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«Foutaises, conneries...»

Strasbourg
Opéra national du Rhin
09/27/2014 -  et 30 septembre, 2 (Strasbourg, 10 (Mulhouse) octobre 2014
Régis Campo : Quai ouest
Paul Gay (Maurice Koch), Mireille Delunsch (Monique Pons), Marie-Ange Todorovitch (Cécile), Hendrickje Van Kerckhove (Claire), Christophe Fel (Rodolfe), Julien Behr (Charles), Fabrice di Falco (Fak)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Marcus Bosch (direction)
Kristian Frédric (mise en scène), Bruno de Lavenère (décors), Gabriele Heimann (costumes), Nicolas Descoteaux (lumières)


(© Alain Kaiser)


Créée en 1986 à Nanterre, la pièce Quai ouest de Bernard-Marie Koltès est une sorte de classique du théâtre contemporain, une valeur réputée sûre. S’y croisent des personnages d’origines sociales variées que les caprices de la fortune ont tous conduit à s’échouer là, dans un hangar portuaire abandonné, au bout de nulle part. Atmosphère de fin de partie, de non-retour. Trop de gens ici se sentent superflus, nuisibles, en recherche d’un nouvel équilibre fût-ce au prix du suicide ou du meurtre. Un théâtre assez nouveau pour l’époque, qui tire les leçons de Beckett en y ajoutant une sensibilité et une flamboyance particulières, nourries d’expériences personnelles cosmopolites. En 1986, ce fut même un phénomène de mode. On allait s’émerveiller en banlieue, devant de grandes sociétaires en train de jouer les cas soc’ avec une classe folle. C’était bizarre et poignant : un rideau fugitivement levé sur d’atroces coins de misère humaine, personnages de ratés d’autant plus fascinants qu’ils restaient fondamentalement lointains et qu’on pouvait les oublier ensuite. Un théâtre douloureux mais cependant distancié et par là même supportable, voire chic. Créditons, sûrement, Bernard-Marie Koltès et Patrice Chéreau, de s’être eux-mêmes amusés de ce décalage.


A l’opéra, malheureusement, cette distance se transforme en béance, pour plein de bonnes raisons inhérentes aux conventions du genre, qui fonctionnent avec autant d’implacabilité nuisible que le fatum social de la pièce d’origine. Il faut restreindre le texte à un minimum minimorum pour laisser plus de place à la musique : ce travail ardu a été réalisé avec beaucoup de scrupules par Kristian Frédric et Florence Doublet. C’est très bien fait mais en lieu et place d’un poisson entier on nous sert une arête centrale et des nageoires. A nous d’imaginer que tout autour il y a une chair, des monologues, une richesse verbale. C’est difficile ! Il faut que les phrases soient chantées mais restent compréhensibles. Là aussi c’est assez réussi, mais au prix d’une déclamation atone en valeurs longues qui recouvre toute tentative de vie d’un vernis rigide. Régis Campo se condamne à faire du mauvais Monteverdi et du très mauvais Debussy, là où coller un peu plus au sujet requerrait du cri, du paroxysme, du nerf à vif. C’était là un sujet pour un Georges Aperghis ou un Ahmed Essyad, vraies canailles de l’opéra, qui auraient pu y insuffler du corps et de la tripe. Ici le résultat est simplement plat, voire dangereusement ridicule quand Mireille Delunsch doit varier son petit air joliment découpé sur «J’en ai trop marre de vos conneries» ou quand Marie-Ange Todorovitch doit ululer longuement des «Putasses» avec une dégaine de Carmen qui s’est trompée de plateau.


Reste l’ambiance générale, les magnifiques décors de Bruno de Lavenère, clairs-obscurs de brique et de métal, la mise en scène compétente mais un peu compassée de Kristian Frédric, et la lucidité d’un excellent casting, avec quelques adéquations géniales (émouvante et cristalline Hendrickje Van Kerckhove en Claire pitoyablement victime, Fabrice di Falco en Falk jouissivement pervers, Paul Gay comme à son habitude très franc et massif, idéal pour le rôle de Maurice Koch, voire Mireille Delunsch qui assume bien le ridicule sous-jacent à son emploi de secrétaire élégante perdue dans la jungle). Reste aussi un certain art de la création d’ambiances à l’orchestre, avec un peu de brume portuaire dans les effets impressionnistes, un peu de guitare électrique et de synthé pour faire métissé, et malheureusement beaucoup trop de remplissage de mesures avec des gammes qui tantôt montent et tantôt descendent. De la musique en petite boucles, que même un certain raffinement d’orchestration ne peut faire paraître mieux qu’utilitaire. Excellente tenue de l’Orchestre de Mulhouse pourtant, qui ennoblit même la chose en y rajoutant un certain fondu, un confort douillet, sous la direction attentive de Marcus Bosch.


Heureusement, après trois quarts d’heure, Régis Campo parvient à nous faire, enfin, de l’opéra, avec quelques beaux ensembles, dont un trio vocal féminin d’une écriture hédoniste et dense («La nuit va tomber à toute vitesse»). Le temps se distend, un peu de magie opère. On y est ! Mais c’est aussi le moment où le texte de Koltès est oublié, éclaté, perdu de vue... Une fausse bonne idée que de s’être attaqué à ce théâtre-là ?



Laurent Barthel

 

 

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