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Musiciens en guerre (2)

Prades
Codalet (Abbaye Saint-Michel de Cuxà)
08/08/2014 -  
Richard Strauss: Capriccio, opus 85: Sextuor à cordes [1]
Paul Hindemith: Quatuor pour clarinette, violon, violoncelle et piano [2]
Gideon Klein: Trio à cordes [3]
Dimitri Chostakovitch: Quintette avec piano, opus 57 [4]

Michel Lethiec [2] (clarinette), Olivier Charlier [1], Mark Gothoni [3], Mihaela Martin [1], Kyoko Takezawa [2] (violon), Nobuko Imai [1], Bruno Pasquier [1], Hartmut Rohde [3] (alto), Frans Helmerson [1], Arto Noras [1], François Salque [3], Niklas Schmidt [2] (violoncelle), Itamar Golan [4], Oliver Triendl [2] (piano), Quatuor Talich [4]: Jan Talich, Roman Patocka (violon), Vladimir Bukac (alto), Petr Prause (violoncelle)


F. Helmerson, A. Noras (© Nemo Perier Stefanovitch)


Entamée l’après-midi au prieuré de Marcevol, la journée que le festival Pablo Casals consacre à la commémoration des deux guerres mondiales s’achève le soir en l’abbaye Saint-Michel de Cuxà: après «L’Europe des ténèbres», autour de la «grande guerre», voici donc «L’Europe de la folie». Pour ce faire, Michel Lethiec, le directeur artistique, a de nouveau choisi quatre œuvres, elles aussi fort différentes, allant du trio au sextuor, écrites entre 1938 et 1944, et qu’il présente également au public.


A la différence de la Première Guerre mondiale, que Casals avait passée aux Etats-Unis avec son épouse, la soprano américaine Susan Metcalfe, la Seconde revêt un retentissement particulier au regard de la personnalité du violoncelliste catalan, fondateur du festival: fuyant le régime franquiste, il se réfugia à Prades en 1939 et, sinon pour des concerts de bienfaisance qu’il acceptait de donner malgré le dénuement dans lequel il vivait lui-même, refusa de se produire en public jusqu’en 1950, à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la mort de Bach, première édition, de fait, de ce qui devait devenir le «festival de Prades».


Indépendamment des questions qu’appelle l’attitude de Strauss sous le Troisième Reich, Capriccio (1941), son dernier opéra, est – délibérément – hors du temps, même s’il fut finalement rattrapé par les événements: en octobre 1943, l’Opéra de Munich, où il avait été créé un an plus tôt, fut détruit au cours d’un bombardement. Cette «conversation en musique» marivaudant dans la France du XVIIIe sur la rivalité entre les notes et les paroles s’ouvre, d’une façon pour le moins inhabituelle, sur un sextuor à cordes. Typique de la sérénité mozartienne du dernier Strauss, il est servi ici par un de ces ensembles dont Prades a le secret, où s’illustrent notamment le violon de Mihaela Martin et le violoncelle d’Arto Noras.


Contrairement à ce qu’indique Michel Lethiec, Hindemith, pour lequel Furtwängler avait courageusement pris parti dès 1934 au moment de l’affaire de la Symphonie «Mathis le peintre», n’a pas quitté l’Allemagne parce qu’il était juif: qualifié de «théoricien de l’atonalité» et d’«étroitement lié aux juifs», il fut l’un des rares non-juifs à faire partie de ceux que visait à dénoncer l’exposition «Musique dégénérée» en 1938 à Düsseldorf. Ses œuvres étant interdites et l’hostilité du régime nazi avérée, il quitta Berlin en août 1938 pour rejoindre la Suisse en 1938, où fut créé Mathis le peintre, avant de gagner les Etats-Unis et c’est d’ailleurs à New York en avril 1939 qu’eut lieu la première exécution de son Quatuor pour clarinette, violon, violoncelle et piano, écrit l’année précédente. Assez développée, l’œuvre, qui reste assez peu connue, tient du divertissement tout en offrant des moments poétiques relativement inattendus de la part du compositeur (début et fin du deuxième mouvement, fin du troisième – avant une coda déchaînée), avec de longues mélodies permettant à Michel Lethiec de mettre en valeur son sens du phrasé.


Trois ans plus tard, c’est dans un stalag que Messiaen écrivit pour la même formation – de fortune, en l’espèce – son Quatuor pour la fin du Temps. Gideon Klein (1919-1945), quant à lui, écrivit l’essentiel de son œuvre en captivité, car il fut l’un des nombreux musiciens – compositeurs (Haas, Krása, Ullmann) ou interprètes (Ancerl, Berman) déportés à Terezin – ce camp de concentration où les nazis avaient organisé une vie culturelle intense à des fins de propagande. Le Trio à cordes fut la dernière œuvre qu’il y acheva, en octobre 1944, neuf jours avant son transfert à Auschwitz. De brefs mais robustes Allegro spiccato et Molto vivace, avec une saveur populaire et une vigueur épicée pouvant évoquer Janacek et Hindemith, encadrent un bouleversant mouvement central, beaucoup plus long, en forme de variations sur un chant populaire morave. Mark Gothoni, Hartmut Rohde et François Salque impressionnent par leur virtuosité et leur concentration dans cette partition à la fois concise et spectaculaire, que les spectateurs accueillent avec enthousiasme.


En seconde partie, le Quintette avec piano (1940) de Chostakovitch témoigne d’une Union soviétique qui, à l’abri de son pacte d’août 1939 avec l’Allemagne, n’est pas encore en guerre. Cela étant, la situation intérieure, à la fin des années 1930, avait été lourde de menaces pour le compositeur: foin du néoclassicisme, par conséquent, dans l’interprétation d’Itamar Golan, d’emblée (un peu trop) survolté, au point de prendre quasiment de vitesse ses partenaires, qui s’étaient tout juste installés. Le Prélude sera donc intensément dramatique et la Fugue tout sauf académique, même si le Quatuor Talich ne partage pas tout à fait cette volonté du pianiste d’en découdre à tout prix et de jouer sans cesse avec les tripes. Mais si l’harmonie n’est pas complète, le résultat n’en est pas moins prenant, à l’image du Scherzo, véritable danse infernale que les artistes reprennent en bis.


Le site de Kyoko Takezawa
Le site de Hartmut Rohde
Le site de Niklas Schmidt
Le site du Quatuor Talich



Simon Corley

 

 

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