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CD et livres: l’actualité de septembre
09/15/2025


Au sommaire :

Les chroniques du mois
En bref
Face-à-face
ConcertoNet a également reçu



Les chroniques du mois




Must de ConcertoNet


    Florian Boesch chante Brahms et Wolf


    Brahms autour de Krystian Zimerman


    Justin Taylor interprète Chopin


    Amandine Beyer interprète Vivaldi


    Chopin et son « tourment écrit »




Sélectionnés par la rédaction


    Bertrand Cuiller interprète Bach


    Le clarinettiste Daniel Ottensamer


    T. Langlois de Swarte interprète Vivaldi


    Le pianiste Jean-Philippe Collard




 Oui !

L’univers sonore de François Mauriac de Dominique Arot
La soprano Sophie Junker
Sigiswald Kuijken interprète Vivaldi
L’Akademie für Alte Musik Berlin interprète Corelli
Le Quatuor Talich
Gianandrea Noseda dirige Chostakovitch
Le chef d’orchestre Ievgueni Svetlanov
François-Xavier Roth dirige Les Siècles
La pianiste Martha Argerich
Le Rebelle de Partch
Autour d’Hortense de Beauharnais
John Wilson dirige My Fair Lady
La pianiste Brigitte Engerer
La violoncelliste Louise Dubin
Joshua Pierce interprète Liszt
Thomas Søndergård dirige Adès
Edward Gardner dirige Le Vaisseau fantôme
Edna Stern interprète Schumann
Le violoniste Svetlin Roussev et la pianiste Yeol Eum Son
David Haroutunian interprète Khatchatourian
Le Trio Pantoum
Le pianiste Rodolphe Menguy




Pourquoi pas ?

Adrian Chandler interprète Vivaldi
Karine Deshayes chante Schubert
L’ensemble Sarbacanes
La violoniste Ida Haendel
Ian Pace interprète Finnissy
Forrest Eimold interprète Finnissy
Christian Tetzlaff interprète Elgar et Adès
Charles Owen interprète Schumann
Suzana Bartal interprète Grieg et Saint-Saëns
Le ténor Carl Ghazarossian
Œuvres d’Arnault
Le duo (violoncelle et piano) Ermitage
Ivan Repusic dirige Papandopulo




Pas la peine
Riccardo Minasi dirige Mozart
Sandrine Piau chante Schubert
Jaap van Zweden dirige Le Vaisseau fantôme




Hélas !

L’ensemble Scaramuccia
Pachelbel, ce génie méconnu de F. Gassackys




En bref


Monumentale Martha
Virtuosité corellienne outre-Rhin
Inédits concertants d’Ida Haendel
Svetlanov outre-Manche
Les claviers de Finnissy
Violoncelle français de Franchomme à Hersant
Les Talich alla zingaresca
Partch on the road
Mozart et Schubert à huit (plus un)
Autour de la reine Hortense
Vingt ans et un demi-siècle pour Les Siècles
Brigitte Engerer chez Harmonia mundi
Schubert autrement
Rien sur Pachelbel
Chostakovitch/Noseda : un cycle pour une commémoration
Enlisement sur la lagune
My Fair Lady : copie conforme



Monumentale Martha


          


Martha Argerich vient de fêter ses 84 ans ! Le coffret de quarante‑six disques qu’édite Warner Classics réunit tout ce qu’elle a enregistré pour EMI Classics, Teldec, Erato et Warner entre 1965 et 2020, soit plus de cinquante ans de sa discographie.
On rappellera brièvement la carrière d’une longévité exceptionnelle de cette pianiste argentine (et suisse) née en 1941 à Buenos Aires. Dès son premier prix du Concours Chopin de Varsovie en 1965, sa carrière de soliste est lancée avec une série de concerts internationaux et un enregistrement chez Deutsche Grammophon, éditeur pour lequel elle a gravé notamment les premières versions de ses concertos « chevaux de bataille » (Beethoven, Schumann, Chopin, Liszt, Prokofiev, Rachmaninov, Ravel...) ainsi que quelques récitals Chopin et Bach exceptionnels. Assez rapidement, elle a renoncé à jouer seule, privilégiant les concertos, les duos, la musique de chambre avec un certain nombre de partenaires souvent étroitement liés à sa vie personnelle, auxquels elle est restée fidèle tout au long des années. Plutôt en dents de scie, sa carrière a été émaillée d’éclipses pour des raisons de santé et personnelles, mais depuis une vingtaine d’années elle est d’une grande régularité et même très dense.
Sa discographie est particulièrement riche entre les enregistrements de studio pour différents éditeurs, les enregistrements live de concerts et sa participation au Festival de Lugano, qui a été enregistrée pendant toutes les années où elle en avait la direction artistique. Sa vidéographie est aussi copieuse avec de savoureux enregistrements de concerts et même des films biographiques qui éclairent les nombreuses facettes de cette personnalité intrigante et fantasque.
Dans le coffret « Martha Argerich. The Warner Classics Edition », quatre compositeurs ont la part belle : Beethoven, Schumann, Chopin et Mozart. On y trouve sans surprise le légendaire récital Chopin de 1965 avec une Troisième Sonate échevelée et de fantomatiques Mazurkas opus 59, les deux récitals au Concertgebouw d’Amsterdam de 1978 et 1979, avec le plus extraordinaire Gaspard de la nuit de Ravel de la discographie (et sa Sonatine), des Fantasiestücke de Schumann et des Danses argentines de Ginastera, ainsi que le Troisième Concerto de Prokofiev avec Charles Dutoit de 1997 (Montréal). Pour la musique de chambre, les deux enregistrements de sonates avec Itzhak Perlman de 1998, le récital à Berlin en 2006 avec Gidon Kremer et les Sonates de Franck et Debussy avec le violoncelliste Mischa Maisky (1981). Beaucoup de duos aussi avec le pianiste Alexandre Rabinovitch, dont de très inattendues Visions de l’Amen de Messiaen dans lesquelles est privilégiée la dimension sonore plus que rythmique de cette cathédrale (Abbey Road, 1969). Autre duo anthologique, celui formé en 2020 en studio à Lugano avec Theodosia Ntokou pour un hallucinant arrangement à quatre mains de la Symphonie « Pastorale » de Beethoven signé Selmar Bagge (1823‑1896).
Les étés des années 2002 à 2016 ont été consacrés au Festival de Lugano, en Suisse italienne, dont la pianiste assurait la direction artistique et où elle savait s’entourer de ce que les jeunes générations offraient de plus prometteur. Dans ce « Progetto Martha Argerich », elle jouait rarement seule (et toujours les mêmes œuvres) mais participait à des duos, trios et ensembles plus larges dont les enregistrements ont été publiés au fil des années par Warner Classics. Cela constitue presque la moitié des quarante‑six disques et ne reprend que les plages des coffrets Lugano annuellement publiés auxquels Argerich participait avec des partenaires illustres comme Maxim Vengerov, Sergeï Babayan, Maria João Pires, Mikhaïl Pletnev, Gidon Kremer, Stephen Kovacevich, Alexandre Rabinovitch-Barakovsky, Yefim Bronfman, Mischa Maisky ou qui aujourd’hui pour certains font des carrières magnifiques : sa fille Lyda Chen, Renaud et Gauthier Capuçon, Piotr Anderszewski, Lilya Zilberstein, Alexander Mogilevsky, Nelson Goerner, Gabriela Montero, Sergio Tiempo et le regretté Nicholas Angelich. Le répertoire, qui rappelle celui du festival autrichien de Lockenhaus de Kremer, est d’une diversité et d’une richesse magnifiques ; on y trouve des œuvres de Weinberg, Lutoslawski, Mikhaïl Pletnev, Julius Zarebski, Smetana, Piazzolla, Guastavino, Mariano Mores et Luis Bacalov à côté des plus attendus Mozart, Ravel, Debussy (délicieux Prélude à l’après‑midi d’un faune en duo avec Kovacevich), Saint‑Saëns (un Carnaval des animaux où elle est entourée d’une pléiade de jeunes interprètes) et bien sûr Rachmaninov.
Cet incroyable kaléidoscope de compositeurs permet de faire le tour de la personnalité musicale d’une des plus grandes artistes d’un demi‑siècle et d’apprécier tour à tour un tempérament volcanique ou un jeu intériorisé, avec une virtuosité toujours utilisée sans exhibitionnisme, une palette infinie de couleurs et surtout une pensée musicale tout à fait unique (2173240888).
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, l’éditeur suisse Cascavelle vient de publier un disque inédit, qui regroupe deux extraits de récitals donnés en duo avec Alexandre Rabinovitch-Barakovsky au Festival d’Echternach à la Philharmonie de Luxembourg en mai 2006 et au Festival des Jacobins à Toulouse en septembre 1996. Le coffret Warner contient cinq disques enregistrés par ce duo, dont la complicité s’est affirmée tout au long des années 1990 et 2000. Ils interprètent en public les deux grandes Suites pour deux pianos de Rachmaninov et tout une série d’« encores » savoureux de Ravel, Brahms, Mendelssohn et à nouveau Rachmaninov (VEL 1742). OB




