Back
L’orchestre de Rameau Paris Théâtre des Champs-Elysées 10/13/2014 - et 15*, 17, 19, 21 octobre 2014 Jean-Philippe Rameau : Castor et Pollux (version de 1754) John Tessier (Castor), Edwin Crossley-Mercer (Pollux), Omo Bello (Télaïre), Michèle Losier (Phœbé), Jean Teitgen (Jupiter), Reinoud Van Mechelen (Mercure, Un Sartiate, Un athlète), Hasnaa Bennani (Cléone, Une ombre heureuse), Marc Labonnette (Un grand prêtre), Camilla Brezzi, Camille Brulais, Florent Cheymol, Julie Dariosecq, Willy Laury, Laurent Le Gall, Charlotte Nopal, Julien Ramade, Claire Tran et Joan Vercoutere (danseurs)
Chœur et orchestre du Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction)
Christian Schiaretti (mise en scène), Florent Siaud (dramaturgie), Andonis Foniadakis (chorégraphie), Rudy Sabounghi (décors), Thibaut Welchlin (costumes), Laurent Castaingt (lumières)
(© Vincent Pontet)
L’année 2014 n’est pas terminée et il est donc encore temps de fêter dignement le deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Et quelle œuvre plus digne pour ce faire que la tragédie en cinq actes Castor et Pollux (1737), dont on entend ici la version profondément remaniée de 1754 (suppression du prologue, premier acte totalement revu) et dont le succès ne s’est jamais démenti grâce à une peinture des caractères tout en subtilité, rehaussée par une musique sublime de bout en bout? C’est d’ailleurs une idée assez commune par les temps qui courent, Emmanuelle Haïm dirigeant actuellement l’œuvre de son côté à Dijon et Lille. Sur un livret de Pierre-Joseph Bernard (surnommé à l’époque «Gentil-Bernard»), Rameau a composé un opéra sur l’histoire célèbre des Gémeaux où un frère s’offre en sacrifice pour l’autre, livrant à cette occasion une superbe tragédie lyrique comme le fut ensuite Dardanus (1739).
Ainsi, le drame commence alors que Pollux, roi de Sparte, doit se marier avec Télaïre dont la sœur, Phœbé, est également amoureuse de notre héros. Phœbé, qui est magicienne et ne cesse d’ourdir de noirs complots, pousse Lincée à combattre les Spartiates: Castor, le frère de Pollux, s’apprête alors à partir au combat après avoir dit adieu à Télaïre qu’il aime également. Pollux, conscient des sentiments que l’un et l’autre se portent, ordonne à son frère d’épouser Telaïre, suscitant ainsi la joie de Castor mais celle-ci sera de courte durée puisque ce dernier meurt au combat. C’est alors que Phœbé propose à Télaïre, accablée de chagrin, de libérer Castor des Enfers à la seule condition qu’elle renonce à l’épouser, lui permettant ainsi de prendre sa place. De son côté, Pollux, qui a tué Lincée pour venger son frère, sollicite l’aide de Jupiter pour délivrer Castor mais le Dieu lui annonce que cela ne peut être fait qu’au détriment de sa propre vie. En dépit des épreuves et des obstacles dressés notamment par Phœbé, Pollux trouve son frère qui refuse que celui-ci se sacrifie pour le délivrer des Enfers. Castor est néanmoins poussé vers le monde des mortels par Pollux mais, une fois revenu à la surface, déclare à Télaïre qu’ils doivent se dire adieu, conscient de l’immense sacrifice qu’il ne peut accepter. C’est alors que Jupiter, dans sa grande clémence et touché par l’esprit manifesté par chacun des deux frères, leur accorde à tous deux l’immortalité, Castor et Télaïre pouvant alors vivre pleinement leur amour.
Après avoir entendu cet opéra, on se dit immédiatement «Rameau, quel orchestrateur tout de même!». Car c’est bien la musique qui domine l’œuvre et la soirée. Grâce à un orchestre conséquent (où l’on compte notamment quatre flûtes, au sein desquelles officie Alexis Kossenko, quatre hautbois, dont un est tenu par Héloïse Gaillard, quatre bassons...) dirigé avec entrain par Hervé Niquet, dont la connaissance de la musique française n’est plus à démontrer, la partition virevolte d’épisode en épisode, alternant avec bonheur les passages empreints de douceur et de méditation avec des ballets chatoyants. Les danses à la scène 4 de l’acte I (qui concluent le chœur des Spartiates et une intervention de Castor) sont pleines de vivacité grâce aux quatre piccolos et au tambourin, avant que flûtes (de nouveau) et bassons nous ravissent pour illustrer la danse d’Hébé à la scène 4 de l’acte III. C’est également grâce à cette orchestration que l’on prend pleinement conscience de la beauté de certains passages, qui bénéficient autant des voix que de l’accompagnement instrumental: il suffit d’écouter les plaintes des bassons dans le très connu «Tristes apprêts, pâles flambeaux» chanté par Télaïre à la deuxième scène de l’acte II pour frissonner et pleurer avec le personnage.
