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01/18/2019
Richard Newman: Alma Rosé. De Vienne à Auschwitz
En collaboration avec Karen Kirtley – Traduit de l’anglais (Canada) par Anne-Sylvie Homassel
Notes de nuit – 494 pages – 22 euros


Must de ConcertoNet





Un destin extraordinaire et tragique: fille d’Arnold Rosé, premier violon des Wiener Philharmoniker et du quatuor du même nom, nièce, par sa mère, de Gustav Mahler, Alma Rosé (1906-1944) vit une jeunesse dorée et mène une carrière de violoniste, avant d’être déportée à Auschwitz, où elle meurt, loin de son père, exilé en Grande-Bretagne, et de son frère, Alfred, refugié aux Etats-Unis.


L’auteur, Richard Newman, décédé en 2011 (l’ouvrage parut en anglais avant d’être traduit pour Notes de nuit), a mené pendant deux décennies un colossal travail d’investigation pour retracer avec précision la vie de la musicienne. Les noms des personnalités gravitant de près ou de loin autour cette femme, qui épousa le violoniste Vása Príhoda, donne le tournis: Gustav Mahler, bien sûr, qu’Alma connu enfant, Bruno Walter, Rudolf Bing, Leo Slezak, pour ne citer que quelques-uns. Il faut lire les premiers chapitres pour se rendre à quel point les Rosé comptaient à Vienne à l’époque.


Le contraste est ainsi saisissant entre le quotidien riche et épanouissant de la famille avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir et les dramatiques événements qu’ils subissent ensuite. Alors que le frère, Alfred, s’installe aux Etats-Unis, Alma, divorcée, et son père – la mère décéda entre temps – s’enfuient à Londres, non sans difficultés – cet épisode, superbement retracé, se lit comme un roman. Croyant pouvoir vivre de la musique aux Pays-Bas, alors épargnés par les nazis, Alma quitta seule et inconsidérément son père, pour ne plus jamais le revoir. Dans ce pays, elle vit d’abord assez confiante, mais en nomade, logée chez l’une ou l’autre connaissance, et se produisant le plus souvent dans des concerts privés, avant de connaître de plus grandes inquiétudes, puis l’angoisse, comme l’attestent les lettres, qui ne circulent que difficilement, ensuite plus du tout. Comme l’étau se resserre, elle se résout à fuir, malgré sa conversion religieuse et son mariage blanc contracté avec un aryen, un individu excentrique, totalement étranger à cette situation.


Arrêtée en 1943 à Drancy, elle est déportée à Auschwitz-Birkenau. La fin de sa vie – moins d’une année – vécue dans ce camp constitue une large partie de la biographie dans laquelle l’auteur décrit avec précision le quotidien de la violoniste et le sort des prisonniers. L’ouvrage possède à ce titre une importante valeur documentaire, notamment parce qu’il présente avec précision et chiffres à l’appui le fonctionnement du camp, une annexe expliquant des termes spécifiques. Très vite, elle fait valoir ses capacités musicales et prend la tête d’un orchestre de femmes qui existait à l’état embryonnaire à son arrivée. Elle le dirige avec passion et d’une main de fer, forte de son expérience, avant la guerre, à la tête d’une formation féminine qu’elle a fondée durant sa jeunesse, les Wiener Walzermädeln.


L’orchestre joue tous les jours à proximité des chambres à gaz. Alma Rosé sauve ainsi de l’extermination de nombreuses prisonnières plus ou moins douées pour la musique – la plupart survécurent au camp. D’un courage et d’une force de caractère admirables, elle bénéficie à Birkenau d’une position relativement privilégiée en tant que kapo, toutes proportions gardées, bien sûr, tant les conditions d’internement dépassent l’entendement. Elle dispose d’une chambre personnelle et sait tenir têtes aux autorités du camp pour obtenir des conditions un tant soit peu décentes pour les membres de l’orchestre, la plupart, jeunes, voire très jeunes. Avoir su pratiquer un art aussi exigeant, la peur au ventre, et dans un contexte aussi effroyable, ne cesse de fasciner, tant tout ceci paraît irréel, mais Alma Rosé et ses musiciennes y sont parvenues, avec un niveau de finition plus que satisfaisant, selon de nombreux témoignages.


Sa disparition est brutale: prise soudainement de maux violents, elle succombe le 5 avril 1944 d’une foudroyante maladie. Un doute subsiste sur la nature exacte du mal, mais il s’agit vraisemblablement de botulisme – à trente-huit ans, seulement. Son vieux père, accablé par le chagrin, lui survit encore quelques années. Un temps évoquée, la thèse du suicide semble écartée, de même celle d’un empoisonnement. Il est vrai qu’Alma Rosé, au caractère difficile, ne se fit pas que des amis.


Alma Rosé. De Vienne à Auschwitz suscite la plus grande admiration, non seulement pour son sujet, qui a fait naguère l’objet d’un téléfilm – contestable sur la forme comme sur le fond, à en croire ce livre – mais aussi pour le travail d’investigation de longue haleine que cet ouvrage captivant représente. Nous percevons la passion de l’auteur pour son sujet, qu’il traite avec la plus grande intégrité. Il faut aussi signaler l’excellente traduction de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, d’une rare qualité littéraire. Pour tous ceux aiment l’Histoire et la musique, nous ne pouvons que franchement recommander la lecture de cette magistrale et inoubliable biographie.


Sébastien Foucart

 

 

 

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