Virtuosité corellienne outre-Rhin





Les douze Concerti grossi de l’Opus 6 d’Arcangelo Corelli (1653‑1713) forment l’archétype du genre concerto grosso tels qu’on pouvait les entendre vers la fin du XVIIe siècle, notamment en Italie. Celui que Gasparini surnommait « le véritable Orphée de notre temps » a ainsi composé des œuvres de quatre ou cinq mouvements où le maître‑mot doit être le contraste, sauf à rendre cette musique ennuyeuse, voire totalement insipide (travers dans lequel étaient tombés en leur temps Sigiswald Kuijken chez Deutsche Harmonia Mundi et, dans un registre différent, Fabio Biondi chez Opus 111). Depuis, d’excellentes versions discographiques ont émergé, dominées à notre sens par Chiara Banchini et son Ensemble 415 (Harmonia mundi) et, surtout, par la très imaginative Amandine Beyer chez Zig‑Zag Territoires ; sans prendre le pas sur ces deux dernières gravures, nous ne pouvons que saluer cette nouvelle parution enregistrée en janvier 2024 par l’Académie de musique ancienne de Berlin, ensemble que nous avons déjà eu l’occasion de saluer dans nos colonnes. Ce premier disque rassemble les six premiers concertos, le premier violon solo étant tenu alternativement par Mayumi Hirasaki dans les concertos impairs et par Georg Kallweit dans les trois autres, ce dernier restant en deçà de sa consœur, plus virtuose, déployant un jeu marqué par davantage de fluidité et de facilité (le dernier mouvement du premier concerto ou l’Allegro du sixième). Les deux violons solistes s’entendent parfaitement, que la partition requiert avant tout de la virtuosité (le passage Allegro du premier mouvement du quatrième concerto) ou, au contraire, une certaine simplicité de la ligne mélodique (le Largo du premier concerto). Le ton étant donné, il est ensuite facile aux quatorze cordes de l’Akademie für Alte Musik Berlin et aux trois autres musiciens requis (clavecin-orgue, archiluth, harpe) de se fondre dans l’ensemble pour nous donner des passages empreints de certaines facéties (le luth dans le mouvement lent du deuxième concerto) ou d’une frénésie communicative (l’Allegro concluant le quatrième concerto). Le jeu des musiciens et solistes, pouvant être vif sans être précipité pour autant, nous séduit incontestablement et on attend donc avec intérêt le second volume, qui comprendra notamment le célébrissime Concerto pour la nuit de Noël (Pentatone PTC 5187 234). SGa




Inédits concertants d’Ida Haendel





Peu de temps après le décès d’Ida Haendel (1928‑2020), a été rééditée l’intégralité des enregistrements qu’elle avait réalisés pour Decca de 1940 à 1947 puis, plus épisodiquement, en 1982 et 1996‑1997. Voici maintenant, éclairés par une notice spirituelle (en anglais, allemand et français) de Tully Potter, qui préfère 1923 comme date de naissance de la violoniste d’origine polonaise, quatre témoignages de son art dans le répertoire concertant, captés à Londres au cours de concerts donnés à la BBC ou au Royal Albert Hall. Par ordre chronologique, en novembre 1971 avec le Symphonique de la BBC dirigé par Adrian Boult, la violoniste n’y peut mais : même sous ses doigts ardents, l’interminable Concerto (1910) d’Elgar reste interminable – mais a‑t‑il seulement commencé à un moment ? Enregistrée aux Proms, dont elle était une habituée, la suite est nettement plus intéressante, avec l’un de ses chevaux de bataille, le Concerto (1905) de Sibelius, accompagné par Symphonique de Londres et Paavo Berglund (août 1981) : moments précieux où l’on a l’impression que l’interprète, d’une générosité sans borne, joue sa vie à chaque mesure. De nouveau avec l’Orchestre de la BBC, elle est en compagnie de Guennadi Rojdestvenski dans un Concerto (1878) de Brahms éclatant de lumière (juillet 1982), qui confirme qu’elle fait partie de ces interprètes qu’électrise l’intensité du concert. Toujours avec l’Orchestre de la BBC dirigé cette fois‑ci par Andrew Davis, l’enregistrement le plus récent (juillet 1994) est hélas aussi le plus décevant, car dans le Concerto (1939) de Britten, un écho considérable défigure la partie soliste de la première à la dernière note, comme si Max Richter avait « revisité » l’œuvre (ICA Classics ICAC5185). LPL




Svetlanov outre-Manche





Les plus de 50 ans se souviendront sans doute de la venue régulière, à la fin des années 1990, d’Ievgueni Svetlanov (1928‑2002) a la tête des formations de Radio France : autant de concerts à nul autre pareils, tant la personnalité du chef russe était forte, tant ses options interprétatives surprenaient parfois, même si elles suscitaient comme rarement l’adhésion des musiciens. Bien avant cette époque, il a souvent dirigé plusieurs formations londoniennes et est même devenu en 1979 principal guest conductor du Symphonique de Londres, l’année même où Abbado en devenait le chief conductor. Cette nomination faisait notamment suite à une rencontre réussie l’année précédente au Festival d’Edimbourg. De fait, l’Ouverture de La Pskovitaine (1873) comme Shéhérazade (1888) de Rimski‑Korsakov impressionnent par une direction d’une grande intensité, très expressive, grandiose et spectaculaire, mais sans effets douteux, avec un tempo ahurissant dans le tableau final de Shéhérazade – on se situe exactement à l’opposé de l’image qu’on a pu conserver d’une lenteur sidérante et hypnotisante, par exemple dans La Mer de Debussy avec le National en 2001. Au violon solo, John Georgiadis se plie au « grand son » souhaité par le chef, alors que, à en croire la notice (en anglais, allemand et français) de Jon Tolansky, il avait à l’origine une conception radicalement différente de sa partie. Dix ans plus tôt, Svetlanov est déjà à Edimbourg, mais cette fois‑ci avec l’Orchestre symphonique d’Etat de l’URSS, dont il fut le chef principal de 1965 à 2000. Dans le cadre de cette tournée perturbée par l’annonce de la répression du Printemps de Prague par les chars soviétiques, ce dont témoigne un précédent album paru chez le même éditeur, il valorise avec beaucoup d’énergie la rare Symphonie sur deux thèmes russes (1834) de Glinka, achevée et orchestrée en 1948 par Chebaline (ICA Classics ICAC5186). SC




Les claviers de Finnissy


          


De ce côté-ci de la Manche, Michael Finnissy (né 1946) n’a pas acquis la notoriété d’un Birtwistle ou d’un Benjamin, pour prendre l’exemple de deux autres compositeurs anglais dont l’un le précédait de douze ans et l’autre le suit de quinze ans. Rattaché contre son gré au courant de la « nouvelle complexité » – il s’en moque dans une pièce pour piano intitulée New Perspectives on Old Complexity, – il n’en use pas moins volontiers d’une écriture où des voix rythmiquement indépendantes se superposent – ce qui, à tout le moins, rend ses partitions « complexes » pour les exécutants. Une autre caractéristique de son inspiration est le travail sur les sources musicales, populaires ou savantes – un très grand nombre de compositeurs de toutes les époques et de tous les styles. A l’approche de ses 80 ans, il a constitué un catalogue extrêmement abondant, dont deux parutions récentes permettent d’appréhender des pans significatifs.
C’est d’abord le cas de la musique pour piano – il est lui‑même pianiste. Il ne faut pas moins de quatre disques non pas pour en présenter l’intégrale mais simplement pour les quatre livres de Verdi Transcriptions (1972‑2005), les Huit Airs populaires anglais (1977/1985), les cinq Yvaroperas (1995), en hommage au pianiste et compositeur américain Yvar Mikhashoff (1941‑1993), et diverses pièces faisant référence à Beethoven, Berlioz, Brahms, Rossini, Schumann et (Johann) Strauss. Dans les trente‑six « transcriptions » d’extraits d’œuvres de Verdi (essentiellement ses opéras, du tout premier Oberto à l’ultime Falstaff, mais également le Quatuor et le Requiem), il ne faut pas se laisser abuser par le terme. En effet, il ne s’agit pas d’arrangements ni même de paraphrases, encore moins de réductions, mais on peut davantage parler d’improvisation libres, de durée très variable (de 1 à 22 minutes), où les thèmes originaux sont parfois difficiles à déceler, sertis dans un langage résolument moderne et expressif qui fait parfois penser à Webern, Ives ou Carter, le tout dans un climat généralement sombre et sans exclure la volonté de faire sonner l’instrument de manière hédoniste. Le même principe vaut bien sûr pour les Airs populaires, dont la première version était destinée... au jubilé d’argent de la reine Elisabeth : se pose nécessairement la question de savoir si le compositeur ne prend pas un certain plaisir à la plaisanterie, à l’ironie ou à la provocation – cela n’est pas interdit et ne disqualifie pas la valeur artistique intrinsèque de ces pages. Auteur d’une notice d’une précision musicologique hors norme, Ian Pace (né en 1968), que l’on a notamment connu comme défenseur de l’œuvre de Dusapin, est un interprète d’élection de cette musique qui s’approprie, recycle, divague, rêve, inquiète, émeut (Métier MEX 77402).
L’œuvre pour orgue s’étend sur une période beaucoup plus longue, exactement soixante ans, mais est concentrée sur deux périodes distinctes : d’abord les premiers essais de jeunesse – ...ere the set of the sun... (1965), Xunthaeresis (1967) et même la Troisième Symphonie (2009) en trois mouvements, fondée sur une symphonie d’étude (pour orchestre) de 1962 ; ensuite les trois autres symphonies (2003, 2005, 2008), d’un seul tenant (de 18 à pas moins de 33 minutes), les Sept Préludes sur des cantiques (2022), sur des chants sacrés norvégiens et des extraits du recueil américain Sacred Harp, et une pièce d’un quart d’heure, Blackburn (2022), référence à la fois à la Révolution industrielle, à la tradition chorale du nord de l’Angleterre et à l’orgue J. W. Walker & Sons (1969)/Wood (2002) de la ville épnoyme sur lequel la plupart des œuvres ont été enregistrées. Quatre symphonies, donc, « comme Brahms » – on retrouve ici un goût sinon pour la provocation du moins pour la pirouette (de même, à la question qu’il se pose lui‑même, « A quoi bon écrire une symphonie ? », il répond notamment « tout simplement parce qu’on en ressent le besoin »). On retrouve à l’orgue les éléments constitutifs de la musique de piano, à commencer par ce que l’excellente notice de Christopher Fox résume sous le titre « Du passé au présent » : citations, souvent à peine perceptibles, références, influences, de Bach à Ives en passant par Haendel, Beethoven, Brahms et Mahler. Il y a ici aussi cette alternance entre notes profuses et silences appuyés mais la facture instrumentale autorise en outre de très longues tenues de notes, accords ou clusters qui dilatent encore plus le temps. Il faut un musicien de la trempe de l’Américain Forrest Eimold (né en 1999) pour donner vie à cette musique qui, ne serait‑ce que par le choix des registrations, laisse une grande liberté à son interprète (album de deux disques Métier MEX 77208). SC




