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CD et livres: l’actualité d’avril
04/15/2022


Au sommaire :

Les chroniques du mois
En bref
Face-à-face
ConcertoNet a également reçu




Les chroniques du mois





Must de ConcertoNet


   Richard Cœur de Lion à Versailles (2019)


     L’organiste Arnaud De Pasquale


     Le pianiste Severin von Eckardstein


     L’ensemble Vox Cantoris


     Mantra de Stockhausen


     Le pianiste Alexander Krichel


     Sandrine Piau chante Haendel


     Le Lied par André Tubeuf


     François‑Xavier Roth dirige Pelléas


     Louise Chisson et Tamara Atschba


     Sondra Radvanovsky chante Donizetti


     Le Trio Sitkovetsky


     La mezzo Ambroisine Bré


     La soprano Rachel Willis‑Sørensen


     Sandrine Piau et Véronique Gens




Sélectionnés par la rédaction


     Sophie Junker chante Haendel


     Parlando rubato de Péter Eőtvős


     Le pianiste Bezhod Abduraimov


     Federico Mompou de Jérôme Bastianelli


     Le Trio Metral


     Saint‑Saëns par Jean‑Jacques Kantorow


     Fabio Biondi interprète Bach


     L’ensemble Multilatérale


     Christian Thielemann dirige Bruckner


     Nicolas Horvath interprète Montgeroult


     Le Quatuor Psophos interprète Bacri


     La pianiste Isıl Bengi


     Friedrich Haider dirige Wolf‑Ferrari


     Sémiramis de Destouches


     Sadko au Bolchoï


     Hänsel et Gretel à Vienne (2015)


     Cristian Măcelaru dirige Saint‑Saëns


     Karsten Dobers et Loïc Mallié


     Trois œuvres de Cuniot


     Iannis Xenakis de Mâkhi Xenakis


     Benjamin Alard interprète Bach


     Niccolò Castiglioni, essais et entretiens


     Deux œuvres de Crumb





Oui !

Le flûtiste Stefan Temmingh
Eloïse Bella Kohn interprète Bach
Fabio Biondi dirige Argippo de Vivaldi
Arianna Vendittelli chante Vivaldi
Le Quatuor Attacca
Manfred Honeck dirige Bruckner
Penser (à) l’Opéra
Tenir l’accord de Pascal Dusapin
Le ténor Fritz Wunderlich en concert
Le pianiste Wilhelm Backhaus
L’ensemble La Nuova Musica interprète Haendel
Le Trio Hélios
Europa Galante interprète Monza
Fanny Azzuro interprète Rachmaninov
Jean‑Paul Gasparian interprète Rachmaninov
Luis Fernando Pérez interprète Rachmaninov
Saint‑Saëns autour de Laurent Wagschal
Fanny Clamagirand interprète Saint‑Saëns
Le Quatuor Tchalik interprète Saint‑Saëns
Abdel Rahman El Bacha interprète Chopin
François Dumont interprète Chopin
Le pianiste Evgeni Koroliov
Dimitri Malignan interprète Bach
David Grimal interprète Ysaÿe
Jack Liebeck interprète Ysaÿe
Anne Gastinel interprète Chopin




Pourquoi pas ?

L’ensemble La Serenissima
Boris Begelman interprète Vivaldi
Le Baiser des Muses de Nikolaus Harnoncourt
Fanny Vicens interprète Bach
Le pianiste Tristan Pfaff
Le pianiste Matteo Fossi
L’ensemble La Chimera
Ars Antiqua Austria interprète Aumann
Geneviève Laurenceau interprète Saint‑Saëns
Jinjoo Cho interprète Saint‑Saëns
La soprano Sarah Aristidou
Penser l’opéra à présent de Serge Dorny
Marek Janowski dirige Fidelio
Emmanuel Despax interprète Brahms
La soprano Marie‑Laure Garnier
Melody Louledjian chante Rossini
Le ténor Carl Ghazarossian




Pas la peine

L’ensemble Die Freitagsakademie
Rémy Ballot dirige Bruckner
Vanessa Benelli Mosell interprète Debussy
Sergio Foresti chante Marcello
La mezzo Karen Cargill
Paulina Zamora interprète Bach
Anne Gastinel interprète Chopin
Geoffroy Couteau interprète Brahms




Hélas!

Composer après 2020. Amorce
Jérémie Rhorer dirige Brahms
Valentina Lisitsa interprète Chopin
Estelle Béréau et Guilhem Terrail





En bref


Trois pianistes pour Rachmaninov
Les quatuors opératiques de Monza
Frustrante expérience immersive brahmsienne
L’inspiration islandaise et écolo de Sarah Aristidou
Le piano véloce et énergique du Trio Hélios
Koroliov baroque et classique
Musique concertante de Saint‑Saëns
Musique de chambre de Saint‑Saëns (1)
Musique de chambre de Saint‑Saëns (2)
Scherzos et Ballades de Chopin
Musique sacrée par Fritz Wunderlich en concert
Pot‑pourri haendélien
Un Fidelio pour le chef
Le demi‑siècle de Backhaus
Entretien avec Serge Dorny
Tièdes mélodies françaises



Trois pianistes pour Rachmaninov


                    
          


Trois parutions discographiques font honneur à la musique pour piano de Rachmaninov, avec au moins deux qualités communes : une virtuosité épatante et une expression juste. Ces interprétations limpides et dépourvues de toute vulgarité affichent, en effet, beaucoup de sensibilité et de probité, ce qui les rend pratiquement impossible à départager.
Luis Fernando Pérez (Mirare MIR576) signe le disque le plus court, 54 minutes, ce qui suscite quelque frustration. Ce pianiste espagnol aux intentions claires a choisi les Moments musicaux et une sélection de Préludes, le fameux Opus 3 n° 2 ainsi que quatre extraits de l’Opus 23, les Deuxième, Quatrième, Cinquième et Sixième. Il concilie fermeté de la construction et fluidité du discours, avec un jeu articulé, parfois un peu trop appuyé, et en même temps ample, ce qui confère densité et profondeur à ces pages qui dégagent ainsi un grand pouvoir d’émotion et d’évocation. La prise de son, dans un lieu tenu secret (sic), selon la notice, met bien en valeur la sonorité du piano, mais celle du disque de Jean‑Paul Gasparian (Evidence EVCD085) se révèle sur ce point supérieure. Le pianiste français a lui aussi retenu les Moments musicaux, introduits par deux Préludes, Opus 23 n° 4 et l’Opus 32 n° 10, eux‑mêmes précédés par la Seconde Sonate sur laquelle débute ce programme agencé comme un récital, avec même un bis, la Vocalise opus 34 n° 14. Beaucoup de classe et de justesse, là aussi, avec une clarté toujours de mise, même dans les passages les plus tumultueux. D’une beauté plastique presque un peu trop froide, l’interprétation de Gasparian fascine constamment par son architecture irréprochable, particulièrement dans le cycle des Moments musicaux et dans une Sonate splendide, de grande envergure, jouée avec une parfaite distance émotionnelle et une impeccable alternance entre tension et détente. Le programme réserve quelques climax renversants, comme l’Opus 32 n° 10, et des passages d’une grande profondeur – quel pianiste ! Enfin, le disque de Fanny Azzuro (Rubicon RCD1070) totalise le minutage le plus élevé, avec l’intégrale des Préludes, l’Opus 3 n° 2 ainsi que les deux cahiers Opus 23 et Opus 32. Dans ce disque‑ci, intitulé « The Landscapes of the Soul », la prise de son paraît moins raffinée mais elle procure une certaine impression d’intimité avec l’instrument. L’interprétation, très détaillée, dégage une émotion authentique due à l’absence d’effet et à une grande rigueur stylistique. La sensibilité à cette musique se manifeste en permanence, avec de très beaux climax – l’Opus 32 n° 10, vibrant et touchant, se révèle plus réussi encore. L’expression demeure juste, même dans les passages de grande virtuosité dans lesquels Azzuro développe un jeu toujours net et précis, soigneusement articulé. L’écoute du disque d’une traite procure une impression de relief et de perspective, et chaque pièce fait l’objet d’une caractérisation parfaite, grâce à des effets d’éclairage assez subtils. L’ensemble s’articule harmonieusement, avec des contrastes bien marqués et de beaux moments de respiration. SF




