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09/01/2009
Jean-Louis Florentz, l’œuvre d’orgue – Témoignages croisés

Marie-Louise Langlais
Livre accompagné de deux disques présentant l’intégrale de l’œuvre d’orgue avec l’autorisation des interprètes (Michel Bourcier, Olivier Latry, Béatrice Piertot), Hélène Thiébault, Universal et Pascal Oosterlynck
Editions Symétrie, Collection Perpetuum mobile (juin 2009) – 197 pages, 29€






Marie-Louise Langlais établit au cours de cet ouvrage un subtil portrait du compositeur hors norme qu’était Jean-Louis Florentz à travers une série de documents, d’entretiens et de témoignages qui se croisent, se recoupent, se corroborent et se complètent. Les intervenants suivent le temps chronologique du compositeur mais, comme Proust, ils anticipent sur un avenir qu’ils ont connu également et éclairent de leur propre sensibilité le souvenir du contact avec cette personnalité à part, de son temps mais hors du temps ou de tous les temps, musicien, compositeur, scientifique, biologiste, ornithologue, ethnomusicologue, professeur, voyageur, polyglotte, chercheur infatigable qui n’avait cesse d’aller au bout des choses et plus encore au bout de lui-même et pour qui l’humain et le divin, les nourritures terrestres et spirituelles, étaient essentiels. Jean-Louis Florentz avait l’art de la synthèse mais il était lui-même la synthèse de ses quatre points d’ancrage – musique, nature, foi, humanité – avec de multiples subdivisions mises en abyme et révélatrices de réelles compétences en plusieurs domaines. Comme le résume le jeune organiste Michel Bourcier : «La rencontre est d’ailleurs le mot-clé de l’œuvre de Florentz [et de Florentz lui-même], qu’il s’agisse de faire se rencontrer les gens entre eux, les musiques entre elles ou l’humain avec le divin.»



Les intervenants sont des personnalités des sphères musicales, scientifiques ou religieuses qui ont eu à côtoyer Jean-Louis Florentz au cours de son enfance et de son adolescence ou au cours des années de formation ou de sa vie professionnelle : professeurs, confrères, interlocuteurs spirituels, élèves. C’est ainsi que nous trouvons frères maristes, théologiens, compositeurs, musiciens, dont des organistes et facteurs d’orgue, musicologues et ethnomusicologues, éditeurs et techniciens du son, beaucoup d’entre eux célèbres en leur propre nom. Marie-Louise Langlais ajoute le sien propre aux témoignages recueillis par ses soins entre 2005 et 2008 et livre au lecteur les extraits appropriés des écrits de Florentz et des entretiens qu’il lui accorda au CNR de Paris en 2003. Son travail éditorial est à la fois rigoureux et inspiré, le matériau classé et ordonné de manière logique pour mieux faire ressortir les points essentiels du parcours, à la fois solitaire et ouvert aux rencontres, d’un homme pour qui, à la croisée des chemins de ses nombreux talents, s’est imposée la voie de la musique. Les styles varient mais tous les témoignages convergent pour faire émerger au fil des ans un portrait dense et cohérent d’un musicien exigeant, méticuleux, faisant preuve d’une détermination rare malgré sa sensibilité et ses angoisses, poète à l’imagination foisonnante pénétrée de voyages scientifiques et musicaux et de contacts mystiques, géographiques et littéraires en France en Afrique et au Moyen-Orient. Le livre-disque est dédié à Anne Florentz, l’épouse du compositeur, qui a apporté son concours à Marie-Louise Langlais par la voie de ses propres témoignages et de documents puisés dans ses archives personnelles. On peut être touché en y découvrant des lettres de Messiaen et de Dutilleux, compositeurs qui, comme Florentz à leur suite, ont su préserver sans heurt leur indépendance, leur intégrité et leur originalité musicales.



L’accent est mis sur l’œuvre d’orgue. Les pages de jeunesse ayant été éliminées de son catalogue, seulement quatre opus sur les dix-huit sont destinés à l’orgue mais ce sont des œuvres capitales autour desquelles le portrait se construit encore plus finement. L’ouvrage s’articule chronologiquement autour de ces quatre œuvres majeures et s’accompagne d’un enregistrement de chacune sous la direction artistique du compositeur. Il s’agit des premières versions enregistrées par leurs créateurs : Michel Bourcier (Laudes, Debout sur le soleil), Olivier Latry (La Croix du Sud) et Béatrice Piertot (Prélude à l’Enfant noir). Deux des enregistrements, remarquables, sont parus en 1995 aux éditions Koch. Pour les autres, il s’agit d’enregistrements privés : les entendre est donc un privilège.