Violoncelle français de Franchomme à Hersant





Comme son nom ne l’indique pas, la violoncelliste américaine Louise Dubin (née en 1969) est d’origine ukrainienne par son père mais son intérêt pour la musique française n’en reste pas moins constant. Dix ans après un album consacré chez Delos à Auguste Franchomme (1808‑1884), violoncelliste ami de Chopin, la voici dans un très intéressant programme enregistré en 2018 et 2020 et intitulé « Passages ». Comme des serre‑livres, deux brèves sonates contemporaines, la rare et précieuse Sonate pour violoncelle et piano (1917) de Koechlin et l’incontournable Sonate n° 1 pour violoncelle et piano (1915) de Debussy, encadrent de courtes pour violoncelle et piano (avec Spencer Myer) ou deux violoncelles (avec Julia Bruskin, membre de l’orchestre du MET) : Allegro moderato (1897) de Fauré, charmant exercice de lecture à vue ; la Septième (1836) des Etudes de l’Opus 25 transposée d’ut dièse à  mineur, l’un des nombreux arrangements de Chopin réalisés par Franchomme ; « Sérénade », dernières des Chansons gaillardes (1926) de Poulenc arrangée par Maurice Gendron ; le Deuxième des trois Nocturnes « avec accompagnement d’un second violoncelle » de l’Opus 14 (1838) et le troisième (« Air irlandais ») des Airs nationaux variés (1841) de Franchomme ; enfin, trois des onze Caprices (1994/2005) pour deux violoncelles de Philippe Hersant. D’une grande diversité stylistique, les œuvres bénéficient toutes d’une grande qualité d’interprétation, technique comme artistique, ce qui suscite le regret que ce disque ne dure qu’à peine 50 minutes. Il y avait largement la place, par exemple, pour l’intégralité des Caprices d’Hersant (Bridge 9597). LPL




Les Talich alla zingaresca





« Gypsy Melodies », le titre inquiéterait si l’on ne savait heureusement qu’il n’y pas moins racoleur que le Quatuor Talich. D’autant que dans la première partie de cet album, on reste dans son domaine de prédilection, idéalement chantant et idiomatique, avec des arrangements par l’altiste Jirí Kabát (né en 1984), ancien membre des quatuors Vlach et Pavel Haas, des sept Chansons tziganes (1880) et de deux des neuf Duos moraves (1876) de Dvorák ainsi que de dix‑neuf des cinquante‑trois mélodies recueillies par Janácek dans sa Poésie folklorique morave en chansons (1901). Dans le même esprit, le violoniste Miroslav Kolacia a regroupé et arrangé cinq Chants populaires moraves en une brève « ballade folklorique ». Bartók, également collecteur méthodique de mélodies populaires, ouvre la seconde partie, où le quatuor est rejoint par Filip Herák à la contrebasse et Lubomír Gaspar (né en 1989) au cymbalum (et au kaval, flûte oblique balkanique), dans les incontournables Danses fokloriques roumaines (1915). Avec Georges Boulanger, né Ghită Bulencea (1893‑1952), on perd en authenticité et on change d’univers tant dans sa Sérénade du Tzigane (1938) que dans Avant de mourir (1924), repris par les Platters sous le titre My Prayer, et il en va de même dans Hora mărtisorului de Grigoras Dinicu (1889‑1949), dans des arrangements de Tomás Ille (né en 1971). Egalement aux confins des musiques traditionnelle et, par adoption, de variété, Les Deux Guitares d’Ivan Vasiliev (1810‑1870), arrangé par le pianiste et chef d’orchestre Alexey Aslamas (1959‑2016), a été popularisé au XXe siècle par Ivan Rebroff ou Charles Aznavour et conclut un album où, de bout en bout, les musiciens conservent une classe et un chic extraordinaires (La dolce volta LDV129). SC




Partch on the road





Harry Partch (1901‑1974) décrit ainsi lui‑même Le Rebelle (The Wayward) : « un recueil de compositions fondées sur les paroles et les écrits de hobos et d’autres personnages – le résultat de mes errances dans l’ouest des Etats‑Unis de 1935 à 1941 », dans lesquelles il a trouvé « une source de pure musique américaine ». En plusieurs versions et révisions successives, de 1941 à 1968, l’œuvre a pris sa forme définitive en cinq parties : « Barstow » (« Huit graffiti d’autostoppeurs sur un rail de sécurité d’autoroute à Barstow, Californie »), « San Francisco » (« Une mise en musique des cris de deux vendeurs de journaux par une nuit brumeuse des années 1920 »), « La Lettre » (« Message d’un ami hobo au temps de la Dépression »), « En avant toute, USA » (« Chronique musicale d’un voyage de hobo à travers le continent », celui que Partch fit de San Francisco à Chicago en septembre 1941 par train de marchandises puis en autostop), plus longue que les quatre autres réunies, et « Ulysse au bord [du monde] » (« Une petite aventure rythmique »), assez différente avec son parfum jazzy, dont est donnée en outre une version avec improvisation de trompette et saxophone baryton, possibilité ouverte par la partition. Pour le premier enregistrement intégral, tout laisse à penser que l’Ensemble Partch, gardien du temple, en est l’interprète idoine. En tout cas, il est le seul à disposer de l’instrumentarium requis pour cette aventure humaine et musicale hors norme : chromoloedon (orgue à anches où chaque octave ne compte pas moins de 43 notes), marimba diamant (en losange), boo (marimba en bambou), bloboy (soufflet forçant l’air à travers un ancien klaxon d’automobile et trois tuyaux d’orgue), canon harmonique « Castor et Pollux » (deux caisses de résonance de 44 cordes), bols (en verre) de chambre à brouillard (grands gongs en pyrex), butins de guerre (sept douilles d’artillerie, quatre bols de chambre à brouillard, deux pièces de bambou à languettes, un wood‑block, trois fusils et un guiro), kithara (cithare géante à 72 cordes), tous instruments créés par le compositeur pour donner vie à son univers microtonal. Dépaysant (Bridge 9611). SC




Mozart et Schubert à huit (plus un)





L’ensemble Sarbacanes, créé en 2016, s’oriente, au travers de son « Sarbacane’s Wind Octet Project » (SWOP), vers l’octuor à vent (hautbois, clarinettes, bassons et cors par deux), formation canonique de la Harmoniemusik, florissante autour de 1800 – c’est exactement l’effectif des extraits d’opéras à la mode qui accompagnent le dîner dans le final du second acte de Don Giovanni. Sarbacanes s’inscrit ainsi dans la descendance d’Octophoros de Paul Dombrecht, actif entre 1984 et 2015, lui aussi sur instruments « anciens ». Et comme cela en était l’usage, les huit vents sont renforcés par un neuvième à la basse, en l’occurrence une contrebasse. Avec Mozart et Schubert, on dispose d’un répertoire original : dans cet album intitulé « Recto‑verso » et éclairé par une notice très instructive du hautboïste Neven Lesage, on peut donc entendre respectivement la Douzième Sérénade (1782) et un rare Octuor (1813) inachevé, dont il ne subsiste que la fin du premier mouvement et les deux derniers (donc à ne pas confondre avec le grand Octuor de 1824 pour vents et cordes, lui aussi en fa). Mais comme c’était le cas à l’époque, les arrangements apportent également une contribution importante, qu’on doit au clarinettiste Carl Andreas Göpfert pour l’Alla turca de la Onzième Sonate pour piano (1783) de Mozart et au premier corniste de l’ensemble, Félix Roth, pour l’étonnante Petite musique funèbre (1813), la Première des Marches militaires D. 733 (vers 1820) et l’Ouverture de Fierrabras (1823) de Schubert ainsi que l’Ave verum corpus (1791) de Mozart. La sonorité est pimpante, fruitée, avec des clarinettes d’une verdeur parfois presque agressive, et on ne pourra pas reprocher aux musiciens de ne s’investir insuffisamment ou de manque de vie (Oktav Records). SC




