. Et, dans un rôle comme celui-ci, faire oublier la ligne et la trace de Pears est aussi un exploit. Aschenbach chante beaucoup, est le protagoniste absolu, c’est lui qui chante, qui regarde, qui bouge, qui souffre, qui s’essouffle. Leigh Melrose joue à la perfection (lyrique et dramatique) tous ces rôles d’antagonistes ridicules ou menaçants qui hantent Aschenbach pendant ses vacances tourmentées. Tomasz Borczyk, rôle sans paroles pour Tadzio, est le troisième artiste ou peut-être le véritable antagoniste d’Aschenbach dans cette pièce des intimités éclatantes. Anthony Roth Costanzo (contre-ténor), Duncan Rock, Itxaro Mentxaka, Vicente Ombuena, sont les autres excellents artistes qui peuplent cette Venise aussi peu vénitienne que possible. Il s’agit peut-être d’un des plus beaux spectacles du Teatro Real depuis sa restauration en 1997, lorsqu’il est redevenu une maison d’opéra. Et il y en a pourtant eu beaucoup!



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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