Les quatuors opératiques de Monza





Très estimé en son temps, le Milanais Carlo Monza (1735‑1801) a laissé un nombre assez considérable d’opéras et de pièces sacrées. Fabio Biondi a déjà défendu sa brève Symphonie « La tempesta di mar », ouverture de l’opéra Iphigénie, mais il a par ailleurs découvert dans une bibliothèque des îles Borromées le manuscrit de six quatuors à cordes, interdits à la reproduction à l’exécution, mais dont la Bibliothèque nationale de France disposait heureusement d’une copie. En insérant le disque dans le lecteur, on craint toutefois d’ouvrir une nouvelle fois l’intarissable robinet d’eau tiède de cette seconde moitié du XVIIIe siècle, mais c’est une bonne surprise que réservent ces pièces. Certes Monza n’aborde pas le genre du quatuor avec les mêmes ambitions que Haydn, son presque exact contemporain, ou même de Mozart, dont les Quatuors milanais respectent des canons plus classiques. Mais c’est aussi ce qui fait l’originalité voire le charme de ces œuvres brèves (10 minutes chacune) : elles ne sont pas structurées en quatre mouvements car, chacune porteuse d’un sous‑titre, elles relèvent en quelque sorte de la musique à programme, comme un « Opera in musica » (celle qui donne son titre à l’album), les cinq autres étant dénommées « Les Amants rivaux », « La Forge de Vulcain », « Le Joueur », « Divertissement nocturne » et « La Chasse ». Voici donc des quatuors avec récitatifs – Haydn recourt parfois lui‑même à ce langage dramatique – et mouvements à visée descriptive ou évocatrice (« Gli amanti rivali in contrasto », « La tristezza per la perdita », « Unione de’ Cacciatori »...). Avec trois musiciens de son ensemble Europa Galante, Biondi défend cette musique avec brio, énergie, enthousiasme, finesse et sensibilité (Naïve V 7541). SC




Frustrante expérience immersive brahmsienne





Avec son orchestre sur instruments d’époque Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer a enregistré, en avril 2021, la Première Symphonie et le Concerto pour violon de Brahms, avec Stéphanie‑Marie Degand. La vilaine prise de son dans le Grand Théâtre de Provence saisit les musiciens de très près, avec parfois de la saturation dans les forte. Autant dire que l’auditeur n’échappe pas au jeu brut de décoffrage de l’orchestre, tantôt maigre, tantôt grossier, pratiquement tous pupitres confondus. Dans le concerto, le jeu de la violoniste partage à peu de choses près les mêmes déplaisantes caractéristiques, ce qui rend au moins cohérente son association avec l’orchestre. Il en résulte une interprétation franche et tranchée mais dépourvue de classe et de plénitude. Les qualités d’expressivité et d’engagement, certes réelles, passent totalement au second plan. Même traitement dans une Première resserrée, sèche, voire raide, à l’énergie mal canalisée. Dans une notice au ton précieux, Sylvain Fort invite à réécouter et à redécouvrir Brahms autrement. Non, merci (NoMadMusic NMM101). SF




L’inspiration islandaise et écolo de Sarah Aristidou





Le premier enregistrement du soprano franco‑chypriote Sarah Aristidou pour l’éditeur Alpha offre sous le titre « Æther » un programme très surprenant avec des partenaires prestigieux. Ce disque a de quoi laisser perplexe ! Pas seulement par son programme qui fait voisiner le répertoire pour soprano colorature de l’opéra français, la musique sacrée de Poulenc, des œuvres de musique contemporaine et de la musique traditionnelle suédoise. Mais par son concept, qui vient d’un amour avoué pour l’Islande, comme le prouve un magnifique reportage photographique signé de la réalisatrice Weronika Izdebska avec qui elle collaborera pour la présentation d’un film magnifiant la nature. Enfin, par son engagement écologique, le packaging du disque ayant été réalisé sans plastique et avec une encre biologique, qu’elle partage à Berlin avec l’Orchestre du changement (Orchester des Wandels) qui regroupe des musiciens issus de nombreux orchestres allemands tous engagés dans un projet de reforestation de Madagascar soutenu par Alpha.
Ce préambule étant fait, il faut bien émettre quelques réserves sur la réalisation artistique du programme musical proprement dit. Si Sarah Aristidou est à son meilleur dans Näckens polska, un chant populaire traditionnel suédois parlé‑chanté arrangé par le guitariste Christian Rivet qui l’y accompagne magistralement, et indéniablement virtuose dans Un grand sommeil noir de Varèse (avec Daniel Barenboim au piano) et Labyrinth V, création de Jörg Widmann pour soprano a capella, on est moins séduit par son approche très froide de la scène « Mes longs cheveux » de Pelléas et Mélisande de Debussy et même des deux extraits du Stabat Mater de Poulenc (« Fac ut portem » et « Quando corpus ») avec l’Orchestre du Changement et le Chœur de l’Administration du son (Chor der KlangVerwaltung), tous deux magnifiques sous la direction de Thomas Guggeis. On n’y sent aucun recueillement et les aigus sont plus stridents que planants. C’est aussi ce qui gêne dans les extraits de Lakmé de Delibes, Hamlet d’Ambroise Thomas et Le Rossignol de Stravinski. On passera rapidement sur un extrait d’Il trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel, trop peu stylé pour pouvoir être admiré. « Einmal, noch einmal » extrait de La Rose blanche d’Udo Zimmermann, bénéficie de la flûte surnaturelle d’Emmanuel Pahud et le chant d’Ariel extrait de La Tempête de Thomas Adès de son engagement dramatique malgré des aigus poussés à bout de souffle.
On l’aura compris : une voix au tempérament dramatique plus adaptée aux exigences de la musique contemporaine que pour séduire dans le répertoire lyrique et un programme dont l’étrangeté ne manque pas de charme (Alpha 781). OB




