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Exposition Satie à Honfleur 09/27/2025
« Erik Satie : L’esprit symphonique, le courage artistique »
Marie-Laure Loizeau (commissaire de l’exposition)
Du 5 juillet au 3 novembre 2025, Musée Eugène-Boudin, Honfleur
9 euros (tarif plein), 7 euros (tarif réduit), gratuit pour les moins de 16 ans

Les expositions sur des écrivains ne sont pas toujours convaincantes. Elles donnent à voir des manuscrits, des éditions et, pour les plus récents, quelques photographies de l’auteur ou de son entourage. Elles peuvent être instructives sur sa façon de travailler, son époque ou son milieu mais la plupart des éléments exposés doivent être lus alors qu’ils peuvent l’être ailleurs, dans un livre, et l’amateur non fétichiste y trouve rarement son compte.
S’agissant des musiciens, le défi est sans doute plus redoutable puisqu’il n’y a en principe rien, ou quasiment, à voir. Montrer des partitions ne dit pas forcément grand‑chose au visiteur. Les partitions de Bach sont impressionnantes par leur clarté et celles de Beethoven par leurs ratures et leur aspect brouillon mais à part cela ? L’essentiel est à entendre et, pour meubler, il faut aller au‑delà de la seule musique. C’est pourquoi les compositeurs de ballets ou d’opéras sont favorisés par rapport aux autres.
La Ville de Honfleur dispose cependant d’un musée fort original : les Maisons Satie. Il s’agit d’un petit musée datant de 1998 et situé dans la maison qui a vu naître et grandir le compositeur Erik Satie (1866‑1925), à laquelle on a adjoint deux autres bâtisses normandes à colombages rouges. Dedans, rien ne provient de Satie lui‑même. Il est vrai que son studio d’Arcueil, où personne ne rentrait, ne recelait pas de mobilier ou d’œuvres d’art exceptionnels et rien n’est parvenu jusqu’à nous ; tout est parti au rebut. On n’a ainsi pas récupéré son piano désaccordé dans lequel traînaient paraît‑il des partitions abandonnées. C’est donc l’univers sonore de Satie qui y est évoqué grâce à un parcours scénographique artistique et musical fait de peintures murales étranges, d’extraits musicaux, de jeux de lumière, d’installations mécaniques comme un piano jouant tout seul, de sculptures curieuses et d’objets hétéroclites comme d’un petit manège. Les meubles y sont finalement remplacés par de la « musique d’ameublement » pour reprendre les mots du compositeur. C’est la voix paisible et étrange de Michael Lonsdale qui nous guide. Il s’agit moins de montrer que de stimuler l’imagination et c’est une réussite, donnant envie d’écouter Satie.
A l’occasion du centenaire de la mort du compositeur, il fallait cependant aller au‑delà et marquer l’anniversaire, surtout à Honfleur. Pour cela, une exposition a été organisée à quelques pas des Maisons Satie, dans le Musée Eugène-Boudin, lieu présentant des espaces plus vastes et mieux adaptés que les petites pièces des Maisons. La directrice de la culture et des musées de Honfleur, les services culturels de la ville, la Lieutenance, le Musée Eugène-Boudin, les Maisons Satie bien entendu mais aussi l’école de musique locale et le service municipal d’action sociale comme des professeurs locaux se sont associés et se sont mobilisés pour la préparer et c’est à nouveau une réussite ; l’exposition vaut le détour.
 Le caisson des Vexations (© Stéphane Guy)
Un mot tout d’abord sur le titre de l’exposition, à vrai dire peu parlant et peut-être pas très bien choisi : « L’esprit symphonique, le courage artistique ». Il provient de Satie lui‑même. Il s’agit d’une épigraphe figurant à la fin d’un manuscrit, traduisant le goût du compositeur, qui n’a pas écrit de symphonie rappelons‑le, pour l’architecture musicale, et sa haute exigence artistique. L’exposition est organisée autour de quatorze thématiques qui permettent notamment d’évoquer la bohème de Montmartre, les salons de la Rose + Croix, le mystère des relations du compositeur avec la peintre Suzanne Valadon, les cercles littéraires entourant Satie, le monde de l’enfance qui fascinait tant l’artiste, un peu comme Ravel, l’amitié mouvementée avec Claude Debussy et la Normandie, partie cependant la moins pertinente car Satie y retourna peu et ne l’évoqua quasiment pas dans ses compositions. C’est au total autant le portrait d’une époque marquée par le dadaïsme et le surréalisme que celui d’un personnage singulier et déroutant qui est dressé à l’aide de dessins ou de peintures de ses amis (Picasso, Picabia, Dali, Braque, Cocteau, Signac, Valadon...), d’une diffusion en boucle dans un caisson de bois de ses fameuses Vexations de 1893 (jouées en principe 840 fois et qu’on ne peut naturellement écouter en entier) ou de la projection du film surréaliste Entr’acte (1924) de René Clair, où l’on voit Satie et Picabia manœuvrer un canon.
Mais ce qui est peut-être le plus intéressant a trait d’une part au goût de Satie pour la calligraphie et le dessin et d’autre part à son investissement social et politique. Sur le premier aspect, Man Ray décrivait son ami Satie comme étant le « seul musicien qui ait des yeux », oubliant Chabrier, Chausson et Schönberg. On le voit au travers de ses goûts artistiques comme les tampons gravés à partir de ses dessins ou, surtout, de ses nombreux billets adressés à ses amis, de charmants petits chefs‑d’œuvre d’équilibre et de finesse. Sur l’engagement politique, on apprend que Satie a adhéré à la section socialiste d’Arcueil, a écrit pour le journal L’Humanité et s’est même présenté à des élections municipales à Arcueil. Il a été aussi cofondateur du Patronage laïque municipal de la ville. C’est un aspect malheureusement peu illustré et commenté alors qu’il aurait mérité davantage de recherches et qu’il est trop méconnu ; il est vrai comme beaucoup d’autres car le personnage était autant secret que fantasque.
Finalement, il y a des choses à voir à propos de Satie et l’exposition complète fort bien la visite aux Maisons Satie. Le catalogue (39 euros) est une mine même s’il présente des meubles, sculptures et vêtements inspirés il y a peu par Satie et à vrai dire assez décevants, et comporte comme trop souvent un lexique des termes musicaux laissé fâcheusement à des musicologues et aussi inutile qu’abscons. Il permet notamment via un QR code d’accéder à la musique des « héritiers » de Satie : Cage, Reich par exemple.
Il n’y a pas que Ravel à devoir être célébré en 2025 et l’exposition nous le rappelle fort pertinemment.
Le site du Musée Eugène-Boudin
Stéphane Guy
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