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05/05/2019
Compositrices. L’Egalité en acte
Ouvrage collectif
Centre de documentation de la musique contemporaine, Editions MF – 488 pages – 21 euros


Sélectionné par la rédaction





L’origine de ce brûlot? Un constat alarmant: l’inégalité persistante entre les hommes et les femmes dans le spectacle vivant. Son ambition? Mener une enquête historico-sociologique, brosser le portrait de quelques grandes figures féminines de la musique d’aujourd’hui, tordre le cou aux idées reçues... et, à la question hélas toujours d’actualité posée en son temps par Patrick Juvet, répondre que les femmes sont bel et bien présentes, n’en déplaise aux phallocrates impénitents.


Préfacé par Françoise Nyssen, le livre est organisé en deux parties. La première rassemble quatorze articles théoriques. Dans «La voix comme figure de l’émancipation», Geneviève Fraisse revient sur la construction de la femme artiste en s’arrêtant sur la figure attachante d’Hélène de Montgeroult. L’enquête menée par Florence Launay décortique les moyens controuvés par lesquels s’est opérée «L’occultation des compositrices dans l’histoire de la musique». Compte rendu imparable: l’histoire «mentait par omission», puisqu’«on est actuellement en présence de deux histoires de la musique qui ne se rencontrent toujours pratiquement pas: une histoire dominante quasiment masculine et une histoire marginale des musiciennes». David Christoffel se focalise quant à lui sur l’origine du mot «compositrice», dont la première occurrence, apprend-on, remonte à la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française, au début des années 1930.


S’agissant de la programmation des salles de concert, David Verdier («Programmer l’égalité») dresse un constat guère reluisant, au diapason de Sylvie Sierra Markiewicz pour ce qui concerne les «Compositrices dans les commandes musicales d’Etat depuis vingt ans». Très documentée, tableaux statistiques à l’appui, la sociologue et musicologue Hyacinthe Ravet analyse la place des femmes dans le milieu de la création musicale. Si Viviane Waschbüsch réserve ses flèches les plus acérées aux journalistes qui, souvent inconsciemment, véhiculent des propos misogynes, n’y a-t-il pas cependant, comme Isabelle Aboulker nous invite à l’observer («Trois compositrices pour le jeune public», par François-Gildas Tual), «une sorte d’amour maternel dans l’acte d’écrire pour les petits»? Son catalogue témoigne avec succès de cette inclination. Et la direction? Dans un entretien conduit par David Verdier, Susanne Mälkki, sans doute la cheffe la plus renommée dans le domaine de la musique contemporaine aux côtés de Claire Gibault et Dominique My, rêve d’une «... étape où l’on n’évoquera plus le fait d’être une femme avant même de parler de la qualité de son travail en tant qu’artiste».


La seconde partie présente un panorama de cinquante-trois compositrices en exercice en France, d’Isabelle Aboulker à Agata Zubel, que complètent une bibliographie et une discographie sélectives.


Bien que certaines contributions de la première partie nous aient semblé d’un intérêt relatif (ainsi du chapitre «Les Sutartines : une tradition musicale féminine en Lituanie»), ce vibrant plaidoyer est à la fois très instructif et salvateur puisqu’il contraint les journalistes à venir à résipiscence. En les incitant à surveiller leurs expressions désobligeantes à l’endroit de la féminité, en brossant un panorama historique inédit sur l’inégalité hommes/femmes et en présentant une pléiade de compositrices peu ou pas connues, il n’est pas sans infliger, pour paraphraser Freud, ses «Trois blessures narcissiques» au sexe fort.


Compositrices. L’Egalité en acte est d’une implacable clairvoyance, et donc d’un pessimisme d’airain. Mais établir le juste diagnostic, c’est du même coup indiquer la voie de la rédemption. Puisse la parution de ce maître-ouvrage jointe à l’attribution du prestigieux Prix Ernst von Siemens 2019 pour la première fois à une femme, la Britannique Rebecca Saunders (*), augurer d’un avenir radieux aux compositrices.


De plus amples informations, ainsi que la liste de l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs, sont accessibles sur le site des Editions MF.


(*) Lu dans le programme du festival Présences 2019, au sujet de la pièce pour piano Crimson (2005) : «Saunders est consciente qu’un art surgi de l’agressivité féminine continue d’être un tabou: "Même les collègues les plus tolérants ont un problème avec le fait qu’une femme exprime si clairement des agressions dans son art."» Poursuivons le combat!


Jérémie Bigorie

 

 

 

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