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Bernard Haitink (1929-2021)
11/07/2021


Le legs discographique de Bernard Haitink



B. Haitink (© Sébastien Gauthier)


La disparition d’un chef humaniste


La pluie d’hommages sur les sites de divers orchestres, institutions musicales et même dans la presse (aussi bien européenne qu’outre-Atlantique) est un signe qui ne trompe pas: avec le décès, jeudi 21 octobre, à Londres, entouré par les siens, de Bernard Haitink, c’est bien un monstre sacré de la direction d’orchestre qui vient de disparaître, quand bien même il avait cessé de diriger depuis maintenant près de deux ans. Et, au-delà de la révérence unanime à ses talents de chef et à son héritage discographique, ce qui frappe surtout, ce sont les mots employés ici ou là: on parle toujours à son endroit de «gentillesse», de «modestie», d’«estime unanime», d’«effacement derrière le compositeur»... Citons d’ailleurs immédiatement cet extrait du livre de François Dupin, L’Orchestre nu où Haitink était ainsi décrit: «Alliant la plus extrême politesse à une technique sûre, la connaissance absolue de la partition à une sensibilité musicale épidermique, il comble d’aise ses musiciens, les détend, mais conserve dans la main leur disponibilité. Avec lui, quarante ou cent vingt exécutants retrouvent l’atmosphère de travail qui baigne les répétitions de quinze personnes. Jamais il n’élève la voix. Comme Giulini, Haitink repose mais à la fois, il mobilise.» Au-delà donc du musicien, les hommages et louanges viennent sans aucun doute saluer avant tout une personnalité profondément attachante, peut-être pour rappeler que Haitink était un profond humaniste avant même d’être un chef.


Est-ce dû au fait qu’il n’a jamais voulu faire carrière et que son ascension s’est faite au gré des hasards et des opportunités, aidés bien entendu par un immense talent qu’il était bien le dernier à se reconnaître? Né le 4 mars 1929 à Amsterdam, Bernard Johan Herman Haitink fréquente dès son enfance la mythique salle du Concertgebouw où il voit ainsi officier Willem Mengelberg ou nombre de chefs invités, au nombre desquels Bruno Walter, qui l’a profondément impressionné. Il commence donc à étudier le violon à l’âge de 8 ans avec un professeur membre du Concertgebouw d’Amsterdam mais sans montrer de véritable talent; il suit également les cours de direction d’orchestre de l’Union de la Radio néerlandaise, notamment sous la houlette du chef autrichien Felix Hupka (1896-1966) lors d’un stage d’été, ce dernier étant également pour sa part professeur au Conservatoire Sweelinck d’Amsterdam. Bien qu’il avoue au jeune Haitink qu’il n’avait guère de chance de percer dans ce métier, celui-ci s’accroche. Comme violoniste d’abord, intégrant à 25 ans l’Orchestre de la Radio néerlandaise, phalange dans laquelle il joue pendant un an seulement mais qui lui laissera une forte impression et l’aidera plus tard, sachant ainsi de l’intérieur ce que les musiciens attendent d’un chef comme l’a justement rappelé Christian Merlin (Les Grands Chefs d’orchestre du XXe siècle, Buchet - Chastel, p. 294). Comme chef ensuite, à tel point qu’il remporte en 1954 un concours de jeunes chefs organisé par la Radio néerlandaise, lui ouvrant ainsi la voie à un premier concert public qui se tint le 19 juillet 1954. Le président du jury qui l’avait distingué, Ferdinand Leitner, le prend alors sous son aile et fait de Haitink le deuxième chef de l’Orchestre de la Radio, celui-ci devenant chef principal en 1957. Précisons à cet égard que ce fut avec cet orchestre que Haitink fit, le 15 juin 2019, ses adieux à Amsterdam avec notamment la Septième Symphonie de Bruckner.