Le piano véloce et énergique du Trio Hélios





C’est à un très beau programme que nous convie le Trio Hélios (fondé en 2014) pour son tout premier disque, en mettant à l’honneur la musique française. Autour du superbe et bien connu Trio (1914) de Ravel, les autres œuvres n’ont pas à rougir de la comparaison, tant elles regorgent d’inventivité et de finesse. En cette année où l’on fête le centenaire de la mort de Saint‑Saëns, on se réjouit de retrouver un de ses tous premiers chefs‑d’œuvre, avec le Premier Trio (1864). Si l’admiration pour Schumann est perceptible tout du long, le deuxième mouvement surprend toujours autant par sa gravité inhabituelle chez Saint‑Saëns, parfaitement rendue par la concentration des musiciens, attentifs à démêler ces entrelacs inquiétants en un tempo mesuré, sans aucun vibrato. Si le ton général objectif donnait une certaine sécheresse au premier mouvement plus lyrique, il n’en est rien ici, tant cette retenue imprime un ton plus sombre encore à cette page parmi les plus inspirées de l’auteur. La rythmique entêtante du Scherzo qui suit bénéficie du piano véloce et énergique d’Alexis Gournel, apportant un caractère bienvenu à ses interventions, là où ses partenaires sont plus en retrait en comparaison: c’est là une constante du disque, qui explique pourquoi une cotation plus élevée n’a pu lui être attribuée. L’unique Trio de Ravel s’avère très réussi, malgré un début surprenant par une ligne déstructurée (presque désincarnée) et des lenteurs assumées. Peu à peu, cette optique prend une saveur ensorcelante, plus enlevée dans les parties rapides. Là encore, il manque un rien d’imagination aux cordes pour nous emporter davantage. Ces quelques réserves ne peuvent faire oublier la nécessité de découvrir, si ce n’est déjà fait, les deux pièces de 1918 qui concluent ce disque, D’un soir triste et D’un matin de printemps (qui donne son titre à l’album) : la hauteur de vue délicate et sensible de Lili Boulanger, dont la musique de chambre de sa sœur Nadia a été mise récemment à l’honneur par Raphaël Jouan, violoncelliste du présent disque, avec la pianiste Flore Merlin (voir ici), est parfaitement rendu par les trois musiciens, sans aucune afféterie (Mirare MIR564). FC




Koroliov baroque et classique





Le pianiste russe Evgeni Koroliov (né en 1949) a eu pour maîtres à Moscou Heinrich Neuhaus et Maria Youdina, puis Lev Oborine et Lev Naoumov. Ce coffret de neuf disques Hänssler Classic, regroupant des enregistrements de dates variées, résume le répertoire à dominante classique de cet immense pianiste, aujourd’hui pédagogue recherché, qui s’est élargi plus tardivement à la musique romantique et moderne. Avec quatre disques, la musique de Bach, qui, dès son plus jeune âge, a contribué à la réputation internationale de Koroliov et aurait fait dire à Győrgy Ligeti qu’il emmènerait ses enregistrements sur une île déserte, est majoritaire dans ce coffret : un Bach dont l’interprétation est très rigoureuse, d’une sobriété totale pour l’ornementation, mais non dénué d’un sens aigu du rythme et faisant chanter les voix dans les parties fuguées. Inventions et Sinfonias, Partita (Ouverture à la Française), Duos, Fantaisie et Fugue BWV 906 et Concerto italien sont des modèles de rigueur et de classicisme. Les Variations Goldberg enregistrées en 1999 sont d’une fidélité absolue au texte, d’une grande clarté, sans les prises de liberté dans les tempi et les ornements dont rivalisent les interprétations très souvent passionnantes qui paraissent aujourd’hui ; le pianiste en fait toutes les reprises, ce qui implique que l’œuvre nécessite deux disques. Mozart n’est pas le meilleur : trois sonates bien choisies, jouées avec un respect indéniable du texte et du style mais avec un sérieux réfrigérant, manquent terriblement du sourire derrière les notes et de l’indispensable petit grain d’humour. Le meilleur, c’est chez Haydn et Haendel qu’on le trouvera : le premier avec neuf sonates et les longues Variations en fa mineur, que Koroliov détaille en orfèvre avec des phrasés ciselés, des tempi plutôt lents, des rythmes incisifs et surtout une grande variété de climats, de couleurs dans ces dix petits chefs‑d’œuvre ; le second, avec quatre de ses suites, enregistrées en 2007, sont l’absolu meilleur de cet album, soutenant la comparaison avec le magnifique ensemble des seize suites enregistrées en partage par Sviatoslav Richter et Andrei Gavrilov au Festival de la Grange de Meslay en 1979, un temps disponible chez EMI. La musique de Haendel respire avec des tempi amples, des couleurs chatoyantes et un style classique d’une rigueur absolue (HC18053). OB




Musique concertante de Saint‑Saëns


          


A l’occasion du centenaire de la mort de Saint‑Saëns, Naïve a publié deux disques de violon qui comportent deux œuvres en commun, le Premier Concerto et la Romance opus 48.
La prise de son capte Geneviève Laurenceau d’un peu trop près, au détriment de l’Orchestre de Picardie, convenable, sans plus, sous la direction de Benjamin Levy. L’enregistrement jette donc une lumière crue sur un jeu ferme et carré, parfois trop appuyé. Malgré d’incontestables qualités de clarté et de phrasé, l’interprétation accuse un déficit de finesse et de légèreté, notamment dans un Premier Concerto filant droit et dans un Caprice d’après l’Etude en forme de valse un peu trop bousculé par moments. La soliste ne manque cependant ni de panache, ni de sensibilité, dans les Romances opus 37 et 48 en particulier. La Muse et le Poète, avec le violoncelliste Yan Levionnois, manque de décantation et la mise en place avec l’orchestre laisse à désirer. La Fantaisie pour violon et harpe, page tardive pleine de fraîcheur, se révèle en revanche mieux réussie : avec la remarquable harpiste Pauline Haas, l’archet se montre capable de souplesse, de légèreté et de charme (V 7384).
Jinjoo Cho assume brillamment sa perception de la musique de ce compositeur, selon elle « sensuelle », « évocatrice » et « exquise ». Cette approche convient bien à la Romance, jouée dans un tempo retenu, ce qui permet de goûter à la finesse et à la précision de son jeu virtuose, mais dépourvu d’ostentation. Le Premier Concerto parait cette fois plus léger et éclatant, tandis que le célèbre Introduction et rondo capriccioso se caractérise par un raffinement à la limite du maniérisme dans les passages plus lents. La violoniste s’attache aux détails dans une Havanaise d’allure modérée mais convaincante. La prise de son met mieux en valeur l’orchestre Appassionato, dirigé par Mathieu Herzog, au sein duquel règne un esprit chambriste, avec beaucoup de transparence et de finesse dans les échanges. Un Troisième Concerto clair et élégant témoigne de l’entente entre cette violoniste, qui a elle‑même traduit la notice en coréen, et ce jeune ensemble. Là aussi se manifeste une certaine tendance à retenir les tempi au bénéfice de la netteté et de la subtilité. L’approche personnelle et cohérente des interprètes confère toutefois à ce concerto un relief singulier, insoupçonné même (V 7422).
Qui choisir entre Laurenceau et Cho ? Tout dépend des affinités de chacun, mais nous préférons le disque de la Coréenne, aussi pour l’orchestre. Pour disposer d’une anthologie plus complète des œuvres pour violon et orchestre et en plus celles pour violoncelle et orchestre, le beau coffret paru en 2013 avec des jeunes musiciens de la Chapelle musicale Reine Elisabeth demeure prioritaire. SF




