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09/11/2011
Hector Berlioz : Les Grotesques de la musique

Symétrie et Palazzetto Bru Zane, 2011 – Publié avec le soutien du Festival Berlioz et du Musée Hector-Berlioz – 252 pages, 9,80 €





Dédié et destiné aux artistes des chœurs de l’Opéra de Paris dont Berlioz, qui y fut lui-même choriste, connaissait à fond les contraintes, les inconvénients subis et les moments de désoeuvrement en coulisse, Les Grotesques de la musique s’organise de manière à favoriser une lecture fractionnée qui garde toute sa cohérence. En effet, la plus longue de quatre, la première partie, qui porte le même titre que l’ouvrage entier, est constituée de réflexions et anecdotes, présentées dans un ordre choisi mais non obligatoire et allant de moins d’une page à plusieurs, qui ciblent avec beaucoup d’esprit et d’ironie mordante les travers que l’auteur trouvait au monde musical de l’époque ou à ses satellites dilettantes, ses flèches demeurant non sans pertinence aujourd’hui. Travers et portraits sont croqués avec une telle verve piquante que l’on imagine sans peine à quel point les choristes pouvaient, si vraiment ils le souhaitaient, savourer séparément chaque vif trait de plume pendant «les tristes heures» passées dans leurs «entreponts à la lueur de [leurs] quinquets» entre deux apparitions sur scène. Il est tout aussi approprié de penser que les traits d’humour et de sarcasme distillés sans enchaînement gardent toute leur saveur intacte autant pour les butineurs que pour les nombreux lecteurs sérieux qui se penchent en permanence sur l’ouvrage depuis sa parution en 1859 chez Bourdillant et Compagnie, édition sur laquelle la présente prend appui.


Le côté pratique et maniable du format broché de poche au cœur de la vie trépidante de l’homme moderne convient ainsi parfaitement à ce découpage en épisodes dissociés aux titres évocateurs. Selon les bonnes habitudes de Symétrie, le soin porté à cette nouvelle édition est considérable à commencer par l’esthétique de la présentation et par le choix d’une police de caractères moderne, claire et agréable comme le style de Berlioz lui-même, mais dont les ligatures évoquent subtilement un passé révolu tout comme la graphie du XIXe siècle maintenue pour certains de ses mots. La présence de l’auteur reste vive grâce en petite partie à une ponctuation personnelle, parlante et spontanée maintenue également. (Un exemple extrême serait la ligne entière de points d’exclamation qui accueille à deux reprises une erreur d’appréciation sans goût et en dépit du bon sens, qui le laisse sans voix). Le lecteur retrouve l’appui attendu d’un index des noms propres en fin d’ouvrage, précédé des notes, page par page, de Guy Sacre qui propose, avec une traduction selon les besoins, une référence éclairée aux sources et au contexte des nombreuses citations en français et en latin, parfois en anglais, que Berlioz se plaît à faire en les adaptant à l’occasion à son usage personnel. Moins attendu mais fort utile, suit l’index détaillé des œuvres musicales et littéraires qu’il évoque au cours de l’ouvrage parfois par un raccourci immédiatement compréhensible par ses contemporains mais, pour certaines, peut-être plus difficilement aujourd’hui.


Annoncées différemment en tant que trois «voyages» nécessitant une «correspondance» «scientifique», «philosophique» puis «académique», les trois autres parties conservent le même aspect, celui du recueil, et le même style ironique, fluide et incisif, avec une même pointe d’amertume. Toutefois, Berlioz étoffe de plus en plus souvent ses textes de développements moins badins, ouvrant, toujours par le biais mais aussi de front, à une critique fondamentale de l’accueil parfois aberrant réservé aux compositeurs passés et présents, du fréquent manque de respect des partitions, (in fine de la musique elle-même), et des conditions de travail du musicien si souvent compliquées par les aléas du quotidien et les exigences, les préjugés ou les abus de pouvoir parfois irrationnels d’administrateurs, de personnalités en vue, voire d’exécutants trop peu «musiciens» dans le sens berliozien du terme. Si la «Correspondance philosophique» procède le plus souvent par fragments juxtaposés comme «Les Grotesques», le style et le sérieux de certains textes plus denses de la «Correspondance scientifique» et de presque toute la «Correspondance académique» les rapprochent de l’esprit élevé des Mémoires.


Pénétré de musique de manière absolue, Berlioz, ce «passionné lucide» (Vignal) si présent, révèle néanmoins à tous les niveaux ses idéaux, sa constante recherche du «beau» et le mépris qu’il ressent envers tous ceux qui se mêlent de matière musicale sans la sensibilité ou les connaissances nécessaires. En fin d’ouvrage, le sens profond du tout premier texte des Grotesques de la musique, véritable profession de foi, prend tout son éclat.


Bien que Berlioz l’adresse à ses contemporains, son «opuscule» garde aujourd’hui une grande valeur musicologique, historique, littéraire et culturelle. Selon son souhait, le lecteur trouve aisément «quelque plaisir à le lire» tout en saisissant toute la portée de l’une des «âcres plaisanteries» de son prologue: «quant à moi, je me suis amusé en l’écrivant, comme l’eût fait sans doute l’enfant du condamné en assistant à l’exécution de son père» – mais, pour faire écho à Gérard Condé à la fin de sa préface bienvenue: jusqu’où et comment «faut-il s’y laisser prendre?». «Tout est bien qui finit gaiement» (titre du tout dernier texte) – en l’occurrence sur un bref énoncé musical du Dies iræ!


Christine Labroche

 

 

 

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