Autour de la reine Hortense





A la longue liste de souverains amateurs et même créateurs de musique, il va falloir ajouter Hortense de Beauharnais (1783‑1837). Le cadre de cette chronique succincte est trop étroit pour retracer un si riche parcours de vie : fille du premier mariage de Joséphine de Beauharnais, elle épouse Louis, l’un des frères cadets de Napoléon, son beau‑père devenant ainsi également son beau‑frère. Reine de Hollande de 1806 à 1810, elle eut trois fils légitimes, le dernier n’étant autre que le futur Napoléon III, et de sa liaison avec Charles de Flahaut (lui‑même fils naturel de Talleyrand), elle eut le futur duc de Morny. Pour ce qui est de la musique, elle l’apprit à l’Institut national des jeunes filles de Mme Campan : non seulement elle pratiquait le chant, la harpe, le pianoforte aussi bien que la guitare mais les musiciens avaient leur place dans les salons de la Malmaison puis de l’exil suisse. Et elle a en outre écrit quelque cent cinquante romances. Intitulé « Hortense, compositrice et son temps », l’album publié à l’initiative de La Nouvelle Athènes a le mérite de ne négliger aucune de ces dimensions. Fondée en 2017 par Sylvie Brély, l’association est installée à Rueil‑Malmaison et s’attache à « faire revivre l’âme du romantisme à travers les pianos d’époque ». L’enregistrement a été réalisé durant son deuxième festival de Pentecôte (2024) au château de Bois‑Préau, acquis par Joséphine en 1810 et annexe de la Malmaison depuis 1926, avec une attention particulière portée à l’instrumentarium : piano carré Erard Frères (1806), harpe Naderman (1815), piano Michael Rosenberger (1825), guitare romantique Giovanni Battista Fabricatore (1827). Le programme permet de découvrir cinq des romances de la « reine Hortense », notamment Le Bon Chevalier, qui n’est autre que le thème des Variations sur un chant français (1818) pour piano à quatre mains que Schubert dédia à Beethoven, interprétées ici par Luca Montebugnoli et Edoardo Torbianelli. Mais on entend aussi Le Beau Dunois, plus connu sous le nom de Partant pour la Syrie, quasiment devenu une musique officielle du Second Empire, et Peu connue, point troublée, dont elle aurait fait une de ses devises. S’organisant autour de ce genre si important en son temps que fut la romance, le choix des œuvres laisse évidemment une place éminente au chant : français, avec deux des Douze Romances ou Chansons anacréontiques « avec accompagnement de piano‑forte ou harpe, flûte ou violon à volonté » (1788) de Johann Franz Xaver Sterkel (1750‑1817) et L’Amant délaissé (ca 1800) de Guillaume-Pierre-Antoine Gatayes (1774‑1846), mais aussi italien, avec l’air « Nel cor più non mi sento » extrait de La molinara (1788) de Paisiello, la Polonaise favorite (1818) de Paer et l’une de ses Six Ariettes (ca 1825) de Bellini. Mais la romance a également une dimension instrumentale, qu’on entend dans un mouvement de sonate de (Jean-)Louis Adam (1758‑1848), professeur au Conservatoire et père d’Adolphe Adam, et dans le mouvement lent du Duo concertant opus 73 pour harpe et piano (1810) de Dussek, dédié à Naderman, ainsi que dans des œuvres de deux élèves de Dussek, Montgeroult et Onslow, dont on trouve respectivement l’une des Etudes (1812) et trois des Six Pièces pour piano (n. d.). Autour de l’équipe de jeunes chanteurs et musiciens de La Nouvelle Athènes se sont joints, parfois brièvement, des artistes aussi renommés qu’Alexis Kossenko et une flûte Carlo Palanca, Patrick Wibart et son serpent et l’ensemble Les Lunaisiens. Ces pages, pour la plupart, ne sont pas inoubliables mais cet album n’en mérite pas moins d’être salué pour sa conception parfaitement cohérente, historique et captivante, et pour ses prestations instrumentales très soignées, qui contribuent au portrait musical d’une époque qui, nonobstant une forte agitation politique, évoque encore par son raffinement la fin du XVIIIe siècle (Paraty 2025007). LPL




Vingt ans et un demi-siècle pour Les Siècles





Fondé en 2003 avec pour ambition de « jou[er] chaque répertoire sur les instruments historiques appropriés », l’orchestre Les Siècles fêtait donc en janvier 2023 ses vingt ans sous la direction de son fondateur et – alors encore – directeur musical, François-Xavier Roth (né en 1971). C’est au Théâtre des Champs‑Elysées, où il est en résidence, que ce concert a été donné mais sur la couverture de l’album qui en témoigne, c’est une pimpante Tour Eiffel qui s’affiche et identifie ainsi, forcément, un programme couvrant près d’un demi‑siècle de musique française, période que la quatrième de couverture qualifie un peu audacieusement de « Belle Epoque ». Un véritable voyage dans le temps : on se croirait revenu, un dimanche après‑midi, au répertoire d’une des associations symphoniques parisiennes, voici de nombreuses décennies. Admiré de Fauré et Debussy, comme le rappelle l’excellente notice (en français, anglais et allemand) de Denis Herlin, Namouna (1882) de Lalo faisait alors partie du pain quotidien des orchestres français et on a peine à comprendre, à entendre la Première Suite tirée de ce ballet, comment cette musique tour à tour brillante, subtile et colorée, servie il est vrai avec une belle énergie, a pu entièrement disparaître du paysage musical français. Ce n’est évidemment pas le cas du Prélude à l’après‑midi d’un faune (1894) de Debussy, pourtant exempt ici de toute routine, avec une direction ne s’alanguissant pas, à la fois dramatique et à la recherche du détail. Il en va de Roussel, aujourd’hui quasiment porté disparu, comme de Lalo : la Seconde Suite de Bacchus et Ariane (1930) fut elle aussi un pilier des formations françaises durant de longues années, ce qu’on comprend ici encore en jouissant de la passion qu’y mettent les musiciens, les « instruments d’époque » (autour de 1900) contribuant sans doute à éclaircir les textures et à mieux faire entendre toutes les voix dans cette écriture volontiers dense. Mais c’est peut‑être dans L’Apprenti sorcier (1897) de Dukas qu’on profite le mieux des sonorités « anciennes » des instruments. (Harmonia mundi HMM 902736). SC




Brigitte Engerer chez Harmonia mundi





Au fil de sa trop brève carrière, Brigitte Engerer (1952‑2012) a été publiée chez plusieurs éditeurs successifs : après Philips dès le tournant des années 1980 mais avant Naïve (Liszt) et Mirare (Saint‑Saëns Liszt, Rachmaninov et Brahms avec Boris Berezovsky, un récital avec Gérard Caussé), une opportune réédition, introduite par un portrait d’Alain Lompech, vient rappeler qu’il y eut les quatre albums (cinq disques) en solo de « The Harmonia Mundi Years », merveilleusement enregistrés salle Adyar (auxquels il faut ajouter cinq albums en duo avec Olivier Charlier, Régis Pasquier et Oleg Maisenberg). On entre d’emblée dans le vif du sujet avec Moussorgski (1987), en particulier des Tableaux d’une exposition (1874) d’une grande inventivité, animés par un fort sens dramatique, au jeu aussi solide (« Bydlo », « Catacombes ») que fin (« Tuileries », « Ballets des poussins dans leurs coques »). Il ne s’agit pas tout à fait d’une intégrale de l’œuvre pour piano du compositeur russe mais les compléments sont également à chérir – Une nuit sur le mont Chauve (1867) fantastique à tous les sens du terme, Scherzo en ut dièse mineur (1858), Souvenirs d’enfance (1865), Une larme (1880), Gopak (1880). Le récital Beethoven (1990) frappe par son programme original, de la toute première période – deux Rondos de l’Opus 51 (1797), où le style se conjugue avec l’expression – jusqu’à la Trente‑et‑unième Sonate (1821) – moins testamentaire que sous d’autres doigts, mais toujours très lyrique – en passant par l’Andante favori (1803), les Variations sur un thème original (1809) et la Lettre à Elise (1810). Le cœur de cette réédition réside à n’en pas douter dans l’intégrale des Nocturnes (1827‑1846) de Chopin (1992-1993), au chant dessiné par la main droite avec une infinité de nuances, tantôt avec fermeté, tantôt avec une infinie douceur, soutenu par une main gauche déployant un large éventail de couleurs. Un piano somptueux mais ne nuisat en rien au caractère intime de l’expression, qui se décante jusqu’à des Opus 55 et 62 d’un autre monde. Le dernier album marque le retour à Schumann (1996), une quinzaine d’années après les gravures réalisées pour Philips : on y retrouve un Carnaval (1835) d’anthologie, virevoltant, peut‑être plus Florestan qu’Eusebius, mais l’atmosphère si particulière des Scènes d’enfants (1838) semble résister à la pianiste, qui donne en bonus quatre lieder (trois de Robert, dont le célèbre « Widmung », et un de Clara) transcrits par Liszt (HMX 2904137.41). SC