Musique de chambre de Saint‑Saëns (1)


          


En 2021, le monde de la musique a célébré comme il se doit le centenaire de la mort de Saint‑Saëns, avec de nombreuses parutions discographiques. Laurent Wagschal et son ensemble Le Déluge, nom tiré d’un oratorio du compositeur, ont entrepris d’enregistrer tous les duos pour violon et piano ainsi que pour violoncelle et piano, ce qui correspond bien évidemment aux deux Sonates pour violon et aux trois Sonates pour violoncelle – la Troisième n’étant connue que partiellement – mais aussi à de nombreuses petites pièces, pour la plupart assez intéressantes, pour certaines peu connues, telles Sarabande et Rigaudon, pour violon, pièce assez spirituelle et inspirée par les formes du passé, ou le Chant saphique, pour violoncelle, parmi bien d’autres, comme évidemment l’inévitable « Cygne » du Carnaval des animaux et le Prélude du Déluge. Ces enregistrements admirablement captés prouvent une fois de plus l’inspiration et la maîtrise de Saint‑Saëns dans un corpus de grande importance, à une époque où l’opéra constituait le genre par excellence dans lequel il convenait de percer en France. Cette publication a en outre le mérite d’attirer l’attention sur les impeccables musiciens qui composent cet ensemble réuni autour de l’irréprochable Wagschal, une référence dans le répertoire français. Largement représentée dans ce programme, puisqu’elle joue onze œuvres sur les vingt et une, Pauline Bartissol engrange des points : perfection du jeu instrumental, fermeté de la construction, beauté de la sonorité. Cette fine chambriste délivre avec le pianiste une version à conserver précieusement des Sonates pour violoncelle mais aussi d’une Suite qui atteste à elle seule ses compétences et de sa valeur artistique – une révélation. Pour le reste, Ayako Tanaka impressionne un peu moins que les autres violonistes, Pierre Fouchenneret et Sébastien Surel, mais le niveau demeure estimable – Première Sonate (Tanaka) éloquente et raffinée, parfaitement mise en relief, Seconde Sonate (Fouchenneret) ferme et élégante, exprimée avec sensibilité. Les musiciens caractérisent en outre avec justesse les œuvres plus brèves, comme l’Allegro appassionato pour violoncelle, la Berceuse pour violon ou la Gavotte pour violoncelle, toutes jouées avec limpidité et netteté – mention spéciale pour le rare Triptyque pour violon (Surel). Le texte de Jacques Bonneau, complété par les quelques mots d’introduction de Wagschal, aide à prendre conscience, écoute à l’appui, de l’importance de la musique de chambre de Saint‑Saëns. Voici décidément un beau coffret, de la plus grande qualité (trois disques Ad Vitam AV 210215).
Pour le compléter, un album plutôt réussi chez Naxos : le troisième volume d’œuvres pour violon et piano par Fanny Clamagirand, entièrement consacré à des transcriptions, pour la plupart de Saint‑Saëns. Le programme contient donc des œuvres bien connues (Danse macabre, Jota aragonaise, Prélude du Déluge, Havanaise, Introduction et rondo capriccioso, dans une transcription de Bizet, Caprice d’après l’Etude en forme de valse, arrangé par Ysaÿe), mais aussi des pages plus en marge du répertoire, comme Prière ou le Caprice andalou, voire cet arrangement d’un air de Samson et Dalila, « Printemps qui commence ». Le jeu d’une grande noblesse de la violoniste affiche une maîtrise et une maturité assez admirables : pureté de l’intonation, finesse du phrasé, justesse de la caractérisation, surtout dans les pièces aux couleurs typées, rythmique et dynamique impeccables. La tenue d’archer et la sonorité, riche et moelleuse, ne laissent rien à désirer. La pianiste, Vanya Cohen, assure un accompagnement presque aussi intéressant que le jeu très inspiré de la violoniste française (8.574314). SF




Musique de chambre de Saint‑Saëns (2)





A l’exception d’un essai de jeunesse perdu, Saint‑Saëns a laissé deux Quatuors à cordes de maturité, l’un de 1899, l’autre, plus tardif encore, de 1918. Le Premier s’inscrit dans le sillage de Beethoven, sans totalement se soumettre à l’esthétique franckiste, tandis que le Second relève plutôt du néoclassicisme. Après un album très apprécié consacré à Reynaldo Hahn, le Quatuor Tchalik, formé de quatre frères et sœurs, les regroupe dans un disque à la pochette aussi originale que sympathique. Cette jeune formation affiche un équilibre et une cohésion parfaits et développe une très belle sonorité, mise en valeur par une prise de son assez proche mais précise et aérée. Elle confère du relief et du caractère dans un Premier Quatuor fougueux mais maîtrisé, profondément ressenti. La clarté de la construction et le raffinement du phrasé profitent au Second Quatuor, rendu dans toute sa vitalité. Cette enthousiasmante fratrie se montre tout autant capable de tranchant que de nuance, de souplesse que de fermeté, dans un dialogue constamment limpide et soutenu, tantôt franchement vigoureux, tantôt plutôt pondéré. Cet album abouti et stimulant convainc de la valeur de ces œuvres mais aussi du grand talent cette formation à suivre (Alkonost Classic ALK007). SF




Scherzos et Ballades de Chopin


                    
          


