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08/15/2014
Georg Friedrich Händel : Belshazzar, HWV 61
Allan Clayton (Belshazzar), Rosemary Joshua (Nitocris), Caitlin Hulcup (Cyrus), Iestyn Davies (Daniel), Jonathan Lemalu (Gobrias), Jean-Yves Ravoux (Arioch), Geoffroy Buffière (Un messager), Thibaut Lenaerts, Michael-Loughlin Smith, Damian Whiteley (Sages), Les Arts Florissants, William Christie (direction)
Enregistré au conservatoire Maurice Ravel de Levallois-Perret (19-21 décembre 2012) – 165’
Coffret de trois disques Editions Les Arts Florissants-William Christie AF.001 – Notices de William Christie, Donald Burrows et Pascal Duc, et traduction bilingue (français et anglais) des textes chantés, livre de Jean Echenoz et traduction bilingue (français et anglais)


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On peut interpréter l’édition de ces trois disques d’au moins deux différentes manières. Le fait qu’il s’agisse du premier opus édité dans la toute nouvelle maison, les Editions Arts Florissants-William Christie peut signifier que la musique classique conserve un marché et que de nouveaux éditeurs, en fussent-ils également les interprètes (comme de nombreux orchestres l’ont déjà fait, qu’il s’agisse par exemple du Symphonique de Londres ou du Philharmonique de Berlin), y ont toute leur place. Cela peut au contraire signifier que, faute d’éditeur ayant accepté de superviser cet enregistrement, et ce en dépit de la notoriété des artistes impliqués, il ne restait à ces derniers qu’une seule issue: éditer eux-mêmes leur prestation qui, bien qu’enregistrée en studio, a fait l’objet de plusieurs concerts préalables dont un, salle Pleyel, la veille même du début de la session d’enregistrement du présent ouvrage. Au regard du résultat, on ne peut en tout cas qu’espérer que cet enregistrement soit le premier d’une longue liste.


Belshazzar (1745), oratorio en trois actes, fut un échec pour Georg Friedrich Händel (1685-1759), qui venait déjà d’essuyer celui de Hercules. Fondée sur un livret de Charles Jennens, la partition, composée en moins de deux mois, a suscité un sentiment ambigu chez les spectateurs et critiques de l’époque puisque certains se sont demandé s’il s’agissait d’un opéra ou d’un oratorio. Un oratorio, sans grand doute eu égard au sujet et à l’importance des chœurs, mais il est vrai que la caractérisation de chaque personnage (la reine Nitocris) qui, dans la Bible, ne sont pas toujours aussi importants, de même que l’intrigue, concourent à donner à cette œuvre un caractère spécial.


L’histoire intervient alors que la ville de Babylone est assiégée par le roi perse Cyrus. La reine mère, Nitocris, et son fils, le roi Belshazzar, sont donc contraints à attendre leur fin prochaine mais la reine bénéficie de l’appui du sage prophète Daniel, qui l’encourage à louer la Vertu. Alors que Cyrus, avec l’aide du noble assyrien Gobrias, qui souhaite se venger de Belshazzar (celui-ci ayant tué son fils), a fomenté un stratagème – détourner l’Euphrate – pour faire tomber la ville, Belshazzar, raillé par les Juifs, souhaite se venger de ces derniers et décide de boire du vin dans les vases sacrés sauvés du temple de Jérusalem, quitte à subir la colère de Dieu, et ce au milieu des festivités de sa cour, qu’il continue d’entretenir dans une liesse illusoire. Alors que Cyrus, ayant réussi à détourner l’Euphrate, ordonne d’attaquer la ville, une main mystérieuse écrit des paroles que seul Daniel parvient à déchiffrer: elle laisse entrevoir que les jours du roi Belshazzar sont comptés et que la ville de Babylone sera prochainement divisée, provoquant les pleurs de Nitocris. Loin de se repentir comme le lui demande sa mère, Belshazzar continue de festoyer, avant tout de même de partir au combat, où il est tué. Plein de clémence, Cyrus confie alors le royaume de Babylone à Nitocris et promet au prophète Daniel de reconstruire le Temple de Jérusalem.


Händel l’avait lui-même écrit à Jennens: «c’est là un noble ouvrage, très grandiose et peu commun; il m’a fourni des expressions et m’a donné l’occasion de quelques idées bien particulières, en plus de maints chœurs» (cité par Jonathan Keates dans sa biographie de Händel éditée chez Fayard, page 333). Et il est vrai que, même si l’on n’atteint pas les sommets d’Israël en Egypte, Belshazzar bénéficie de chœurs superbes. Qu’il soit enthousiaste («Behold by Persia’s hero made», acte I, scène 3), empli de douceur («By slow degrees the wrath of God to its meridian height ascends» à la fin du premier acte) ou plein de gloire («O glorious prince! Thrice happy they» à la fin de l’acte II), le chœur des Arts Florissants est à son meilleur. Le génie de Händel éclate à chaque instant et on retrouve dans la mélodie, dans l’alternance entre les cuivres éclatants ou les cordes tout en douceur psalmodique, les traits caractéristiques du compositeur. Certains procédés sont en outre particulièrement inventifs et donnent lieu à un résultat incroyable. Ainsi, écoutez le chœur «By slow degrees the wrath of God to its meridian height ascends», d’une très belle ampleur, où le legato de l’ensemble prend de soudaines couleurs à partir de 2’28 lorsque les voix féminines du chœur interviennent a cappella avant que les hautbois ne relancent l’ensemble! Par ailleurs, dans le chœur débutant la scène 1 de l’acte II, «See, from his post Euphrates flies», l’utilisation d’un semichorus donnant la réponse aux interventions du chœur dans son ensemble est également du plus bel effet.