Passionné d’orgue depuis son plus jeune âge, organiste à l’oreille exceptionnellement fine, Florentz exerçait une véritable fascination sur ses interprètes et confrères grâce à sa connaissance de l’instrument et à sa créativité devant les possibilités innovatrices des registrations et des jeux de mutations qui faisaient de lui un compositeur pour orgue tout à fait exceptionnel qui savait élargir la palette sonore, nuancer les timbres à l’infini, iriser les couleurs, recourir à une polyphonie finement éclatée et intégrer polyrythmies et tuilages dont la nature relèverait plutôt du grand orchestre mais qu’il savait appliquer à l’orgue. Quoique sensible, au cours de sa vie, à certains orgues de moindre envergure, l’orgue idéal pour Florentz ne pouvait avoir moins de quatre-vingts jeux, et la perfection, c’était le grand orgue de Notre-Dame de Paris (cent dix jeux) après la restauration (Boisseau-Cattiaux-Giroud-Emeriau) de 1992, suivi du grand orgue de Saint-Eustache après l’excellente restauration des frères Van Den Heuvel en 1989. Sa conception de l’orchestre était du même ordre, avec la même envergure. Les témoignages se recoupent pour évoquer la poésie, l’émotion et la belle simplicité fluide qui frappent à la première écoute de ses œuvres aux sonorités inouïes, avant la découverte de la partition et de la richesse et de l’extrême complexité de l’écriture qui produit ces effets et dont l’exécution est d’une difficulté redoutable mais fructueuse.


«Les organistes comprendront et apprécieront ; en tout cas, ce texte prouve l’extrême méticulosité de Jean-Louis en matière de registration.» Hélène Thiébault commentait en ces termes le texte du compositeur accompagnant un disque Koch mais les organistes comprendront et apprécieront tout cet ouvrage, à commencer par les fiches techniques très détaillées des orgues qui ont plus profondément marqué le parcours de Jean-Louis Florentz qui paraissent au rythme des premiers témoignages du facteur ou de l’organiste titulaire de l’orgue en question ou de l’interprète de l’œuvre qui doit s’y créer. Plus encore, on apprécie les témoignages des organistes, interprètes et facteurs d’orgue qui apportent non seulement un éclairage sur le compositeur confronté à un instrument précis mais aussi leur propre évaluation de l’orgue en question et de d’autres orgues relevant de leur expérience en France et en Espagne touchant à Florentz ou ayant pu y toucher. Les observations sont finement techniques, pointues, mais en même temps elles dessinent pour chaque orgue sa personnalité propre en en soulignant un trait particulier ou un son exceptionnel qui a pu inspirer à Florentz un trait d’écriture ou un détail de composition possible sur d’autres orgues selon le plan rigoureux de régistrations adopté mais évocateur de cette particularité. Il est tout à fait passionnant de sentir un instrument prendre vie sous les mots d’un spécialiste quand bien même on n’est pas soi-même spécialiste d’orgue.


Parmi les documents présentés, rythment aussi ce livre-disque les présentations des quatre œuvres par le compositeur, extraites des partitions publiées aux éditions Leduc, et les merveilleuses fiches calligraphiées, que le compositeur établissait pour chaque œuvre et qui permettent d’en entrevoir l’acheminement et les sources d’inspiration (naturelle, spirituelle et littéraire) aux fragrances africaines et moyen-orientales. La clarté et la méticulosité déployées sont celles d’un scientifique des plus exigeants et la beauté atteinte celle d’un esthète.


Le livre propose par ailleurs des photographies extraites des archives personnelles et les indispensables aides à la recherche : biographie-catalogue, bibliographie, index des personnes et index des œuvres. Ce dernier a la particularité de contenir non seulement les œuvres du compositeur mais les œuvres mentionnées qui ont eu pour lui quelque importance ou qui ont exercé sur lui quelque influence au cours de sa vie. On y trouve, notamment, les noms de Duruflé, Dutilleux, Duhamel, Langlais, Messiaen et Tournemire.


On ne peut trop recommander la lecture de ce livre remarquable qui permet d’approcher une personnalité rare, désarmante, et de mieux appréhender les arcanes de la composition musicale d’un polymathe hors du commun. Olivier Latry : «Je peux dire que Jean-Louis Florentz est l’une des personnes qui m’a le plus marqué dans ma vie. Il était fascinant, c’est le mot». Le livre de Marie-Louise Langlais aide à en saisir les raisons profondes.


Marie-Louise Langlais, épouse du compositeur Jean Langlais, est docteur en musicologie, professeur, organiste, et spécialiste de la musique française pour orgue des XIXe et XXe siècles. Actuellement, elle enseigne l’orgue au CNR de Paris.


La fiche de Jean-Louis Florentz aux éditions Symétrie


Christine Labroche

 

 

 

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