Chez Chopin, les bonnes choses vont souvent par quatre. Ainsi de ses Scherzos et Ballades que trois pianistes viennent d’illustrer, apportant leur pierre à une discographie évidemment déjà pléthorique.
Deux décennies après avoir achevé son intégrale (Forlane), Abdel Rahman El Bacha revient à Chopin avec ces deux séries de pièces. Le Bechstein sonne admirablement, diffusant parfois une chaleur brahmsienne, le pianiste, avec sa noblesse et sa hauteur de vue coutumières, déploie une puissance dépourvue de violence. Il est certes des Ballades plus narratives, mais il n’est pas interdit non plus, comme il le fait, de tendre vers la musique pure (Mirare MIR514).
Valentina Lisitsa est peut‑être « la reine de Rachmaninov », comme le proclame la page d’accueil de son site internet, mais elle apparaît complètement hors sujet dans les Scherzo, la Polonaise‑Fantaisie, Andante spianato et Grande polonaise brillante et la Fantaisie‑Impromptu. Brutalisant son Steinway, elle impose un Chopin raide, bousculé et désarticulé, beaucoup trop extériorisé et spectaculaire quand il ne minaude pas sottement, et d’une platitude désespérante quand vient le moment où il n’y a plus de doubles croches pour en mettre plein la vue (Naïve V 7700).
Le Steinway de François Dumont est autrement plus en situation. Il raconte une histoire, chante et joue des contrastes dans les Ballades, entre agitation et délicatesse, et s’épanouit dans des Impromptus (y compris la Fantaisie‑Impromptu) lumineux, subtils, souples et aériens (La Música LMU 030). SC




Musique sacrée par Fritz Wunderlich en concert





SWR Music consacre une édition entière aux archives de concerts donnés, sauf exception, à Stuttgart par Fritz Wunderlich (26 septembre 1930-17 septembre 1966), disparu accidentellement, trop tôt, au faîte d’une magnifique carrière. Avec sept disques, le coffret consacré à la musique sacrée (la musique antérieure à Bach fait l’objet d’une autre publication), qui tenait une part si importante dans son activité de concertiste, est un monument à lui seul avec des merveilles mais des inégalités dans ces documents dues aux conditions d’exécution et aussi d’enregistrement de l’époque, les années 1950, malgré un énorme travail de remastérisation des bandes originales.
Pièce de résistance de l’ensemble, la Passion selon saint Jean de Bach, dont Wunderlich, né d’une mère violoniste catholique et d’un père chef de chœur protestant, disait : « Mon credo, ce sont les Passions ». Dirigée par Theodor Egel à Fribourg (23 février 1958), ses tempi sont plus solennels que ce que l’on ose aujourd’hui mais les chœurs sont mal enregistrés et le continuo est d’une dureté et d’une banalité que l’on n’imagine plus de nos jours. Alto véritable, Marga Höffgen a une ligne impeccable, le soprano, Agnes Giebel, a des aigus un peu stridents, Horst Günter (basse et Jésus) y est parfois un peu trop solennel mais son timbre est d’une humanité déchirante sans oublier la basse Heinz Rehfuss. Wunderlich y est à son absolu meilleur, avec un Evangéliste qui n’a guère connu de rival pendant sa courte carrière, et Hans‑Joachim Rotzsch, miraculeux aussi dans les arias de ténor.
Le Messie de Haendel par l’Orchestre radio‑symphonique de Stuttgart dirigé par Heinz Mende (21 mars 1959) est franchement impossible. Le son de l’orchestre, les chœurs pâteux (Chœur philharmonique de Stuttgart) et les solistes, Tilla Briem (soprano), Margarethe Bence (alto), Otto von Rohr (basse) et Wolfgang Dallmann (orgue), au style ampoulé, le disqualifient. Même Wunderlich semble étranger à ce monument du chant anglais donné ici en allemand. De même pour les extraits de l’Oratorio de Noël (18 décembre 1955, Markuskirche), qui ne valent que pour les interventions de Wunderlich.
Bien que très pompeux, on admire le style du Requiem de Mozart du même orchestre dirigé par Hans Müller‑Kray (21 juin 1958 à Ottobeuren) avec, outre Wunderlich, une Agnes Giebel angélique, l’alto Iva Malaniuk, impériale, et un superbe Chœur Bach de Stuttgart.
Les trois perles indéniables de ce coffret consistent d’abord en la Messe en ut mineur inachevée de Mozart (22 juin 1957), dans une version complétée et retravaillée par Georg Alois Schmitt (1827‑1902), avec adjonction de pièces d’Eberlin et d’extraits d’autres œuvres de Mozart. A la tête de l’Orchestre radio-symphonique et des chœurs de la Radio et Bach de Stuttgart, Müller‑Kray, le prédécesseur de Celibidache à Stuttgart, dirige très sobrement. Agnes Giebel (soprano I) y est surnaturelle, avec une voix planant au‑dessus de l’orchestre dans le Kyrie initial, l’Et incarnatus est et surtout dans l’Agnus Dei ; Valerie Bak (soprano II) est plus scolaire, ce qui crée un déséquilibre dans les duos. Et dans « Et in spiritum sanctum », Wunderlich les surpasse en intensité. C’est aussi Müller‑Kray qui dirige le Requiem de Verdi avec le même orchestre (2 novembre 1960), dont seuls trois extraits sont restitués dans lesquels Wunderlich transcende l’» Ingemisco  » avec un « Statuens in parte dextra » héroïque et un ton implorant miraculeux sur « Qui Mariam absolvisti ». Maria Stader, Marga Höffgen et Gottlob Frick complètent cet extraordinaire quatuor vocal. Enfin, In terra pax de Martin fait figure de curiosité dans cet ensemble. Cette œuvre aux forts accents (kurt‑)weilliens, commande créée par Ernest Ansermet à Genève en 1945, fait partie du patrimoine musical d’après‑guerre par son engagement pacifique et compassionnel. Enregistrée le 22 novembre 1953 à Freiburg (Paulussaal) sous la direction de Theodor Egel avec des solistes exceptionnels, en gros la même équipe que pour le reste de l’ensemble, l’œuvre qui combine tonalité et sérialisme, laisse une part moins importante au ténor allemand, alors encore étudiant, que dans le reste de ce précieux album qui s’inscrit dans une collection impressionnante érigée par SWR à sa gloire (SWR19095CD). OB




