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Grand seigneur méchant homme

Paris
Opéra Bastille
10/10/2014 -  et 13, 16*, 19, 22, 24, 26, 27, 29 octobre, 1er, 4, 8, 10, 12, 13, 15, 17, 21, 25, 28 novembre 2014
Giacomo Puccini : Tosca
Martina Serafin*/Oksana Dyka/Béatrice Uria-Monzon (Tosca), Marcelo Alvarez*/Marco Berti/Massimo Giordano (Mario Cavaradossi), Ludovic Tézier*/George Gagnidze/Sebastian Catana/Sergey Murzaev (Il Barone Scarpia), Wojtek Smilek*/Carlo Cigni (Cesare Angelotti), Carlo Bosi*/Eric Huchet (Spoletta), Francis Dudziak*/Luciano di Pasquale (Il Sagrestano), André Heyboer (Sciarrone), Andrea Nelli (Un carceriere), Soliste de la Maîtrise des Hauts-de-Seine (Un pastore)
Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Daniel Oren*/Evelino Pidò (direction musicale)
Pierre Audi (mise en scène)


(© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


Qu’il pèse lourd, cet énorme crucifix de bois, posé à même la scène au premier acte, suspendu ensuite, écrasant de sa masse les protagonistes broyés par la tragédie ! Façon de rappeler que, dans Tosca, sabre et goupillon sont les indissociables piliers d’un système policier qu’incarne le pervers baron Scarpia, aussi bigot que cruel. A la fin, pourtant, l’oppression fait place à la rédemption, comme si le calvaire de l’héroïne arrivait à son terme : sur une sorte de bivouac en lieu et place de terrasse du Château Saint-Ange, Tosca s’avance vers un cercle de lumière. La mise en scène joue d’ailleurs beaucoup sur les éclairages, grâce à Jean Kalman : le drame est un combat de la nuit et de la clarté. Voilà ce qu’on retiendra de la production de Pierre Audi, qui remplace celle de Werner Schroeter, remisée après avoir rendu, pendant deux décennies, de bons et loyaux services. Pour le reste, peu à dire : le directeur de l’Opéra d’Amsterdam s’en tient à une convention depuis longtemps éprouvée, marquée par un naturalisme sans complexe, avec encensoirs et goupillons, une grande toile dans le plus pur style pompier pour le portrait peint par Mario, un bourreau musculeux bardé de cuir pour son interrogatoire. La direction d’acteurs ne lésine pas sur la convention, très efficace au deuxième acte, par exemple, très tendu… sauf quand elle devient tellement outrée qu’on est près de sourire – l’arrivée de Mario au troisième acte et son lamento, de ce point de vue, ne sont guère crédibles. Il y a alors quelque chose de mélodramatique, de désuet, qui semble remonter à l’époque de Victorien Sardou. Mais l’ensemble se tient, témoignant d’un artisanat solide : Pierre Audi connaît son métier.


Cette tension ne trouve pas vraiment d’écho dans la fosse : Daniel Oren préfère diriger en coloriste, en peintre d’atmosphères, souligner les subtilités quasi impressionnistes de l’orchestre de Puccini, à la faveur de tempos modérés et d’une approche plus symphonique que théâtrale. Ce refus de pousser le vérisme à ses extrémités nous épargne ainsi les disparités fâcheuses de sa Traviata ratée. Déjà entendue dans le rôle, la Tosca de Martina Serafin a pour elle un timbre charnu, une tessiture homogène malgré des aigus parfois forcés, une élégance du phrasé – très belle Prière. Et un tempérament dramatique au service d’une interprétation très passionnée. On la trouvera seulement, dès son apparition dans l’église, plus bourgeoise que diva, ce qui prive un peu le personnage d’une dimension essentielle. Marcelo Alvarez aime osciller entre piani suaves et forte triomphants, Mario stylé, sans excès de pathos, pâtissant néanmoins parfois d’une émission hétérogène, conséquence probable de prises de rôle éprouvantes : ici ou là le timbre perd de son soleil et devient un peu gris. Annoncé malade le jour de la première, Ludovic Tézier avait dû annuler la représentation précédente : il faudra donc réentendre le baryton français dans la pleine possession de ses moyens. Il n’empêche : même si elle se projette inégalement, la voix tient le coup, souvent avec superbe, et la ligne, surtout, ne dévie jamais, le beau chant n’enlevant rien à la noirceur du personnage. Bien au contraire : ce Scarpia d’une cruauté raffinée, d’une perversité subtile, pourrait être un personnage du marquis de Sade, grand seigneur méchant homme plus que policier lubrique. C’est lui, au fond, qui fait le prix de cette Tosca où les seconds rôles sont parfaitement caractérisés.


Une deuxième, puis une troisième distribution prendront bientôt le relais. Vingt représentations au total. Remplira-t-on toujours le vaisseau de Bastille ?



Didier van Moere

 

 

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