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05/11/2006
Un nouveau commerce de la virtuosité

Alexandre Dratwicki
Editions Symétrie – 444 pages, 50 €



Contrairement à une idée largement répandue, ce n’est pas la musique vocale qui tient le haut du pavé à Paris au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, mais la musique concertante: telle est l’une des conclusions importantes de cet ouvrage qui, sous-titré “Emancipation et métamorphoses de la musique concertante au sein des institutions musicales parisiennes (1780-1830)”, jette ainsi un éclairage nouveau sur une période encore assez peu connue et appréciée de la musique française.


Issu d’une thèse de doctorat d’Etat en musicologie soutenue sous la direction de Jean Gribenski en 2003 – la richesse des exemples musicaux, de la bibliographie et des annexes (complétées par un précieux index des personnes) en témoigne – ce travail entend en effet démontrer que la symphonie concertante, genre à la fois éminemment français et chronologiquement circonscrit, va, bien au-delà du seul champ du concert qu’elle occupe solidement dès les années 1770, infiltrer de façon rapide et éclatante les institutions musicales de la capitale, à l’exception notable des cantates pour le prix de Rome, préservées par un “académisme”, celui de l’Institut de France, nécessairement moins sujet aux effets de mode. L’opéra, le ballet et même la musique religieuse font en revanche une large place à ce style concertant, non seulement dans des développements purement instrumentaux (ouvertures, entractes) mais aussi dans les morceaux vocaux (airs, ensembles), même si c’est parfois au grand dam des commentateurs de l’époque.


Ce processus de mutation et d’adaptation de la symphonie concertante répond à une attente d’un public friand des joutes brillantes que peuvent ainsi se livrer deux (notamment deux violons) à sept virtuoses, à la différence du concerto soliste, paradoxalement moins conflictuel et, partant, moins spectaculaire, en ce que l’orchestre est réduit à un pur rôle d’accompagnement. Soutenu par des annonces, des affiches et, surtout, les commentaires des journaux, qui ne manquent jamais de mettre en valeur les prouesses des artistes, ce mouvement marque également l’apogée d’une génération de musiciens – Baillot, Kreutzer et Rode (violon), Levasseur (violoncelle), Hugot et Tulou (flûte), Sallantin (hautbois), Lefèvre (clarinette), Delcambre et Ozi (basson), Duvernoy (cor), Dalvimare et les frères Naderman (harpe) – non seulement particulièrement doués dans leur art, écrivant d’ailleurs souvent eux-mêmes leurs propres morceaux, mais non moins habiles à monnayer chèrement leur talent ainsi qu’à occuper différents postes fixes, et que l’on qualifierait donc sans doute aujourd’hui aussi bien de vedettes que de cumulards...


La démarche d’Alexandre Dratwicki est originale en ce sens que n’abordant que marginalement les aspects esthétiques des très nombreuses oeuvres répertoriées et nullement dupe de la valeur musicale généralement limitée de ces pièces, il s’attache bien davantage à en explorer la substance et la portée “sociologique” qu’à tenter de les réhabiliter. Le sérieux de la recherche musicologique, étayée par le dépouillement d’un nombre considérable de manuscrits et partitions, ne rend pas la lecture pesante pour autant, faisant au contraire partager de façon vivante au lecteur les goûts et usages finalement assez superficiels de ces temps troublés de l’histoire de France.


L’on sourit même à mainte occasion des aberrations que cette tendance a pu susciter, que ce soit la querelle (épistolaire) des harpistes faisant valoir leurs prétentions professionnelles ou bien les réactions du public de l’Opéra lorsque Baillot dut renoncer à exécuter une prestation, une scène tumultueuse qui n’a rien à envier aux concerts rock du début des années 1960...


Simon Corley

 

 

 

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