Pot‑pourri haendélien





Pourquoi enregistrer des concertos, des oratorios, des sonates ou des opéras de Händel alors qu’il est bien plus amusant de réaliser un disque où l’on interprète des extraits de tout et de rien, recourant à des airs, des ouvertures, des récitatifs...? La première impression en écoutant ce disque intitulé « Handel’s Unsung Heroes » est, on l’aura compris, franchement négative car quel peut être l’intérêt d’un tel disque: initier un néophyte à la musique du Caro Sassone ? Offrir une carte de visite à ses interprètes afin de prouver qu’ils peuvent tout faire ? On n’en saura rien et les propos de la notice, en anglais uniquement (notamment l’entretien avec David Bates), ne nous éclairent guère sur la visée de cette nouvelle publication baroque. Pour autant, on ne peut que céder au charme d’une interprétation remarquable de bout en bout, du côté des chanteurs comme de celui de l’orchestre. Dès l’Ouverture de Teseo, l’ensemble La Nuova Musica nous impose un Händel certes sans grande surprise ni soudaine embardée mais, sous la direction tout en nuances de David Bates, que voilà de la belle musique néanmoins fort bien faite ! Les hautbois et le basson séduisent d’emblée. Ce sera également le cas des trompettes, notamment requises pour trois extraits martiaux de Rinaldo, fort bien soutenues par des cordes à la verve communicative. Passons donc sur l’unité de ce disque (si tant est qu’il faille en trouver une) et attardons‑nous maintenant au chant, car là est tout de même le cœur de ce programme dans lequel plusieurs airs sont donnés, certains connus (ceux tirés d’Alcina ou d’Ariodante sont de véritables « tubes »), d’autres moins à l’instar par exemple de ce bel extrait d’Amadigi di Gaula. Christine Rice use d’un mezzo chaleureux et conquérant dans l’air célèbre « Sta nell’Ircana pietrosa tana » (Alcina), dont la brillance est relevée par les excellents cornistes Roger Montgomery et Joseph Walters. Quant au célébrissime « Scherza infida » (Ariodante), elle s’y montre tout aussi à l’aise mais évidemment dans un registre plus grave, le chant étant plus retenu, le vibrato très maîtrisé rendant le propos encore plus poignant. Lucy Crowe déploie, comme on en a l’habitude, des timbres généreux et si le souffle peut parfois sembler un peu court dans « V’adoro pupille » (Giulio Cesare in Egitto), elle n’en est pas moins bouleversante dans ce qui est, il est vrai, un des airs majeurs de cet opéra qui ne l’est pas moins dans le paysage haendélien. Mais c’est peut‑être son air tiré d’Aci, Galatea e Polifemo qui révèle le mieux ses qualités, enlevé sans ostentation et très bien accompagné par l’orchestre. Iestyn Davies est pour sa part un contre‑ténor de qualité et, il est vrai aidé par le véritable partenariat que lui offre le violon solo de Thomas Gould (peut‑être un brin affecté dans certaines fioritures), le démontre tout particulièrement dans l’air là aussi bien connu « Se in fiorito amena prato », issu du même Giulio Cesare. De fait, à n’en pas douter et passé le questionnement encore une fois sur le propos général souhaité par les artistes, voilà un beau disque dédié à Händel qui ne décevra pas ceux qui souhaiteront l’écouter ; pour autant, rien d’indispensable non plus (Pentatone PTC 5186 892). SGa




Un Fidelio pour le chef





Comme le Freischütz réalisé à Francfort en novembre 2018, Marek Janowski aurait dû diriger ce Fidelio en concert, également avec dialogues adaptés par Katharina Wagner et Daniel Weber. Mais le covid en a décidé autrement et cet enregistrement a donc été effectué en studio en deux sessions séparées de plusieurs mois (juin et novembre 2020). Voilà qui contribue sans doute à expliquer pourquoi la tension dramatique paraît moindre dans l’opéra de Beethoven que deux ans plus tôt dans celui de Weber. Cela dit, le chef allemand demeure passionnant, notamment dans sa façon de faire ressortir certains détails de la partition, même si la Philharmonie de Dresde, dont il est le Chefdirigent et le directeur musical depuis 2019, n’est assurément pas la plus belle phalange allemande. Côté voix, les satisfactions sont assez mitigées. Lise Davidsen, déjà à l’honneur dans le Freischütz, est une Léonore techniquement solide mais qui ne captive pas. Christina Landshamer et Cornel Frey sont bien appariés en Marcelline et Jaquino. En revanche, Georg Zeppenfeld (Rocco) et, plus encore, Christian Elsner (Florestan) paraissent quelque peu fatigués, de telle sorte que le Pizarro de Johannes Martin Kränzle tire son épingle du jeu tandis qu’on regrette beaucoup que Günther Groissböck n’intervienne que quelques minutes pour chanter Don Fernando (album de deux SACD Pentatone PTC 5186 880). SC




Le demi‑siècle de Backhaus





Cette édition en dix disques des enregistrements de Wilhelm Backhaus (1884‑1969) sur un grand demi‑siècle (1908‑1961) présente quelques points communs avec l’édition en dix disques publiée par Decca, qui commence avec des enregistrements réalisés à partir de 1950 alors que le pianiste allemand avait 69 ans. L’avantage de ce coffret, outre d’offrir des enregistrements extrêmement anciens (78 tours et même rouleaux !) est de contenir principalement des enregistrements en public, ce qui pour un pianiste qui était infiniment plus intéressant en concert qu’au studio est considérable. Evoquer ce pianiste, c’est rendre vie à toute une époque à Leipzig, où Brahms, Nikisch, Busoni, Siloti, d’Albert et Hans Richter, fréquentaient le salon de l’éditeur Ernst Wilhelm Fritzsch, où fut admis très jeune Backhaus, fils d’un notable de la ville. Le livret, magnifiquement documenté (photos d’archives, programmes, articles de journaux), raconte cela ainsi que les années d’enseignement à Manchester, Berlin et l’explosion de sa carrière internationale. On ne comparera donc pas ces deux coffrets, qui sont complémentaires, même s’il y a beaucoup de redites dans le répertoire du pianiste, qui avait un certain nombre d’œuvres de prédilection au concert et au studio.
Parmi les enregistrements les plus anciens, on retiendra un Concerto du Couronnement de Mozart de 1940 (rouleaux) : si le son n’a pas beaucoup de relief il vaut par l’élan et le style et la cadence échevelée de Backhaus. Autre perle, son arrangement pour piano seul de la « Romance » du Premier Concerto de Chopin, sans effusion mais irrésistiblement bien chantée. Quelques pièces courtes, des encores très probablement, pour la plupart transcrites, bien dans l’air de l’époque et qui pourraient être le répertoire d’Horowitz. Mais si elles sont toujours parfaites, elles n’ont jamais la petite étincelle de génie que leur conférait le pianiste américain. On retiendra, outre la magistrale transcription par Rachmaninov du Liebesleid de Kreisler, trois autre bis miraculeux : la « Danse d’Olav » de Riccardo Pick‑Mangiagalli, la transcription par Backhaus de la Sérénade de Don Giovanni de Mozart et « L’Oiseau prophète » des Scènes de la forêt de Schumann. Deux enregistrements resteront historiques : les Variations Paganini de Brahms et les vingt‑quatre Etudes de Chopin de 1928, fracassantes et poétiques.
Les concertos enregistrés en public sont certainement la part la plus copieuse et réputée de ce coffret. Les deux concertos de Brahms, surtout, où rivalisent virtuosité et beauté sonore, élégance et force, dans des versions avec des prises de risque considérables : le Premier est de 1952, dirigé par Böhm, le Second de 1953, dirigé par Schuricht, les deux avec les Wiener Philharmoniker. De même, pour le Quatrième de Beethoven, majestueux de style, au Carnegie Hall en 1956 avec le Philharmonique de New York dirigé par Guido Cantelli.
Le coffret contient, outre de très belles sonates de Haydn, huit sonates de Beethoven (dont la Hammerklavier et l’Opus 110), quatre provenant d’un récital resté célèbre au Carnegie Hall le 3 mars 1954 (avec quatre bis miraculeux), rescapé en 1970 grâce à la veuve du pianiste : toutes ces sonates enregistrées en concert sont le sommet de l’héritage de Backhaus, toutes plus vivantes et exaltées que la presque intégrale réalisée en studio à la fin de sa vie, trente et une sonates (manque la Hammerklavier) qui figurent dans le coffret Decca (Profil Edition Günter Hänssler PH21003). OB