Schubert autrement


          


Deux de nos grandes chanteuses s’intéressent à Schubert, chacune avec une approche originale.
Le titre « Mélodies oubliées » de l’album de Karine Deshayes (née 1973) n’apparaît que partiellement justifié. Parmi les pages chantées, il y en a certes de rares (Pour la fête de M. Andreas Stiller), notamment en italien (Quatre Canzone, Didon abandonnée), mais on retrouve ainsi quelques lieder célèbres arrangés : l’alto d’Arnaud Thorette ajoute ainsi une voix dans un des Chants de « Wilhelm Meister » et remplace la voix dans Litanie pour la fête de toutes les âmes et A la musique, le cor dans Sur le fleuve ou la clarinette dans Le Pâtre sur le rocher et un air du singspiel Les Conjurés (avec réduction de piano pour l’orchestre). Egalement accompagnée au besoin par Johan Farjot, la partie purement instrumentale n’est pas négligée, avec la Valse Kupelwieser ainsi que des arrangements de la Première Sonatine pour violon et piano et des Huit Ländler D. 355 (dont seule une partie de violon nous est parvenue). Dans la notice en forme d’entretien, les interprètes parlent de « schubertiade » : prédomine effectivement le sentiment d’un agréable moment musical partagé entre amis, on ne peut plus approprié aux œuvres de Schubert (Klarthe KLA185).
Il est également question d’arrangements dans l’album « Quintette imaginaire » de Sandrine Piau (née en 1965) : dix (célèbres) lieder dont le violoniste et chef d’orchestre Jacques Gandard a transcrit la partie de piano pour le Quatuor Psophos, qui interprète par ailleurs le deuxième mouvement du Quatuor « La Jeune fille et la mort » (écho du lied du même nom) et le Mouvement de quatuor en ut mineur. « Quintette », cela évoque deux chefs‑d’œuvre du compositeur, mais la comparaison s’arrête là car c’est ici un quintette structurellement inégal, sorte de quintette concertant où le chant tient bien sûr la partie principale. Surtout, l’ensemble laisse une impression de fadeur, les mélodies, souvent de tempo lent ou modéré, ne semblent pas bénéficier de couleurs instrumentales nouvelles – même Le Roi des aulnes manque de chair – tandis que la voix, pas toujours à son avantage, paraît trop souvent se cantonner prudemment à un chant désincarné (Alpha 1157). LPL




Rien sur Pachelbel





Ferréol Gassackys est un homme politique et diplomate congolais ; né en 1962, il tient depuis 2005 une chronique culturelle dans le journal Les Dépêches de Brazzaville, y traitant notamment de la musique. C’est sans doute à ce titre qu’il fait paraître aujourd’hui l’ouvrage Pachelbel, ce génie méconnu, consacré à Johann Pachelbel (1653‑1706), compositeur dont on ne sait à vrai dire pas grand‑chose. Or c’est bien là que le bât blesse. Car, faute d’éléments biographiques tangibles, l’auteur multiplie les digressions qui, sans être inintéressantes en elles‑mêmes, ne se justifient pas vraiment (un chapitre sur le XVIIe siècle, un autre sur Vienne, une assez longue digression sur François d’Assise dans le quatrième chapitre « Naissance et cursus »...) ou s’avèrent extrêmement brèves, d’où un intérêt très relatif. Quant à la biographie proprement dite, Ferréol Gassackys manque à notre sens de rigueur en ne sourçant pas les informations qu’il livre au lecteur (que veut‑il dire lorsqu’il écrit à propos de Pachelbel qu’il « recevra d’autres cours en dehors de la scolarité normale » en page 24, sans que l’on sache de quoi il s’agit ? Comment peut‑il affirmer, en page 35, que Pachelbel « se sentira très à son aise » à Erfurt ?) et qui, pour certaines, sont au mot près une reproduction de la notice Pachelbel que l’on peut trouver sur Wikipédia (par exemple le deuxième alinéa de la page 28 ou l’avant‑dernier alinéa de la page 38). Outre une rédaction parfois maladroite (c’est un euphémisme) et une orthographe erratique (le père de Pachelbel se prénomme tantôt Johan, tantôt Johann, à seulement une ligne d’intervalle en page 26), on ne peut également que déplorer les jugements à l’emporte‑pièce (« on peut considérer Pachelbel comme le prédécesseur significatif et important de Johann Sebastian Bach » écrit‑il page 15) ou fortement contestables (qualifier Vienne de ville de gastronomie est assez osé...). Mais, là où Ferréol Gassackys agace surtout, c’est en essayant de promouvoir Pachelbel comme ayant été l’un des plus grands génies du monde baroque (la rédaction du dernier alinéa de la page 46 laisse entendre qu’il serait presque supérieur à Bach !). Usant des mêmes mots et des mêmes exemples dans l’introduction ainsi qu’en plusieurs endroits du livre (pages 49, 52 et 54), il s’engage par ailleurs dans une analyse des plus scolaires du fameux Canon : à quoi bon ? Il aurait sans doute été plus opportun d’approfondir les liens entre Pachelbel et la famille Bach (Alberto Basso l’a souvent évoqué dans sa monumentale biographie du Cantor, de même que Gilles Cantagrel dans certains de ses ouvrages) ou d’essayer de faire un tour plus complet des compositions de Pachelbel, qui ne se résument évidemment pas à une seule œuvre. Bref, un ouvrage bien imparfait (accessoirement, est‑ce le visage de Pachelbel qui est maladroitement dessiné sur la couverture ? Faute d’indication, on n’en saura rien) et, avouons‑le, totalement inutile (Les Trois Colonnes, 72 pages, 12 euros). SGa




Chostakovitch/Noseda : un cycle pour une commémoration





Le cycle des Symphonies de Chostakovitch entrepris en 2016 chez LSO Live par Gianandrea Noseda (né en 1964) et l’Orchestre symphonique de Londres, dont il est principal guest conductor depuis 2016, touche à sa fin. Alors que les Deuxième « A Octobre », Troisième « Premier Mai » et Douzième « L’Année 1917 », les trois symphonies où la commande officielle semble avoir le plus tari l’inspiration, ne sont pas encore parues, l’intégrale en dix disques est déjà annoncée pour novembre prochain, afin de marquer le cinquantième anniversaire de la disparition du compositeur, le 9 août 1975 (LSO0907). Au fil de ce parcours, les Neuvième et Dixième ont été particulièrement remarquées, à un moindre degré les Septième et à un bien moindre degré les Sixième et Quinzième. Publication la plus récente à ce jour, la Treizième « Babi Yar » (1962), enregistrée en public en avril 2023, doit se contenter d’une édition numérique. Le chef italien peut continuer de se fonder sur l’inébranlable qualité instrumentale de son orchestre : même si la sonorité n’est pas idiomatique, la virtuosité individuelle et collective est conforme à la réputation de la phalange londonienne, fermement tenue, avec une tension qui ne se relâche jamais. Il faut bizarrement aller chercher au fin fond de la notice le nom d’Aidan Oliver, qui a remarquablement préparé les forces chorales réunies, celles du Chœur de l’Orchestre symphonique de Londres, bien sûr, mais aussi du Chœur philharmonique de Londres. Quant à la partie soliste de basse, elle est luxueusement confiée à Vitalij Kowaljow (né en 1968), vocalement irréprochable et qui n’en rajoute pas dans le pathos (LSO0392‑D). SC




Enlisement sur la lagune





Lorsqu’on pense aux rapports entre la musique et Venise, les images et les évidences affluent ; c’est ce qu’a sans doute voulu battre en brèche l’ensemble Scaramuccia (Javier Lupiánez au violon et à la direction, Inés Salinas au violoncelle et Patrícia Vintém au clavecin) en enregistrant ici huit œuvres en première mondiale sous le titre « L’altra Venezia ». Une sonate pour violon de Diogenio Bigaglia, une de Caldara, deux d’Albinoni, deux sonates pour violoncelle et un capriccio pour les trois instruments réunis, de Giorgio Gentili, et enfin une sonate pour violon de Giovanni Battista Reali : voilà de quoi appeler notre attention, la notice d’accompagnement (non traduite en français) de Michael Talbot éveillant tout l’intérêt de ces redécouvertes. Mais encore fallait‑il des interprètes à la hauteur, voire tout bonnement des interprètes, c’est‑à‑dire des musiciens qui aient quelque chose à nous dire. Mais nous en serons pour nos frais, la première responsabilité revenant à Javier Lupiáñez qui joue constamment faux ; parfois, ça peut passer mais la plupart du temps, c’est rédhibitoire (le Largo et l’Allegro conclusif de la sonate de Bigaglia, le Largo de la sonate de Caldara, le second Allegro de la sonate de Gentili...). On a du mal à aller au bout de l’écoute... On en oublierait presque les problèmes techniques que le violoniste semble en outre rencontrer à plusieurs reprises (le premier Allegro de la sonate de Caldara). Si Patrícia Vintém tient honnêtement sa partie de clavecin, Inés Salinas oscille entre ennui et problèmes de justesse également, tout particulièrement dans la sonate de Gentili. Outre ces aspects qui à eux seuls justifiaient de ne pas publier ce disque, on tombe des nues en entendant une interprétation si prosaïque, là où la musique baroque nécessite renouvellement du discours, facéties, ornementation... Le rythme de sicilienne dans le Largo de la sonate de Bigaglia est à peine marqué, la reprise est faite totalement à l’identique dans le deuxième Allegro de la sonate de Caldara, le premier Presto de la deuxième sonate de Gentili est pris comme un Andante, le second Presto s’avérant pour sa part moins rapide que l’Allegro de la même œuvre, les danses de la seconde sonate d’Albinoni ne bénéficient d’aucune caractérisation... Bref, un beau projet sans doute mais, en fin de compte, un disque bien inutile (Snakewood Editions SCD202301). SGa




