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L’évidence

Paris
Salle Pleyel
11/24/2014 -  et 19 novembre 2014 (Amsterdam)
Johannes Brahms : Symphonie n° 3 en fa majeur, opus 90 – Concerto pour piano n° 1 en ré mineur, opus 15
Emanuel Ax (piano)
Chamber Orchestra of Europe, Bernard Haitink (direction)


B. Haitink (© Todd Rosenberg)


Ce soir-là à la Salle Pleyel l’affiche était particulièrement séduisante puisqu’elle réunissait l’un des plus grands chefs d’orchestre actuels, Bernard Haitink, et l’une des meilleures formations du moment, l’Orchestre de chambre d’Europe. De plus, depuis plusieurs années, Bernard Haitink et l’Orchestre de chambre d’Europe entretiennent une relation musicale au plus haut niveau, qui a déjà donné lieu à de magnifiques concerts parisiens consacrés à Beethoven en 2012.


Dès les premiers instants de la Troisième Symphonie qui débutait ce concert, une impression d’évidence se dégage et cette sensation se prolonge, voire s’amplifie, jusqu’à l’accord final. En tant qu’auditeur, vous passez successivement d’un état d’admiration devant l’incroyable qualité de la mise en place, puis à celui d’un contentement jubilatoire car ce travail de précision laisse la musique s’installer, avant de définitivement rendre les armes en atteignant une durable et quasi extase devant un mélange parfaitement réussi et convaincant de raffinement et de puissance émotionnelle. Les mouvements successifs de la symphonie laissent les différents climats de l’œuvre se développer en toute indépendance et le choix des tempi, assez mesurés, donne à la construction de l’ensemble tout son sens. Après un Allegro con brio initial grave et tenu, le sublime Andante permet d’entendre des bois miraculeux de nuances et de ligne, avant que le Poco allegretto mélancolique juste comme il faut ne laisse bientôt la place à un Allegro final d’abord tellurique, puis finalement apaisé dans le calme et la volupté sonore. Dans ce final, Bernard Haitink nous emmène parfois du côté de Gustav Mahler, ce qui n’est pas étonnant quand on connaît le parcours artistique de ce chef mahlérien hors du commun.


L’Orchestre de chambre d’Europe, composé ce soir d’environ soixante musiciens (dont quarante cordes qui jouent dans la disposition violoncelles au centre et seconds violons à la droite du chef), est d’un niveau vraiment exceptionnel. Les cordes, d’un magnifique unisson, sont souples et ductiles, les vents précis et nuancés, les cuivres élégants et jamais écrasants, la percussion est précise et sa présence ni exagérée, ni trop discrète. Mais ce véritable miracle sonore serait simple hédonisme s’il n’y avait pas, entre les notes, toute la musique de Brahms. Car à cette somptuosité sonore déjà enchanteresse par elle-même s’ajoute un esprit chambriste, une visible joie de jouer et une écoute mutuelle qui sont la marque des grands ensembles. Cette interaction permanente entre les différents pupitres est source d’une lisibilité parfaite, à tel point que l’on a très souvent l’impression d’avoir la partition sous les yeux, tant tel trait de violoncelles, telle descente du premier basson, tel pizzicato des contrebasses, jusque-là jamais remarqués, deviennent audibles, voire essentiels.


Si l’orchestre est certes d’un niveau individuel et collectif exceptionnel, l’autre artisan de ce Brahms élégant et subtil est naturellement Bernard Haitink. A quatre-vingt-cinq ans, cet homme modeste et travailleur n’a plus rien à prouver et il est, sans doute avec Herbert Blomstedt, un des très grands chefs octogénaires encore en activité. Ce soir à Pleyel, il est apparu en forme, assez alerte et manifestement heureux d’être là avec des musiciens dont il aime à dire que les diriger est une des joies actuelles de sa vie. Car tout cela ne fonctionnerait sans doute pas au même niveau superlatif sans la présence discrète mais efficace d’un Bernard Haitink des très grands jours. En coordinateur et diffuseur d’énergie, d’élégance, de legato, de phrasé, de nuances, il est parfait et, maintenant que Claudio Abbado a disparu, on ne voit pas qui pourrait réussir à ce niveau un Brahms aussi lumineux et d’une telle hauteur de vue.


Le Premier Concerto pour piano, joué en étroite osmose avec Emanuel Ax, est du même niveau. Fermement attaqué par l’orchestre, le premier mouvement voit se développer un vrai dialogue entre le soliste et les musiciens, chacun trouvant place pour s’exprimer. Le deuxième mouvement, rappelons-le, tout imprégné de Clara Schumann, devient ici sous les doigts précis et raffinés d’Emanuel Ax une rêverie amoureuse presque fantomatique. Quant au final, mené dans un tempo idéal, il conclut avec charme et beauté, notamment dans l’étonnant passage fugato réservé aux cordes d’une formidable somptuosité sonore, une interprétation de bout en bout maîtrisée. Du très grand art.


Signalons pour finir que l’Orchestre de chambre d’Europe a été fondé en 1981 par Claudio Abbado. Plus de trente ans après, cette magnifique réussite musicale et humaine démontre aussi qu’un orchestre récemment fondé peut atteindre l’excellence d’orchestres de tradition séculaire comme ceux de Vienne, Leipzig ou Dresde. Mais il est vrai que l’Orchestre de chambre d’Europe est constitué de certains des meilleurs musiciens du continent.


Le site d’Emanuel Ax
Le site de l’Orchestre de chambre d’Europe



Gilles Lesur

 

 

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