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04/08/2022
Niccolò Castiglioni : Un musicien en hiver
Essais et entretiens (1956‑1996) sous la direction d’Angelo Orcalli et Laurent Feneyrou
Editions Aedam Musicae – 430 pages – 33 euros


Sélectionné par la rédaction





Niccolò Castiglioni (1932‑1996) s’est longtemps résumé pour nous à un nom parmi d’autres, noyé dans la séquelle des seconds couteaux de Darmstadt – le coffret de quatre disques Col Legno « 50 ans de Nouvelle Musique à Darmstadt » comprenait Cansonante et Inizio di movimiento. On retenait surtout le pédagogue estimé, qui compta notamment Esa‑Pekka Salonen parmi ses élèves. Puis plusieurs disques, au premier rang desquels celui au fort rayonnement de Gianandrea Noseda et de l’Orchestre symphonique national danois (Chandos), nous invitèrent à réévaluer l’œuvre de ce créateur dont l’univers poétique, des plus singuliers, tient à autant à une prédilection pour les sonorités claires, cristallines, à mi‑chemin entre l’ironie et le divertissement, qu’à une passion très individuelles pour les textures aérées et transparentes (Alessandro Solbiati a observé que ses pièces ne « connaissent pas la clé de fa »).


Dans les écrits ici proposés, il est moins question de son œuvre que du regard que porte le musicographe, musicologue et compositeur Niccolò Castiglioni sur l’histoire de la musique, les principaux courants qui la balisent et certaines grandes figures qui la traversent. Ces écrits sont précédés d’un avant‑propos de Stefano Gervasoni, l’un de ses anciens élèves, et de deux études. La première est signée de Laurent Feneyrou, maître d’œuvre et traducteur de l’ouvrage. Son regard se concentre sur l’esthétique de Castiglioni, insistant sur son savoir très étendu – touchant autant à la musique qu’à la philosophie et aux mystiques du Moyen Age –, son amour inconditionnel de la nature, du froid (de là le sous‑titre du livre et les allusions fréquentes à Grieg), un « sens du paysage » aussi, qu’il partage avec Schubert (celui du Voyage d’hiver bien sûr), jusqu’aux titres de certains opus (Momenti musicali, Impromptus). La seconde étude, de facture plus musicologique, est signée d’Angelo Orcalli : un parcours de l’œuvre par le truchement des pièces les plus significatives, émaillé d’exemples musicaux, quarante pages denses et parfois abstruses au non‑initié, mais résumant bien la trajectoire du Milanais, des débuts fracassants à Darmstadt (remarquable pianiste, Castiglioni y défend au clavier ses propres partitions) à sa dernière manière où sérialisme et tonalité font bon ménage. On regrettera simplement que soit repris ici mot pour mot un document déjà disponible sur le site de l’Ircam (voir ici).


Les textes retenus ont été publiés dans des périodiques italiens de premier plan ou sont des préfaces ou des chapitres d’ouvrage, auxquels font suite six brefs entretiens publiés dans des revues (pour la plupart italiennes). Castiglioni « étudie plus volontiers les marges, les bords, ces moments où le continuum se brise et où l’histoire se configure autrement », précise Laurent Feneyrou.


On veillera cependant à les contextualiser : la plupart de ces écrits datent des années 1956‑1970, c’est‑à‑dire avant le tournant stylistique opéré à la mi‑temps des années 1970. Si l’admiration pour Webern – qui eut le mérite inappréciable, aux côtés de Stravinsky, de conjurer tout expressionnisme et postromantisme caloriques – ne se tarira jamais, l’aspiration à un « continuel effort de purification » qu’il verse à son crédit n’est pas sans ambiguïté eu égard à la production ultérieure de Castiglioni, prodigue en citations, pastiches et autres stylèmes de la musique tonale d’époques diverses. A cet égard, il se rapprocherait davantage de l’impureté d’un Berg.


Il faut dire que l’homme cultive un certain esprit de contradiction, sinon de provocation : ainsi lorsqu’il dresse un parallèle entre Webern et Grieg, ou quand il multiplie les formules choc (« En ce sens, Bach, dans Le Clavier bien tempéré, commence à mettre en crise le système tonal »). Ses contemporains pour lesquels il éprouve le plus de sympathie ? Ligeti, Maxwell Davies et... Penderecki (cf. entretien de 1995) ! Peut‑être faut‑il voir là une simple main tendue à un autre « proscrit » de la musique contemporaine, au surplus de confession catholique comme lui.


Le Langage musical de la Renaissance à aujourd’hui, brillantissime opuscule, constitue un excellent épitomé, plein d’esprit et de savoureuses métaphores. Quant aux essais, il n’est que de citer leur titre pour prendre la mesure de la culture encyclopédique de Castiglioni : Signification historique de l’opéra dans la première moitié du XVIIe siècle, Cabale et amour entre Schiller et Verdi, La Valeur du silence et de la durée dans le langage musical contemporain, Objectifs et limites de l’analyse musicale, Naissance et crise du système tonal, Sur le rapport entre texte et musique dans la Seconde Cantate de Webern Mais Webern a aussi eu, et plus que tout, le mérite de garantir au mot la possibilité de conserver intacte sa richesse phonique, qui n’est donc pas supprimée, ou piétinée par la phonétique musicale, mais subsumée et valorisée »), Problèmes de méthode critique, Sur le Complexus effectuum musices de Johannes Tinctoris », Debussy ou le retour "zu den Tönen selbst", Les Etudes (« Le gravicembalo existait avant Scarlatti et Scarlatti n’a rien eu d’autre à faire qu’à le découvrir. Dans le cas de Chopin, le rapport s’inverse. En un certain sens, le piano n’existait pas avant Chopin. »), Les Ecrits de Haydn, Du goût et de la liberté, Hétéronomie de l’expérience musicale, Musique : symbole et civilisation, Les Internationale Ferienkurse für neue Musik de Darmstadt en 1961 », Intentionnalité poétique et langage musical, A jouer tous les jours de la semaine (petit traité de style bourré d’humour : « Je proteste une fois encore contre la nouvelle musique, parce qu’elle relève toujours de la monodie. Des compositions comme les Klavierstücke de Stockhausen ou Eclat de Pierre Boulez sont purement monodiques. Mais la musique authentique, comme les Concertos brandebourgeois de Bach, fait usage d’un style concertant. »), Notes pour une perspective historique montéverdienne.


Dans la catégorie « Essais dans des ouvrages », on retiendra particulièrement l’étude sur Brahms (« Chez Brahms, l’absence de conscience de soi historique est plus que rare, elle est unique »).


Après l’édition et la traduction française des écrits, il serait souhaitable que la musique de Niccolò Castiglioni intégrât les programmes de concerts pour parfaire cette salutaire entreprise de réhabilitation.


Jérémie Bigorie

 

 

 

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