My Fair Lady : copie conforme





Le souci d’authenticité n’est pas uniquement l’apanage des interprètes du baroque ou du classicisme : John Wilson (né en 1972) s’est ainsi attaché à enregistrer le plus fidèlement possible My Fair Lady (1956) de Frederick Loewe, en revenant aux orchestrations originales de Robert Russell Bennett, Philip J. Lang et Jack Mason, en retenant toutes les « chutes » ou versions alternatives et même – on croirait entendre feu Roger Norrington et non pas John Wilson – en soignant l’instrumentarium : « Notre section de percussions utilise des instruments d’époque, et les cuivres viennent tous de la tradition des orchestres de danse – trombones à petite perce et autres instruments du même genre. ». Une edition de reference, de ce point de vue, d’autant que la notice reproduit intégralement le livret. Alternant peps et charme, le directeur artistique du Sinfonia of London depuis 2018, accompagné d’un excellent chœur ad hoc, est, sans surprise, pleinement chez lui dans cette musical comedy riche en titres inoubliables : « Wouldn’t it be loverly », « With a little bit of luck », « The Rain in Spain », « I could have danced all night », « Ascot Gavotte », « On the street where you live », « Show me », « Get me to the church on time » et « I’ve grown accustomed to her face ». Est‑ce encore un souci de coller à la version originale ? Toujours est‑il que près de soixante‑dix plus tard, la distribution ressemble trait pour trait à celle qui a assuré dès Broadway le triomphe de l’œuvre : même s’il semble impossible d’égaler Julie Andrews, Rex Harrison et Stanley Holloway, qui restent à jamais gravés dans les mémoires, Scarlett Strallen en Eliza, Jamie Parker en Higgins et Alun Armstrong en Alfred P. Doolittle sont très proches de ces modèles, et entourés de seconds rôles tous épatants, à commencer par le Freddy de Laurence Kilsby et le Pickering de Malcolm Sinclair (album de deux SACD Chandos CHSA 5314). SC






Face-à-face




Schumann : Carnaval


          
Les vingt‑deux « Scènes mignonnes sur quatre notes » (1835) enchaînent portraits miniatures – autoportrait en deux humeurs opposées (Eusebius, Florestan), femmes aimées (Ernestine, Clara), musiciens enrôlés dans la grande lutte contre les Philistins (Chopin, Paganini), figures du carnaval (Pierrot, Arlequin, Pantalon, Colombine), une « Coquette » –, petites saynètes – « Reconnaissance », « Aveu », « Promenade » – et danses (« Valse noble », « Valse allemande »). Deux pianistes expérimentés se confrontent dans cette sorte de bal masqué emblématique de l’imaginaire et de l’univers du compositeur.
Dans une interprétation vivante et sensible, Edna Stern (née en 1977) accentue les contrastes et fait remarquablement sonner l’instrument. Les Scènes d’enfants (1838) confirment ces qualités, la pianiste belge n’ayant pas peur de souligner le texte là où une réserve pudique est plus souvent de mise, tandis que dans l’Intermezzo de Carnaval de Vienne (1839), on n’est pas certain de trouver la « plus grande énergie » que le compositeur y réclame, mais on n’en regrette pas moins de ne pas bénéficier des quatre autres pièces. Enfin, Edna Stern s’est laissée convaincre par Schumann, qui estimait que tout pianiste devait utiliser deux de ses dix doigts pour écrire de la musique : l’album se conclut donc sur son propre « opus 1 », To‑nal or not to‑nal. La réponse – majoritairement tonale – à cette question hamlétienne passe par cinq courtes pièces de tempérament assez éclectique et mélancolique, remplies d’échos et de références (Orchid Classics ORC100338).
Probe et investi, Charles Owen (né en 1971) ne tire pas la couverture à lui, semblant davantage s’attacher au texte qu’au brio, à la couleur ou à la sonorité. Spirituel esprit. Il y a sans doute un peu de sécheresse dans l’aigu du Steinway. Au contraire d’Edna Stern, le pianiste anglais complète avec des partitions antérieures – son album s’intitule « The Young Schumann » : indéniablement, le même esprit souffle sur les Variations Abegg (1830), qui, comme Carnaval, jouent sur l’équivalence que permet le système allemand entre lettres et notes, les Papillons (1831) et les six Intermezzi opus 4 (1832) (Avie AV2647). LPL




Wagner : Le Vaisseau fantôme


          
Créé en 1843 à Dresde, celui qui est connu ailleurs qu’en France comme Le Hollandais volant est le premier, dans la chronologie des ouvrages wagnériens, à avoir droit de cité à Bayreuth. Après des premières tentatives moins marquantes, des Fées à Rienzi, il marque effectivement un tournant dans l’évolution du compositeur, même si, comme l’était Obéron de Weber dix‑sept ans plus tôt, il est encore qualifié d’« opéra romantique ». Deux enregistrements de concert réalisés l’an dernier viennent de paraître marquant, pour l’un, un départ et, pour l’autre, une arrivée.
Le départ, c’est celui de Jaap van Zweden (né en 1960) – cela tombe bien, considérant l’origine du rôle‑titre : le Hollandais s’envole du Philharmonique de Hong Kong, dont il a été music director durant douze ans et où Tarmo Peltokoski lui succédera en 2026. Fidèle à lui‑même, le futur directeur musical du Philharmonique de Radio France dirige par coups de force, à la tête d’une formation compacte et costaude, sans séduction particulière. Les femmes comme les hommes de l’excellent Chœur de la Radio néerlandaise brillent, mais les solistes, souvent américains, sont captés d’un peu loin et, surtout, se révèlent très inégaux. Heureusement, le Hollandais de Brian Mulligan est exemplaire, parfaitement idiomatique, avec un timbre égal et agréable. Sans susciter autant d’enthousiasme qu’à Dresde deux mois plus tard, la Senta de Jennifer Holloway n’en confirme pas moins son tempérament fougueux, son sens dramatique ainsi que l’étendue de sa tessiture. L’Erik de Bryan Register alterne (parfois) le bon et (souvent) le moins bon. La déception principale provient toutefois du Daland d’Ain Anger, qui marmonne de façon étonnamment instable, tandis que le Pilote de Richard Trey Smagur est trop souvent en difficulté. En revanche, on regrette, au vu de son excellente prestation, que Maya Gour soit cantonnée dans le court rôle de Mary (album de deux disques Naxos 8.660572‑73).
Deux mois plus tard, en août, c’est l’arrivée à Oslo d’Edward Gardner (né en 1974) qui était célébrée – cela tombe bien, c’est en Norvège qu’est située l’action de l’opéra. Le chef anglais, conseiller artistique depuis 2022, est désormais musikksjef de l’Opéra et du Ballet norvégiens. Dès l’Ouverture, on n’a pas de doute que tout sera plus généreux : un vrai chef d’opéra qui imprime une direction précise, souple et constamment sur le qui‑vive, un orchestre à la fois plus fin et plus goûteux, un chœur magnifiquement investi. Le style, le timbre, la puissance, l’incarnation, tout concourt à faire de Gerald Finley un des tout meilleurs Hollandais du moment. Lise Davidsen est évidemment bien plus qu’une régionale de l’étape et ne le cède en rien pour ce qui est du tempérament comme de la précision et du style. On tient cette fois‑ci en Brindley Sherratt et en Stanislas de Barbeyrac de bien meilleurs Daland et Erik, tout deux très attentifs au chant. Le Pilote d’Eirik Grøtvedt et la Mary d’Anna Kissjudit sont d’un luxe tout à fait remarquable. Indéniablement, le mandat d’Edward Gardner commence ainsi sous d’excellents auspices (coffret de deux disques Decca 4870952). LPL




