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Obsessionnel compulsif

Bruxelles
La Monnaie
12/02/2014 -  et 4, 7, 9, 11, 14*, 16, 18, 20, 23, 26, 28, 30 décembre 2014
Wolfgang Amadeus Mozart: Don Giovanni, K. 527
Jean-Sébastien Bou (Don Giovanni), Sir Willard White (Il Commendatore), Barbara Hannigan (Donna Anna), Topi Lehtipuu (Don Ottavio), Rinat Shaham (Donna Elvira), Andreas Wolf (Leporello), Jean-Luc Ballestra (Masetto), Julie Mathevet (Zerlina)
Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Ludovic Morlot (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décors, costumes), Felice Ross (éclairages), Claude Bardouil (chorégraphie), Denis Guéguin (vidéo)





Du Warlikowski à l’état pur. Le metteur en scène imagine un Don Juan obnubilé par le sexe, moins séducteur que névrosé, pitoyable mais pas antipathique pour autant. Sa référence : le personnage de Brandon dans le film Shame (2011) de Steve McQueen. Dans un univers froid et sordide évoluent des personnages atteints eux-aussi de psychoses, surtout Donna Anna, aliénée, titubant plus souvent qu’elle ne marche et achevant Don Ottavio d’un coup de revolver alors que le pauvre paraît moins niais que d’habitude. Amateur de chair fraîche, goûtant d’ailleurs la pièce de bœuf crue qu’il découpe au second acte, Don Giovanni déculotte la jeune Zerlina, portée sur la chose et engagée dans une voie peu vertueuse.


Masetto se détache moins nettement – difficile de lui conférer beaucoup de profondeur de toute façon – mais Donna Elvira constitue une figure intéressante, paumée, certes, mais dotée d’encore un peu de discernement malgré son mal-être. Quant à Leporello, il ne semble pas vouloir s’extraire de l’influence néfaste de son maître à penser. Pas de mise en scène de Krzysztof Warlikowski qui tienne sans créature étrange: cette fois-ci un être androgyne sur talons-aiguilles, une danseuse noire qui se contorsionne sans cesse et un mystérieux Asiatique sexagénaire. La jeune fille qui joue à la corde à sauter rappelle la fraîcheur et l’innocence des ballerines de Lulu. Le propos a du sens mais le spectacle déborde d’intentions et recourt de façon trop systématique à ces tics de langage qui permettent d’identifier immédiatement l’auteur d’une mise en scène. Warlikowski, qui compte parmi les hommes de théâtre les plus importants, n’en déplaise à certains, a donc revisité le mythe à sa façon. C’est bien la moindre des choses pour un ouvrage représenté tellement souvent de par le monde qu’une maison d’opéra peut se permettre d’en proposer une lecture plus inconfortable que d’habitude.


Obtenir un tel engagement de la part des chanteurs laisse éperdu d’admiration mais la dimension théâtrale l’emporte sur l’aspect musical. Le spectacle accuse cependant une baisse de régime au second acte, cette virtuosité finissant par tourner un peu dans le vide : le résultat ne convainc cette fois-ci par autant que Médée (2008), Macbeth (2010) et Lulu (2012). Warlikowski ne signe donc pas le grand Don Giovanni sulfureux que beaucoup attendaient, et que d’autres craignaient, mais que les voyeurs soient avertis : seul le film érotique projeté pendant l’Ouverture permet de se rincer l’œil, encore qu’il s’en trouve de plus torrides sur la toile. Le décor appelle peu de commentaires : un mur molletonné, un autre aux briques apparentes, deux portes tournantes de part et d’autre de la scène, des parois vitrées, des fauteuils. Malgorzata Szczesniak aurait pu réutiliser celui de Lulu.



(© Bernd Uhlig)


Le public hue le metteur en scène, comme s’il ne s’habituait toujours pas aux audaces auxquelles le soumet la Monnaie, mais il se montre clément envers le chef et l’orchestre alors que tous les deux déçoivent. Ludovic Morlot, qui ne convainc décidément pas dans Mozart (voir ici et ici), dirige des musiciens peu concernés, presque désinvoltes : cordes anémiées, bois peu expressifs, et de surcroît pas toujours exacts, cuivres plus d’une fois en déroute. La musique progresse pesamment, sans flamme ni élégance. S’agit-il de la goutte qui fait déborder le vase ? En tout cas, le chef permanent a annoncé sa démission durant la série de représentations avec effet dès l’année prochaine. Il s’avère difficile de déterminer qui de Ludovic Morlot ou de l’orchestre porte avant tout la responsabilité de l’échec de leur collaboration qui a débuté il y a seulement deux ans. Que Peter de Caluwe engage au plus vite un directeur musical d’envergure et rompu aux exigences du théâtre pour hisser l’orchestre à un niveau digne de la réputation de la Monnaie.


Reste à évoquer les chanteurs, même si la distribution ne constitue pas l’intérêt premier de cette production. La prestation de Jean-Sébastien Bou restera gravée dans les mémoires tant pour le chant, de haute tenue, que pour l’engagement théâtral, épatant. Le physique de ce baryton qui se produit pour la première fois sur la scène bruxelloise convient idéalement au rôle-titre tel que le conçoit Krzysztof Warlikowski. Fameuse en Lulu il y a deux ans, Barbara Hannigan ne possède pas l’étoffe de Donna Anna – chant trop mince et pauvre en couleurs – mais elle affiche un don d’acteur véritablement hors du commun. Ténor mozartien de renom, Topi Lehtipuu ne déçoit pas en Don Ottavio, auquel il confère une épaisseur insoupçonnée. Andreas Wolf livre une performance plutôt aboutie, surtout qu’il aborde Leporello pour la première fois, et même amusante dans l’air du catalogue, pendant lequel se succèdent sur un écran d’ordinateur les conquêtes de Don Juan filmées par webcam. Le timbre séduit continûment, au contraire de celui, moins amène, de Rinat Shaham, qui se glisse cependant dans le personnage de Donna Elvira avec une maîtrise constante. La soprano, qui débute elle aussi dans le rôle, se positionne toutefois légèrement retrait en comparaison avec la Zerlina vive et effrontée de Julie Mathevet, comédienne adroite et chanteuse scrupuleuse, nonobstant une ligne de chant perfectible et une voix qui ne concilie pas encore finesse et rondeur. Jean-Luc Ballestra ne démérite pas en Masetto, qu’il chante plus que correctement, tandis que Willard White incarne pour la première fois – à peine croyable – un Commandeur autoritaire et monolithique.



Sébastien Foucart

 

 

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