Si les chœurs sont si séduisants dans Belshazzar, c’est également en raison d’une partition orchestrale de toute beauté, dont on se demande d’ailleurs pour quelle raison elle n’est pas plus souvent donnée. William Christie fait montre, comme à son habitude, d’une ferme volonté, conduisant ses troupes là où il le souhaite, sachant varier les ambiances au gré des besoins de la partition. Les hautbois démontrent toute leur dextérité (dans l’air de Cyrus «Dry those unavailing tears» à la scène 3 de l’acte I) quand ce ne sont pas les trompettes qui brillent de tous leurs éclats (en accompagnant le chœur «O glorious prince! Thrice happy they») ou l’orchestre tout entier qui, par sa verve et la puissance de ses effets, font frissonner l’auditeur de plaisir comme cette brève sinfonia à la scène 2 de l’acte II.


Si les chœurs et l’orchestre sont à ce niveau, quelle place reste-t-il pour les chanteurs solistes et, surtout, ceux-ci se hissent-ils au niveau de l’ensemble? Qu’on ne compte pas sur Belshazzar (dont le rôle est ici tenu par Allan Clayton) pour nous répondre. Non pas que celui-ci ne soit pas bon (il suffit d’écouter son air «Let festal joy triumphant reign» au début de la scène 5 du premier acte pour se convaincre du contraire), mais il faut attendre près d’une heure pour que le héros éponyme apparaisse enfin et, au final, celui-ci bénéficie d’assez peu d’airs à son actif. Le personnage qui nous aura fait la plus grande impression dans cet oratorio est certainement Nitocris, magnifiquement interprété par Rosemary Joshua, grande habituée des rôles händeliens, qu’il s’agisse de Poppea dans Agrippina, de Michal dans Saul ou de Cléopâtre. Si la fière et sage reine mère se voit confier quelques-uns des plus beaux passages de l’oratorio, Rosemary Joshua les sublime véritablement et ce dès son premier air «Thou, God most high, and Thou alone» (acte I, scène 1). Chaque intervention est splendide, qu’elle chante seule («The leafy honours of the field» à l’acte I ou, plus encore, le bouleversant «Regard, O son, my flowing tears» accompagné par un hautbois tout aussi touchant, à l’acte II) ou en duo avec ce magnifique air qu’elle partage avec Cyrus, «Great victor, at your feet I bow». Aucun doute à avoir: Rosemary Joshua est sans aucun doute aujourd’hui l’une des plus belles interprètes du Caro Sassone.


Dans le difficile rôle de Cyrus, Caitlin Hulcup est également excellente. Là encore, Händel a confié au fier roi perse quelques airs splendides qui sont ici interprétés avec une vélocité et une justesse de chaque instant. Le plus beau passage est certainement, pour qui souhaiterait aller à l’essentiel, l’air de la scène 1 à l’acte II, «Amaz’d to find the foe so near», où, lors de la reprise, Caitlin Hulcup chante pianissimo et impose ainsi une atmosphère inouïe, tout en intensité. Iestyn Davies incarne un très convaincant Daniel, notamment dans un air superbe (dont la mélodie n’est pas sans rappeler celle de l’air non moins bouleversant «Let rolling streams their gladness show» dans l’Ode for the Birthday of Queen Anne): «Rejoice, my countrymen: the time draws near» (acte I, scène 4). Quant à Jonathan Lemalu, il est également à son aise dans le personnage de Gobrias, certes assez peu présent, mais qui bénéficie tout de même du très beau «Opprest with never ceasing grief» (acte I, scène 3), excellemment chanté même si l’on aurait peut-être souhaité y voir davantage de caractère.


Signalons enfin, originalité du produit, que les trois disques et la notice sont accompagnés d’une petite nouvelle écrite par Jean Echenoz, qui s’intitule A Babylone. Se mettant pour l’occasion dans la peau de l’historien grec Hérodote, Echenoz, adepte des romans géographiques propres à nous faire découvrir un lieu et ayant lui-même participé à une nouvelle traduction de la Bible lancée par les éditions Bayard, était le romancier tout indiqué pour nous faire vivre Babylone, ses lourds remparts, son environnement... Le récit, malgré sa brièveté (13 pages), n’en demeure pas moins haut en couleur et idéal pour prolonger l’imaginaire de la partition de Händel.


On l’aura compris. Avec ce premier disque, les Editions Les Arts Florissants ont réussi un coup de maître dans un Belshazzar qui s’impose au sein d’une discographie qui, pour aller à l’essentiel, se résumait à l’alternative entre Trevor Pinnock (Archiv) et Nikolaus Harnoncourt (Teldec). Le choix s’appelle désormais William Christie.


Le site d’Allan Clayton
Le site de Caitlin Hulcup
Le site de Iestyn Davies
Le site de Jonathan Lemalu
Le site des Arts Florissants


Sébastien Gauthier

 

 

 

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