Liszt : Œuvres concertantes pour piano


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Innovant par leur écriture pianistique mais aussi, le compositeur ayant affirmé que « le vin nouveau exige de nouvelles bouteilles », par leur structure en un mouvement assez concis fondé sur des thèmes cycliques, voie ouverte par Weber ou Schubert, les deux Concertos, fruits d’une longue gestation aboutie respectivement en 1849 et 1861, sont devenus des favoris des virtuoses depuis leur création – on aurait aimé assister à celle du Premier le 17 février 1855 à Weimar avec Liszt en soliste et sous la direction de Berlioz...
Joshua Pierce (né en 1950) fait preuve d’une forte personnalité, conférant beaucoup de couleur, de vie, de bravoure et de fantaisie à ces deux œuvres, peut‑être plus encore au Second. Mais ces deux piliers du répertoire ne sont que la partie émergée de l’iceberg car le catalogue concertant de Liszt est bien plus fourni : le pianiste américain étend ainsi le champ, avec d’abord deux autres concertos – le Troisième (1839 ?), antérieur aux deux premiers, reconstitué en 1989 d’après diverses sources par le musicologue américain Jay Rosenblatt mais guère captivant, et le bavard Concerto pathétique (1866) pour deux pianos dans l’orchestration (1885) réalisée par Eduard Reuss (1851‑1911) et largement révisée par Liszt. Mais il y a également la passionnante Malédiction (1833) posthume avec cordes seules, la Fantaisie sur des mélodies populaires hongroises (1852), une enthousiasmante Grande Fantaisie [Wanderer] de Schubert (1851), une décevante Danse macabre (1849/1859) et une Rhapsodie espagnole (1858) tout à fait réussie, dans l’arrangement réalisé en 1894 pour piano et orchestre par Busoni. Cela dit, malgré ce souci d’exhaustivité, manquent la Grande fantaisie symphonique d’après des thèmes de « Lélio » d’Hector Berlioz, la Polonaise brillante d’après Weber, la Fantaisie sur des motifs des « Ruines d’Athènes » et le « psaume instrumental » De Profundis (inachevé, mais lui aussi reconstitué par Rosenblatt). Dans ces enregistrements réalisés entre 1990 et 1996 avec l’Orchestre symphonique (académique) d’Etat de Russie, l’Orchestre symphonique d’Etat de Moscou et l’Orchestre symphonique de la Radio-télévision slovène dirigés par l’Américain Paul Freeman (1936‑2015) et avec la Philharmonie Bohuslav Martinů de Zlín dirigée par l’Anglais Kirk Trevor (né en 1952), on doit malheureusement déplorer des prises de son de qualité inégale, qui tendent notamment à placer les orchestres un peu trop en retrait. Ce large aperçu de la production lisztienne dans le domaine concertant est éclairé par une notice (en anglais) d’Eric Salzman (1933‑2017), intéressante et très documentée (album de deux disques MSR Classics MS 1860).
Dans les deux Concertos et la Danse macabre, il y aussi de la personnalité chez le jeune Yoav Levanon (né en 2004) mais on ressent moins de profondeur et de naturel, comme si le pianiste israélien prenait davantage la pose pour jouer un rôle. Mais la musique ne l’interdit pas et les moyens sont là, incontestablement, dans la sonorité comme dans l’agilité. La prise de son, comme l’Orchestre symphonique de Lucerne, sous la baguette de Michael Sanderling, Chefdirigent depuis 2021, contribuent au confort de l’auditeur. la romance O pourquoi donc (1848), transcription (1872) de « Frühlingsnacht », dernière des douze mélodies du Liederkreis opus 39 (1840) de Schumann et « Silent Love » alla Liszt d’après le lied Verschwiegene Liebe de Wolf. Enfin, il est dommage que la notice se réduise à une brève note d’intention lénifiante du pianiste (Warner Classics 2173242397). LPL




Thomas Adès : Concerto pour violon


          
Dans le domaine concertant, le compositeur a successivement destiné au piano un Concerto conciso, In Seven Days et un Concerto en bonne et due forme, mais pour le violon, si l’on excepte les récents quatre Danses de conte de fées (originellement pour violon et piano), créées par Pekka Kuusisto, et Air (Hommage à Sibelius), destiné à Anne‑Sophie Mutter, il n’y a qu’un seul concerto, sous‑titré Concentric Paths (2005). Ses trois mouvements n’ont rien de traditionnel, la construction privilégiant clairement la lente chaconne centrale (« Paths »), plus longue que les deux autres mouvements (rapides) réunis (« Rings », « Rounds »). Malgré son titre, même le mouvement lent est marqué par les cycles ou cercles « qui se superposent et entrent en conflit, parfois violemment, dans leur progression vers une résolution ». D’une durée d’un peu moins de 20 minutes, cet Opus 23 éclectique – on y croise les ombres de Stravinski, Berg, Britten, Chostakovitch, Ligeti... – mais pas bariolé a été créé par Anthony Marwood, qui l’a enregistré sous la direction de l’auteur (EMI). La discographie s’est ensuite enrichie de rois autres versions : Herresthal/Manze (Bis), Hadelich/Lintu (Avie) et Kuusisto/Collon (Deutsche Grammophon). Alors que ce n’est déjà pas mal pour une œuvre contemporaine, deux versions assez différentes viennent de paraître coup sur coup.
Christian Tetzlaff (né en 1966) se tient autant que possible en surplomb, conservant toujours une certaine élégance, sans forcer sur l’expression, sans lutter outre mesure contre l’Orchestre philharmonique de la BBC (Manchester) et John Storgårds (né en 1963), qui en est le chief conductor depuis 2022 (après en avoir été dès 2012 principal guest conductor puis en 2017 chief guest conductor). Pour autant, la finesse de la sonorité et le lyrisme de l’archet étreignent dans la seconde partie du poignant mouvement central. Quoique gravé dix mois plus tard, le Concerto (1910) d’Elgar était selon Tetzlaff le « point de départ » de cet album. En tout cas, il en constitue évidemment le plat de résistance, même si le violoniste allemand l’allège de façon aussi inhabituelle qu’opportune, en à peine 43 minutes... ce qui est déjà bien largement suffisant (Ondine ODE 1480‑2).
Est‑ce parce qu’elle est enregistrée en public (à Minneapolis) ? Toujours est‑il que Leila Josefowicz (née en 1977) fait preuve d’un engagement dramatique beaucoup plus marqué dès « Rings » avant d’enchaîner sur le « Paths » (de loin) le plus rapide de la discographie. Les angles sont plus acérés, les attaques plus franches, les notes parfois presque arrachées, c’est moins « joli » mais beaucoup plus prenant. Thomas Søndergård (né en 1969), à la tête de l’Orchestre du Minnesota dont il est le music director depuis 2023, dessine mieux les contours de la partition, sans empiéter pour autant sur la partie de violon. Cet album extrêmement court (moins de 40 minutes) s’ouvre sur la Symphonie L’Ange exterminateur (2020), tirée de l’opéra éponyme. L’œuvre a déjà connu un beau succès en concert et sera encore donnée dans les prochains mois par l’Orchestre national de Montpellier, la Philharmonie tchèque et la Tonhalle de Zurich, mais il s’agit ici de son premier enregistrement. Ce n’est pas davantage une « symphonie » que la Lulu-Symphonie, mais pas moins non plus, l’important étant de profiter de la grande habileté orchestrale du compositeur dans des « Entrées » ironiques et détraquées, une inquiétante « Marche » entre Holst et John Williams, une « Berceuse » lyrique mais quelque peu ambiguë qui s’enchaîne et des « Valses » grinçantes truffées de réminiscences (Pentatone PTC 5187 487). SC




ConcertoNet a également reçu




Suzana Bartal : Grieg et Saint-Saëns
Les discographies du Concerto de Grieg et du Deuxième Concerto de Saint‑Saëns sont riches, même s’il n’est pas d’usage de coupler les deux œuvres. Pourtant, nées la même année (1868), elles ont l’une comme l’autre suscité des commentaires élogieux de Liszt, si cher au cœur de la pianiste franco-hongroise (née en 1986). Et puis, si, à propos de la seconde, on prête à Zygmunt Stojowski le fameux mot selon lequel elle « commence avec Bach et finit avec Offenbach », la première, quant à elle, reste parfois tributaire de Schumann (Allegro molto moderato), voire de Chopin (Adagio), avant d’adopter une couleur nationale tout à fait typique du compositeur (Allegro moderato molto e marcato). Suzana Bartal propose un rapprochement d’autant plus pertinent qu’à l’unisson de Sébastien Rouland (né en 1972) et de l’Orchestre d’Etat de Sarre, où il est Generalmusikdirektor depuis 2018, elle aborde Grieg avec énergie et même fougue. Malgré une réalisation toujours aussi impeccable de la soliste, au jeu très articulé, comme de l’orchestre, on trouvera malheureusement moins de feu et de flamme dans Saint‑Saëns, à l’image, en son centre, d’un Allegro charmant mais qui aurait pu être un peu plus scherzando (Channel Classics CCS47825). LPL


Carl Ghazarossian : Mélodies
Dix ans après son album « Les Donneurs de sérénades », le ténor français (né en 1974) revient, dans « Qu’as‑tu fait de ta jeunesse ? », avec un album élaboré selon le même principe : une passionnante anthologie de vingt‑quatre mélodies où, sur sept textes bien connus du poète, se confrontent dix‑sept compositeurs. Qu’ils soient connus (Canteloube, Caplet, Debussy, Fauré, Hahn, Schmitt, Séverac, Varèse, Vierne) ou moins connus (Bordes, Dupont, Ladmirault, Lazzari), voire oubliés (Serge Bortkiewicz, Albert Doyen, Lucien Mawet, Josef Szulc), ce qui frappe est qu’aucun n’usurpe sa place dans ce programme. Sur un Pleyel de 1905, Emmanuel Olivier confirme sa réputation acquise de longue date de partenaire idéal des chanteurs (Hortus 240). LPL


