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09/15/2013
Isaac Albéniz : Iberia

Paul Verona (piano)
Enregistré aux Legacy Studios, New York (6 et 9 octobre et 14 novembre 2008) – 109’49
Double album Centaur CRC 3256/3257 – Notice de présentation en anglais





Kotaro Fukuma (piano)
Enregistré au Sun Azalea Hall, Wako (10, 11, 15 et 16 octobre 2007) – 85’49
Double album Editions Hortus HORTUS093 – Notice de présentation en français, anglais, allemand et espagnol





Jean-François Heisser (piano)
Enregistré en la chapelle Saint-Martin de Méjan à Arles (1er-4 juin 2009) – 76’38
Livre-disque Actes Sud Musique ASM01 (distribué par Harmonia mundi) – Notice en français et anglais (photographies d’Isabel Munoz)





Sommet de la littérature pianistique d’Isaac Albéniz comme du répertoire tout court, les douze nouvelles impressions en quatre cahiers d’Iberia (1905-1908) constituent un défi technique autant qu’une conquête artistique et humaine. La discographie, qui est passée par monts et merveilles sous les doigts de Claudio Arrau (Philips) ou d’Esteban Sánchez (Ensayo), est dominée – écrasée, oserait-on dire – par la regrettée Alicia de Larrocha (en 1961 pour EMI et en 1972 pour Decca, plutôt qu’en 1986 chez Decca également) – une approche à compléter par l’extatisme dévastateur de Ricardo Requejo (Claves – désormais disponible chez Brilliant, tout comme Sánchez), dont on ne ressort pas indemne. Il est, du coup, d’autant plus intéressant de comparer – à l’aune de ces intimidantes références – trois albums récents et... fort différents.


Chez Centaur, Paul Verona (né en 1975) fait tout ce qu’il ne faut pas faire dans ce cahier à la beauté fragile et mystérieuse. Une «Evocación» tortueuse au possible donne le ton de cette interprétation qui se complaît dans des lenteurs hédonistes (... près de 110 minutes au total!) et déstructure le discours au profit d’une lecture amorphe et difforme de la partition. Même «El Puerto» – malgré un tempo plus enlevé – est travesti par ces chemins de traverse qui tortillent autour de l’œuvre sans jamais en pénétrer le cœur ni même l’esprit. Cela en devient ridicule dès «Fête-Dieu à Séville», haché au découpe-légumes et techniquement à la ramasse... Les autres cahiers répètent ces errements, chaque pièce charriant son lot de contorsions contemplatives et coupables. Un naufrage autant qu’une trahison.


Tout l’inverse de Kotaro Fukuma (né en 1982), qui livre une admirable version du recueil. «El Puerto» est bondissant et ravageur. «Fête-Dieu à Séville» n’est pas très catholique mais remplie de malice et de fantaisie – et d’un brin de raideur parfois. On relève même – malgré la jeunesse du pianiste dans cette œuvre généralement interprétée à un âge plus avancé – de la personnalité, et une grisante recherche sur les rythmes dans «Rondena». Une fantaisie digitale qu’on retrouve avec bonheur dans un «Triana» jeune et fringant. Le natif de Tokyo déjoue les (innombrables) pièges du redoutable «Lavapiés» – avec un panache fou – et trouve le ton approprié dans «Málaga». En revanche, «Evocación» voire «Almería» méritent encore d’être approfondies – sur les chemins de la vie, de la méditation et de la souffrance. Et, plus prosaïquement, on relèvera que l’enregistrement diffusé par Hortus – en deux CD pas très bien remplis – est vraiment chiche... alors même qu’il s’agit du repiquage d’une version parue en 2008 chez le label japonais Harmony (double album HCC-2041-2) et qui comportait en prime les Deux morceaux caractéristiques opus 164, les Six Feuilles d’album opus 181, la Sérénade espagnole opus 165, ainsi que deux petits bijoux: La Vega (1897) et Navarra (1909). Dommage de s’en priver ici...


En un seul disque (et en dix minutes de moins que Fukuma), Jean-François Heisser (né en 1950) – interprète distingué de la musique espagnole (lire par exemple ici) – sait où il va, lui qui n’en est pas à sa première version d’Iberia. Plus véloce, il réussit le tour de force d’être également plus poète... «Rondena» et «Lavapiés» jouent sur les résonnances autant que sur les sonorités – par-delà les difficultés techniques. «Fête-Dieu à Séville» se transforme en un carnaval de vapeurs et de sons: c’est Venise en Espagne – une prouesse autant qu’une féerie digitale (... et tout ça en 8’15 chrono, contre presque 12 minutes pour Paul Verona!). Sans concession ni artifice, fort d’une technique intègre et d’une grande précision, Heisser se fait un peu le Boulez d’Albéniz – remisant au placard les visions stéréotypées d’une Espagne de pacotille. Comme l’écrit Philippe Fénelon dans le texte d’accompagnement, «l’œuvre d’Albéniz peut être écoutée maintenant sans anachronisme (...). Sans jamais forcer le sens, le compositeur réinterprète une nostalgie de l’hispanisme. L’œuvre, unique, n’appartient plus à une école».


La seule faiblesse de l’approche de Jean-François Heisser réside alors dans la recherche – également possible, parfois indispensable – de l’étouffement dans la lenteur, du poids de la chaleur sous les notes d’Iberia... que les rythmes ciselés avec une lame extrêmement fine par le pianiste stéphanois dans «El Albaicín», «Eritana» ou «El Puerto» ne sauraient offrir complètement. Une interprétation à mi-chemin entre le geste sculptural de Larrocha et l’extatisme dévastateur de Requejo. Et un enregistrement publié dans une superbe mais éphémère collection de livres-disques lancée par Actes Sud en 2010 («Musicales») associant textes, photographies et musique – une collection qui n’a malheureusement été que peu enrichie depuis. Mais l’album demeure aisé à commander (y compris en téléchargement). Les amoureux d’Albéniz ne sauraient s’en priver...


Le site de Kotaro Fukuma
Le site de Jean-François Heisser


Gilles d’Heyres

 

 

 

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