Entretien avec Serge Dorny





Intendant de l’Opéra d’Etat de Bavière depuis l’année dernière, Serge Dorny, dans Penser l’opéra à présent, se prête à l’exercice du livre d’entretiens, comme Peter de Caluwe il y a trois ans (Passion(s) et controverse(s)) chez Racine et Bernard Foccroulle en 2018 (Faire vivre l’opéra) chez le même éditeur, Actes Sud. Contrairement à ces deux références, il s’agit d’un ouvrage collectif et la présentation paraît, à première vue, pour le moins étrange. L’entretien en tant que tel se présente en caractères rouges, sans occasionner heureusement de fatigue à la lecture, mais les échanges semblent peu naturels et spontanés, ce qui donne un peu trop l’impression que l’ancien directeur de l’Opéra de Lyon a consigné les réponses par écrit en mûrissant sa pensée. Viennent régulièrement s’intercaler dans ce mélange d’essai et de biographie, cette fois en caractères noirs, différentes contributions plus ou moins intéressantes de diverses personnalités. Alexander Neef, Krzysztof Warlikowski, Thierry Escaich, Christian Merlin, entre autres observateurs et acteurs du monde de l’opéra, complètent les propos tenus par celui qui présida aussi aux destinées du London Philharmonic Orchestra. Il va sans dire que tous ces contributeurs partagent la vision de Dorny, dont la direction artistique s’inscrit dans l’héritage de Gerard Mortier. L’opéra se doit de s’ancrer dans la cité, et a un rôle politique et social important à jouer, ce que plus personne ne viendrait contredire aujourd’hui. Dorny s’attarde également sur le rôle éducatif d’une maison d’opéra et partage sa conviction de l’importance de créer de nouveaux ouvrages, au contraire de certains intendants plus conservateurs. La provocation gratuite ne semble toutefois pas constituer un mantra pour cette personnalité influente dont la pensée est de nature à concilier différentes sensibilités. L’amateur ouvert d’esprit et conscient des missions de l’opéra aujourd’hui ne peut qu’approuver toutes ces réflexions, en fin de compte assez convenues, mais développées avec rigueur et conviction, un peu plus, d’ailleurs, dans l’esprit d’un Foccroulle que d’un Caluwe. Mais tout cela risque d’être reçu avec plus de scepticisme par les aficionados qui ne jurent que par les voix et manifestent une violente allergie à la simple évocation du nom de metteurs en scène gâchant leur plaisir, comme Warlikowski, Tcherniakov ou Castellucci (144 pages, 24 euros). SF




Tièdes mélodies françaises





Les mélodies françaises de Reynaldo Hahn, Chausson et Duparc semblent tenter beaucoup les mezzo‑sopranos de langue anglaise. Susan Graham en avait donné en 1997 et 2008 des enregistrements moyennement convaincants notamment pour la prononciation française, qui est tout de même une qualité fondamentale à la réussite de ce répertoire. Sous le titre « Fleur de mon âme », le mezzo‑soprano écossais Karen Cargill, fort bien accompagnée par le pianiste anglais Simon Lepper, se lance dans ce répertoire, en ajoutant Debussy et Jongen, avec le même handicap phonétique. Mais là où Susan Graham réussissait à mettre un peu de chaleur sinon de passion, Karen Cargill échoue complètement. L’ensemble est d’une tiédeur totale, certainement irréprochable pour le chant mais vraiment peu convaincant pour le style et le charme. Ces deux interprètes avaient mieux convaincu avec leur précédent album chez le même éditeur consacré aux mélodies de Gustav et Alma Mahler (Linn CKD 652). OB






Face-à-face



Bach : Inventions à trois voix


          
Les Inventions (à deux voix et trois voix, ces dernières publiées sous le nom de Sinfonias) ne figurent pas au premier plan dans le vaste corpus de chefs‑d’œuvre pour clavier seul de Bach, même si Gould, par exemple, s’y est intéressé. C’est assurément dommage, car ces deux recueils de quinze pièces chacun, datant de la période de Cöthen (édités en 1723) se révèlent d’une grande variété d’expression et d’inspiration, bien au‑delà de la fonction didactique que leur assigne le compositeur, sans doute à l’intention première de son fils Wilhelm Friedemann (« Guide honnête qui enseignera à ceux qui aiment le clavecin, et tout particulièrement à ceux qui désirent s’instruire, une méthode claire pour arriver à jouer proprement deux voix, puis, après avoir progressé, à exécuter correctement trois parties obligées »). Deux pianistes viennent récemment de se confronter aux Sinfonias à trois voix.
Dans les deux recueils, l’Américano‑Chilienne Paulina Zamora (née en 1964), élève de Sebők et Starker à Bloomington, ne se refuse pas au confort du grand piano moderne, sans excès toutefois, sur un Fazioli malheureusement pas très bien capté par les micros. Elle rend toutefois justice à la diversité de ces miniatures, d’une belle alacrité dans les pièces vives et d’une réelle profondeur dans les pages plus méditatives, de même que dans une Fantaisie chromatique et Fugue de très bonne tenue (Delos DE 3568).
Elève de Nicolas Horvath, Jean‑Paul Sévilla, Ludmilla Berlinskaïa et Naum Grubert, Dimitri Malignan (né en 1998) place les Inventions à trois voix au cœur d’un album intitulé « Pérégrinations », précédées du Caprice sur le départ de son frère bien aimé et suivies de trois pages assez rares, l’Adagio BWV 968 (transcription du premier mouvement de la Troisième Sonate pour violon seul, la Fantaisie BWV 906 (avec sa fugue inachevée) ainsi que le triptyque Prélude, Fugue et Allegro BWV 998 (à l’origine pour luth). Dans ce programme comme dans son interprétation, il ne cherche pas la facilité, servant le texte avec clarté et rigueur, mais sans sécheresse, tant il sait en outre tirer parti du subtil piano à cordes parallèles du facteur belge Chris Maene (Hortus 208). SC