Arnault : Œuvres
Humaniste et sincère, tel apparaît le compositeur (né en 1966) dans cet album dont le titre (« Quand la bourrasque gronde ») reprend des mots de Louis Levionnois (1944‑2023). Il lui rend ainsi un hommage, lisant de brefs textes en alternance avec la philosophe Marion Chottin. La soprano
Amélie Raison, la mezzo Lauriane Le Prev et le baryton Matthieu Le Levreur, accompagnés par le pianiste Ingmar Lazar, mettent beaucoup de conviction dans les vingt mélodies de Louis’ World Songs (2008), d’après des poèmes anglais, danois, grec, latin, italiens, chinois, allemands, russes, irlandais et écossais. Les drames de notre époque trouvent un écho puissant dans Rwanda’s Memories (2019), avec l’altiste Antonin Le Faure, comme dans la Sonate Novembre 2015 (2015) interprétée par le clarinettiste Emmanuel Boulanger et Pascal Arnault lui‑même, qui conclut avec les délicats Trois souvenirs du Pays du Long Nuage Blanc (2020) pour piano seul (Triton Trihort 586). SC


Duo (violoncelle et piano) Ermitage
Associés depuis 2018, Paul-Marie Kuzma (né en 1998), membre de l’Orchestre de Paris depuis 2021, et Ionah Maiatsky (né en 2001) ont remporté le deuxième prix du Concours international de musique de chambre de Lyon en 2022. Pour ce premier album, leurs origines inspirent un programme franco‑russe. La Sonate (1948) de Poulenc est abordée avec une réserve de bon aloi ; après Mossolov
l’été dernier à La Roque-d’Anthéron, le choix de la brève Première Sonate (1921) en un mouvement de Roslavets, à la fois composite et passionnée, témoigne à la fois d’un souci d’originalité et d’une constance dans la défense des compositeurs occultés par le pouvoir soviétique de cette brève période d’effervescence de la musique russe ; comme lors du festival rocassien, la sonorité et l’expressivité du violoncelle ne sont ni envahissantes, ni exubérantes dans la Sonate (1901) de Rachmaninov, ce qui est plutôt inhabituel (Scala Music 18). LPL


Ivan Repusic : Papandopulo
Chefdirigent de l’Orchestre de la Radio de Munich – à ne pas confondre avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise – depuis 2017, le chef croate (né en 1978) est à la tête du Chœur de la Radio bavaroise pour une ample pièce (50 minutes) a cappella de son compatriote Boris Papandopulo (1906‑1991), figure majeure de la musique de son pays au siècle passé. Suivant fidèlement la traduction en langue vernaculaire de l’ordinarium du rite romain et affichant sa tonalité de  mineur, la Messe croate (1939) n’a certes pas d’ambitions révolutionnaires. Par ailleurs chef de chœur, le compositeur, inspiré par les anciens chants religieux dalmates, écrit magnifiquement pour les voix, d’où se détachent occasionnellement quatre remarquables solistes, tous croates, la soprano Darija Augustan, la mezzo Sonja Runje, le ténor Tomislav Muzek et le baryton Ljubomir Puskaric. Les contrastes sont nettement marqués, la musique suivant les inflexions du texte, mais l’expression n’est jamais forcée et la polyphonie (jusqu’à un double chœur à huit voix) parfaitement maîtrisée. Préparé par Tomislav Facini, qui a lui‑même réalisé un enregistrement de l’œuvre pour la Radio croate, le chœur bavarois manque sans doute un peu de saveur idiomatique mais n’en déploie ses admirables qualités dans cette captation de concert réalisée en février 2025 et dont n’ont été retenus ni la lecture de différents textes d’expression croate, ni, surtout, le Dona nobis pacem de Frano Parac (né en 1948), autre importante personnalité croate (BR‑Klassik 900532). SC


Svetlin Roussev : « Love Music »
Avec la pianiste coréenne Yeol Eum Son (née en 1986), le violoniste d’origine bulgare (né en 1976) nous offre quelques grammes de finesse dans ce monde de brutes. Quelques grammes non pas parce que les œuvres ou l’interprétation seraient insignifiantes, mais parce que cet enregistrement, d’une délicatesse et d’une légèreté de touche apaisantes, ne pèse jamais. Et ce, dès la rare Love Music (1946) de Waxman qui donne son titre à l’album, écrite pour le même film que la célèbre Fantaisie « Carmen » et fondée sur le duo de l’acte II de Tristan, lui‑même issu du dernier des Wesendonck‑Lieder (1958) dont l’arrangement par Auer referme pertinemment le disque. De fil en aiguille, on remonte ensuite du cinéma d’Hollywood à la tradition du Vieux Continent via Korngold – « Lied de Marietta » de La Ville morte (1919), Beaucoup de bruit pour rien (1920) –, Kreisler – l’incontournable triptyque « Liebesfreud », « Liebeleid » et « Schön Rosmarin » des Anciennes danses viennoises (1905) – et Richard Strauss, avec une lumineuse version de la Sonate en mi bémol (1887). Du beau violon, fin et sensible, une belle entente entre les musiciens (Naïve V 8122). SC


David Haroutunian : Khatchatourian
Dans un album intitulé « The Dancing Violin », le violoniste d’origine arménienne (né en 1978), accompagné par Xénia Maliarevitch (née en 1980) sur un piano à la sonorité un peu clinquante, rend un vibrant hommage au compositeur emblématique de cette nation, né en 1903 à Tbilissi et mort en 1978 à Moscou, en présentant l’intégralité de sa musique pour violon. D’abord au travers de premières au disque : une piquante Danse n° 1 de 1925 et, surtout, une fougueuse Sonate pour violon et piano en deux mouvements de 1932, confiée aux interprètes par le fils du compositeur. Ensuite, avec des raretés comme une Danse de 1926, le vibrant Chant‑poème (en l’honneur des ashoughs) [bardes] de 1929 ou, comme un écho lointain, la splendide Sonate‑monologue pour violon seul de 1975, son avant‑dernière œuvre. Enfin avec des arrangements de trois extraits du ballet Gayaneh (1941) par Heifetz et Abram Yampolsky et d’un de la musique de scène pour Mascarade (1941) par le compositeur lui‑même. Ce qui, dans la prise de son, nuit au piano, magnifie la sonorité du violon, généreux et incandescent : il y a certes de la danse comme le promet le titre, mais le chant n’en est pas moins intense (Fuga Libera FUG 840). SC


Le Trio Pantoum
Fondé en 2016, premier prix au Concours de Trieste en 2022, premier prix au Concours de Lyon, premier prix (ex aequo) du Concours Joseph Haydn (Vienne), deuxième prix aux Concours d’Osaka et de Melbourne et troisième prix au Concours de l’ARD (Munich) en 2023, l’ensemble est désormais formé du pianiste Kojiro Okada (né en 1999), qui a succédé en 2023 à Virgile Roche, du violoniste Hugo Meder (né en 1996) et du violoncelliste Bo‑Geun Park (né en 1998). Pour leur premier disque, ils ne pouvaient, en cette année Ravel, qu’enregistrer son Trio (1914) : une version très équilibrée, entre pudeur et passion, et d’un très haut niveau instrumental, notamment dans la sonorité. Les compléments traduisent un louable souci d’originalité, avec le Premier Trio (1894) d’Anton Arenski (1861‑1906), belle page chambriste entre Brahms et Borodine. Intitulé « Modern Times », l’album mérite enfin pleinement son nom avec les 7 minutes ludiques d’Emojis, Likes and Ringtones, écrit pour l’édition 2018 du concours de l’ARD par le Tchèque Miroslav Srnka, né exactement un siècle après Ravel. En un mot, des débuts très encourageants (La dolce volta LDV145). SC


Rodolphe Menguy : « A Fairy Tale »
Derrière ce titre (complété par les mots « A travers le miroir »), le pianiste français (né en 1997) a réuni de courtes pièces évoquant les contes de fées et leurs personnages, voire la mythologie, l’un de ses refuges, avec la musique, lorsqu’il était un adolescent victime de harcèlement scolaire, comme il le laisse entendre dans la notice : Tchaïkovski, paraphrasé par Pavel Pabst (La Belle au bois dormant) et transcrit par Mikhaïl Pletnev (quatre des sept morceaux de sa Suite de Casse‑Noisette), Grieg (« Marche des trolls » et « Vers le foyer », extraits des Pièces lyriques de l’Opus 54 et de l’Opus 62), Mel Bonis (Phœbé, Viviane, Omphale), Debussy (« Les fées sont d’exquises danseuses » du Second Livre de Préludes), Rachmaninov (Sixième des Etudes‑Tableaux de l’Opus 39, évoquant le Petit Chaperon rouge et le Loup), Medtner (Troisième des quatre Contes de l’Opus 26), Dukas (Plainte, au loin, du faune...), Korngold (« Epilogue du conte » qui conclut les sept Images de contes de fées) et Stravinski (trois extraits de l’Oiseau de feu transcrits par Guido Agosti). Si la thématique du programme est donc cohérente, sa grande variété constitue à la fois sa force, notamment parce que le musicien peut ainsi démontrer qu’il sait (bien) faire beaucoup de chose, et sa faiblesse, notamment parce que les pièces sont de qualité inégale. Mais l’essentiel est là : la personnalité et le talent de l’interprète (Mirare MIR750). LPL



La rédaction de ConcertoNet

 

 

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