Et finalement, on se dit également que la bonne surprise de l’orchestre nous permet de mieux supporter un plateau vocal qui n’est pas à la hauteur de ce que l’on était en droit d’attendre. Les déceptions vocales sont en effet nombreuses. Parmi les belles voix de ce soir, on applaudira en premier lieu Edwin Crossley-Mercer, incarnant un très beau Pollux qui, par sa voix chaude et bien posée, convient tout à fait au rôle qui lui est dévolu. Bien qu’il ne tienne que des rôles secondaires, saluons également la performance de Reinoud Van Mechelen, chanteur issu du «Jardin des voix» de William Christie et habitué de ce répertoire comme on a récemment pu le constater lors du Festival de Thiré. On retiendra notamment son excellente prestation dans le rôle du Spartiate à la scène 5 de l’acte I. Compte tenu des rôles de moindre importance qui leur sont confiés, on passera rapidement sur le chant de Jean Teitgen et de Marc Labonnette, qui ne souffrent aucune critique.
En revanche, on éprouve une certaine déconvenue en entendant John Tessier dans le rôle de Castor. Si le medium est soigné, la voix s’avère beaucoup plus fragile dans le registre un tant soit peu aigu et a rapidement tendance à dévier de sa trajectoire... Ce que l’on pouvait prendre pour un défaut dû à une «mise en route» un peu laborieuse ne disparaîtra jamais complètement de l’opéra, amoindrissant ainsi l’effet que l’on pouvait attendre de certains airs ou duos (la scène 7 de l’acte IV où les deux frères se retrouvent aux Enfers). La vraie déception viendra néanmoins des voix féminines qui, défaut majeur, souffrent d’un évident problème de prononciation. Qu’il s’agisse de Cléone et Phœbé à la première scène du premier acte ou, par exemple, de l’air de la suivante d’Hébé «Goûtons des cieux la paix durable» (acte III, scène 4), le surtitrage des paroles (en français) est nécessaire en plus d’une occasion. Quant à la beauté vocale, seule Omo Bello nous fera soupirer même si l’on était en droit d’attendre davantage. En revanche, mais on pouvait s’en douter, le Chœur du Concert Spirituel fut d’une irréprochable justesse vocale et de ton de la première à la dernière note.
La mise en scène de Christian Schiaretti était attendue et, là aussi, il faudra ronger son frein. Le décor d’entrée – une mise en abyme du Théâtre des Champs-Elysées avec la reproduction de son lustre et de ses colonnes – était une bonne idée pour permettre au public d’avoir le sentiment de vivre l’action au plus près. Mais ce qui domine, c’est surtout le manque d’imagination, la banalité, la répétition et l’absence d’adéquation de la mise en scène avec la musique. Les personnages n’investissent guère la scène, se contentant de poses souvent sans intérêt. Par ailleurs, comme on avait d’ailleurs pu le reprocher à Bob Wilson dans sa mise en scène du Couronnement de Poppée il y a quelques mois à l’Opéra Garnier, on a du mal à comprendre que la très belle scène de retrouvailles entre les deux frères Castor et Pollux s’effectue alors que l’un comme l’autre ne font que regarder le public sans même se jeter un regard et qu’aucun élan physique ne pousse l’un vers l’autre. C’est incompréhensible au sens propre du terme! De plus, on sait que l’opéra compte de nombreux intermèdes musicaux où seule la danse a sa place mais comment ne pas trouver lassantes les mêmes interventions des danseurs, les mêmes chorégraphies, chaque intervention étant de ce fait attendue et sans surprise (signalons néanmoins pour très regrettables les sifflets lancés à l’adresse des danseurs au moment des saluts, ceux-ci n’étant évidemment pas responsables de l’impéritie de la mise en scène)? En outre, lorsque Pollux se condamne à la fin de l’acte IV, pourquoi faire intervenir deux danseurs alors qu’un jeu adroit de lumières ou une théâtralité plus intense aurait amplement suffi? On en finirait par se demander si, avec un peu d’audace et d’imagination, mettre en scène un opéra n’est pas à la portée de beaucoup de monde. Heureusement, l’orchestre est là: paradoxalement, un opéra à venir écouter les yeux fermés.
Le site de John Tessier
Le site d’Edwin Crossley-Mercer
Le site d’Omo Bello
Le site de Michèle Losier
Le site de Reinoud Van Mechelen
Le site de Hasnaa Bennani
Le site de Marc Labonnette
Le site du Concert Spirituel
Sébastien Gauthier
|