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Exposition Kandinsky à la Philharmonie 10/19/2025
« Kandinsky, la musique des couleurs »
Angela Lampe, Marie-Pauline Martin, Mikhaïl Rudy (commissaires de l’exposition)
Du 15 octobre 2025 au 1er février 2026, Philharmonie, Paris
15 euros (plein tarif), 11 euros ou 9 euros (tarifs réduits)

La Cité de la musique-Philharmonie de Paris, le Musée de la musique-Philharmonie de Paris, le Centre Pompidou et le Musée national d’art moderne se sont associés pour réaliser une splendide et ambitieuse exposition consacrée au peintre d’origine russe Vassily Kandinsky (1866‑1944) et à ses relations avec la musique.
Il y a naturellement beaucoup à voir. Près de deux cents œuvres (huiles, gouaches, aquarelles, dessins, principalement du peintre) et objets (photographies du peintre et de son entourage artistique, disques acquis par Kandinsky, palette, crayons, pastels, courriers, partitions, piano optophonique...) sont exposés. Beaucoup d’éléments proviennent du Musée national d’art moderne et de la Bibliothèque Kandinsky de Paris, notamment à la suite du très important legs (1981) de la seconde femme de Kandinsky, Nina. Mais pas mal d’œuvres ont aussi été prêtées par divers musées européens parmi lesquels figure en bonne place la Pinacothèque de Munich.
Si on évoque l’exposition dans ces colonnes, c’est naturellement parce qu’on y parle de musique et qu’on peut y écouter de la musique (enregistrée). La visite peut en effet s’effectuer avec un casque sur la tête pour entendre divers extraits musicaux sélectionnés par le pianiste Mikhaïl Rudy. Ils changent automatiquement au fur et à mesure que l’on chemine et change d’espace. Malheureusement, même si on le comprend pour des raisons de qualité sonore, on ne peut entendre la même chose que Kandinsky. Ce dernier écoutait Fritz Kreisler, Wanda Landowska, Alfred Cortot, Leopold Stokowski ou Joseph Szigeti mais ce n’est pas ce qui est diffusé.
Sont successivement évoqués le choc qu’a constitué la rencontre de Kandinsky avec la musique de Wagner, la culture musicale du peintre, son attrait pour les musiques traditionnelles russes, ses relations avec Schönberg – musicien qui fit un chemin inverse en peignant et qui soupçonna le peintre d’antisémitisme –, le goût de Kandinsky pour la musique des mots et la scène, et enfin le Bauhaus.
Au milieu, on s’étonne de découvrir que Kandinsky s’est inspiré des Tableaux d’une exposition de Moussorgski dans un spectacle qu’il scénographie en 1928. Il y a là une sorte de curieux retour à la peinture puisque ces Tableaux étaient un vagabondage musical résultant d’une visite d’une exposition de dessins et aquarelles de l’artiste et architecte Viktor Hartmann en 1874. Mais, de la même manière que chez Moussorgski, rien n’est descriptif ; tout est suggestif.
L’exposition montre bien les relations entre Kandinsky et la musique. Elles ne sont en rien artificielles ou superficielles. Kandinsky était passionné par la musique. L’exposition ne le dit pas car elle est essentiellement monographique mais d’autres compositeurs l’ont été. Toutefois leur œuvre ne reflète pas aussi bien les « couleurs sonores ». Kandinsky, lui, voit des sons dans les couleurs comme Scriabine qui, croyant en la synesthésie, voyait l’inverse. Kandinsky ne peint pas des musiciens ou des instruments comme Van Eyck, Véronèse, Caravage, Degas, Dufy, Braque, voire Klimt. Il n’illustre pas vraiment ce qu’il entend, comme Fernand Khnopff en écoutant Schumann (extraordinaire toile de 1883), mais il donne à voir la musique. Son abstraction et l’équilibre comme le rythme de ses toiles ne sont en effet pas loin de l’essence musicale même. En ce sens, il se rapproche d’artistes comme Robert Delaunay, Kupka, Klee, de Staël ou Charchoune. Comme Klee (violoniste), Kandinsky la pratique ; il était pianiste et violoncelliste amateur ; il fréquente concerts et compositeurs et s’essaye même à la composition ; il se forme aussi l’oreille avec des disques, sur les conseils de Lily Klee, pianiste et femme du peintre. Mais ça ne suffit pas à en faire un peintre musicien. Ingres était, dit‑on, violoniste mais rien n’évoque la musique dans son œuvre. Il faut attendre l’art du vingtième siècle à notre sens pour avoir des peintres sachant véritablement parler de musique, l’exprimer sans l’illustrer, grâce à l’abstraction et le jeu de ses formes et de ses couleurs. Il y a des musiques qui illustrent des sentiments ou qui rappellent la nature ; d’autres s’inspirent de peintures (Moussorgski avec Hartmann, Rachmaninov avec Böcklin, Boulez avec Klee) mais d’autres encore n’expriment qu’elles-mêmes pour reprendre l’analyse de Stravinsky. Il y a parallèlement des peintures qui représentent des êtres ou décrivent des états d’âme ; d’autres pas. Il existe un point de rencontre entre les deux dernières étapes de l’évolution de la musique et de la peinture : c’est chez Kandinsky. Pour le saisir pleinement, l’exposition est à ne pas manquer.
Catalogue très complet naturellement (240 pages, 42 euros) mais qui ne saurait ni rendre convenablement les festivals de couleurs de Kandinsky ni remplacer l’écoute de Wagner, Scriabine, Moussorgski ou Schönberg.
Stéphane Guy
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