Chopin : Sonate pour violoncelle et piano


          
C’est à l’amitié de Chopin avec Auguste(-Joseph) Franchomme (1808‑1884) qu’on doit, dans une production chambriste au demeurant très peu fournie, le quasi‑monopole du violoncelle, notamment avec une Sonate en sol mineur (1847), l’un de ses ultimes chefs‑d’œuvre, dédiée au violoncelliste français. Deux duos féminins viennent de s’en saisir au disque avec des succès divers.
Impériale par la technique comme par la sonorité, Anne Gastinel (née en 1971) se garde de tout excès de passion mais défend sans désemparer cette conception superbement apollinienne. Elle retrouve une partenaire à sa hauteur, Claire Désert (née en 1967), avec laquelle elle a déjà enregistré Schubert puis des sonates françaises chez le même éditeur. Les pièces plus secondaires laissées par Chopin, l’Introduction et Polonaise brillante (dans l’édition de Gendron) et le Grand duo concertant sur des thèmes de « Robert le Diable » (co‑écrit avec Franchomme), comme les transcriptions du Deuxième des Nocturnes de l’Opus 9 par Popper et du Nocturne en ut dièse mineur par Piatigorsky, bénéficient grandement de ces artistes peu suspectes de complaisance, même si l’on ne sent pas nécessairement le « vrai plaisir » que Gastinel dit éprouver à les jouer (Naïve V 5467).
Pâtissant d’une prise de son moins flatteuse, qui tend en outre à privilégier le piano, et techniquement moins souveraine, Juliette Salmona (née en 1985), violoncelliste du Quatuor Zaïde, est accompagnée de Katherine Nikitine (née en 1986). Dommage, car leur intéressant programme rend également hommage à Franchomme, avec son Chant d’Adieux (plus brillant que ne le laisse supposer son titre, qui est aussi celui de l’album) et ses trois sobres Nocturnes opus 15 (deuxième de ses trois livres de Nocturnes), mais aussi ses transcriptions de la Deuxième des Valses de l’Opus 34 et de sept des Préludes (Hortus 205). LPL


Brahms : Premier Concerto pour piano


          
Le Second Concerto, postérieur d’un quart de siècle, est sans doute plus abouti et apaisé à la fois, mais comment ne pas conserver une tendresse toute particulière pour le Premier (1858), non moins gigantesque et exigeant, si représentatif du romantisme tourmenté et généreux du jeune Brahms ? Deux pianistes français se confrontent à ce monument intimidant.
Pour son sixième album, Emmanuel Despax (né en 1984) réalise un de ses « rêves d’enfance ». Il livre une prestation d’excellente facture, très bien en place, remarquablement détaillée et travaillée, prenant son temps mais restant trop sur son quant‑à‑soi, davantage dans la maîtrise des sentiments que dans le déferlement des passions et des luttes, tout à fait en phase avec l’Orchestre symphonique de la BBC dirigé par le chef américain Andrew Litton – le pianiste réside à Londres depuis plusieurs années. Il y a plus d’engagement dans les Valses opus 39 qu’il donne à quatre mains avec son épouse, Miho Kawashima, la vigueur des danses rapides s’accompagnant toutefois d’un instrument aux aigus agressifs (Signum Classics SIGCD666).
On attendait beaucoup de Geoffroy Couteau (né en 1979), qui a déjà illustré le piano et la musique de chambre de Brahms. Trop, sans doute, car il s’en tient ici à une lecture probe mais trop en deçà des enjeux pour pouvoir convaincre, à l’instar de son cadet de deux mois, le chef belge David Reiland, à la tête de l’Orchestre national de Metz dont il est le directeur musical depuis 2018. Le complément de programme est également en , mais il n’y pas davantage d’élan dans la transcription pour main gauche seule de la Chaconne de la Deuxième Partita pour violon de Bach (La dolce volta LDV94). SC


Ysaÿe : les six Sonates pour violon seul


          
C’est après avoir entendu Szigeti interpréter une sonate de Bach qu’Eugène Ysaÿe conçut en 1923‑1924 un recueil (opus 27) de six Sonates pour violon seul dédiées au Hongrois et à cinq autres immenses musiciens de ce temps, Thibaud, Enesco, Kreisler, Crickboom et Quiroga, reflétant chacune ces différentes personnalités musicales. Le cycle semble continuer d’exercer un attrait puissant sur les violonistes, car après une salve de six enregistrements l’an dernier, en voici déjà deux nouveaux : bonne pioche !
David Grimal (né en 1973) y voir une « galerie de portraits des six dédicataires » en même temps qu’un « portrait "en creux" » du compositeur. Son approche cultive la rhétorique, l’épure, l’abstraction et l’éloquence, avec une grande finesse dans la sonorité, le tout conduisant à souligner la filiation avec Bach, ce qui lui donne un avantage certain dans les trois dernières sonates (La dolce volta LDV77).
Qualifiant ces Sonates de « versatiles », « épiques » et « monumentales », Jack Liebeck (né en 1980), membre de feu le Trio Dali transformé pour partie en Trio Salieca, s’inscrit dans une esthétique très différente : le son est plus dense, il y a davantage de couleur, de caractère et d’expression, avec une beaucoup de fermeté et d’assurance dans la conduite du propos. Et comme le violoniste anglo‑allemand a décidément de l’appétit, il ajoute le beau Poème élégiaque, non moins réussi, avec le pianiste Daniel Grimwood (Orchid Classics ORC100179). SC



ConcertoNet a également reçu




Marie‑Laure Garnier
Dans un album intitulé « Songs of Hope », la soprano guyanaise associe à trois extraits des neuf Poèmes pour Mi de Messiaen et à quatre mélodies de Poulenc onze negro spirituals : programme original et risqué, mais hormis des aigus trop forcés, le défi est relevé, avec le soutien efficace et la complicité de la pianiste Célia Oneto Bensaid (NoMadMusic NMM105). SC


Estelle Béréau et Guilhem Terrail
Sous le titre « 1900 » et avec le pianiste Paul Montag, le programme rassemble des mélodies et duos français plus (Chausson, Debussy, Duparc) ou moins (Roussel, Viardot, Widor) connus. Malheureusement, les faiblesses vocales et stylistiques de la soprano et, plus encore, du contre‑ténor rendent l’écoute particulièrement pénible (Arties Records AREC021). LPL


Melody Louledjian : Rossini
Dans cet album « Ariettes à l’ancienne. French Songs », la soprano et son accompagnateur, le dynamique pianiste Giulio Zappa, s’intéressent à l’inspiration française du jeune « retraité » des scènes d’opéra. Le compositeur brille moins par le choix des auteurs et des textes que par la qualité (et la difficulté) de ces pièces qui visent avant tout à mettre la voix en valeur ou à divertir, et que les interprètes abordent avec goût, panache et conviction (Klarthe KLA140). SC


Carl Ghazarossian
A la recherche du « statut [de chanteuse], qui a été la cause même de [son] envie de chanter », le ténor français, comme l’indique le titre de son album (« J’aurais voulu être une chanteuse »), s’approprie des lieder et mélodies généralement interprétés par des cantatrices : Schumann (L’Amour et la vie d’une femme), Bizet (Adieux de l’hôtesse arabe), Chausson (Chanson perpétuelle), Debussy (Trois Chansons de Bilitis), Ravel (Cinq Mélodies populaires grecques) et Poulenc (Les Chemins de l’amour, La Dame de Monte‑Carlo). Plutôt que de travestissement, c’est d’investissement qu’il s’agit, celui d’une voix légère mais précise et, surtout, d’un artiste fin et expressif, accompagné par l’excellent Emmanuel Olivier, pour que la musique s’impose sans considération du genre (Hortus 200). SC





La rédaction de ConcertoNet

 

 

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