Le hasard veut que l’on fasse ensuite appel à lui, le 7 novembre 1956, pour remplacer au pied levé Carlo Maria Giulini, qui devait donner le Requiem de Cherubini à la tête de l’orchestre phare du pays, celui du Concertgebouw royal d’Amsterdam. Le succès est tel que Bernard Haitink est nommé premier chef de l’orchestre à la suite de la disparition prématurée de van Beinum en 1959; en 1961, le vénérable Eugen Jochum est nommé directeur musical de l’orchestre avec Haitink en second mais, le chef allemand se retirant deux ans plus tard, Haitink reste de fait seul maître à bord à partir de 1963, doublant au passage certains prétendants dont les noms circulaient pourtant avec insistance comme, par exemple, le méconnu Jan Willem van Otterloo (1907-1978). Il restera directeur musical de l’orchestre jusqu’en 1988, formant ainsi un véritable couple de légende!


Très vite, il enregistre des disques avec l’orchestre dans des domaines assez divers: le premier, dès 1960, est consacré à Dvorák (Septième Symphonie et quatre Danses slaves) puis, dans la foulée, Mahler déjà (la Titan) en septembre 1962 et, un an plus tard (les sessions d’enregistrement ayant eu lieu du 27 septembre au 3 octobre 1963), Bruckner avec la Troisième Symphonie (dans la version de 1878 d’Oeser, Haitink ayant ensuite opté pour la version Nowak de 1877 notamment pour son célèbre enregistrement viennois réalisé en décembre 1988 et paru chez Philips). Son partenariat avec l’Orchestre du Concertgebouw fut proprement miraculeux, donnant lieu à des concerts et des disques aujourd’hui encore au sommet de la discographie de tel ou tel compositeur. Bénéficiant du concours de musiciens il est vrai exceptionnels (mentionnons en premier lieu le violon solo Herman Krebbers ou le légendaire violoncelle solo Tibor de Machula), Haitink enregistre ainsi tout le grand répertoire, des symphonistes germaniques (Mahler, Bruckner, Richard Strauss dont il grave en 1970 une belle version d’Une vie de héros avec justement Krebbers en soliste) aux cycles consacrés à la musique française (Ravel, Debussy...) ou aux symphonies de Tchaïkovski. Parti faute de renouvellement de son contrat en 1988, il ne revient à Amsterdam qu’en 1993, triomphalement bien entendu. Ajoutons à cette histoire assez idyllique la brouille qui intervint en 2014 à l’occasion des festivités marquant le cent vingt-cinquième anniversaire de la prestigieuse phalange, Haitink ayant reproché à la direction de l’orchestre de l’avoir à cette occasion «totalement ignoré» voire «humilié», le chef démissionnant à cette occasion du poste de directeur musical honoraire auquel il avait été élevé en 1999. Le rabibochage intervint heureusement dès 2015, leur dernier concert ensemble ayant eu lieu le 25 janvier 2019 associant à la Quarantième de Mozart la Quatrième de Brahms.


Les années 1960 marquent également pour Bernard Haitink son développement international puisque, à son mandat amstellodamois, il ajoute celui de chef principal du Philharmonique de Londres, poste qu’il occupe de 1967 à 1979 après des débuts remarqués avec l’orchestre lors d’un concert donné au mois de novembre 1962 (Beethoven, Rachmaninov et Bruckner étaient alors au programme). Période faste pour l’orchestre anglais que Haitink sera le premier à emmener dans une grande tournée aux Etats-Unis en 1970 et avec lequel il grava plusieurs disques là aussi unanimement salués, qu’il s’agisse de son cycle des ballets de Stravinsky (en trois disques), des poèmes symphoniques de Liszt ou de certaines symphonies de Chostakovitch. Le 12 mars 1964, Haitink fait ensuite ses débuts avec le Philharmonique de Berlin, orchestre avec lequel il donna plus de deux cents concerts aussi bien à la Philharmonie qu’en tournée jusqu’à leur ultime concert du ici où il dirigea Mozart et Bruckner. Explorant avec le célèbre orchestre les grands classiques du répertoire (Beethoven avec Isabelle Faust à Baden-Baden en 2015, Mozart et Bruckner la même année à la Philharmonie, Mahler bien évidemment en décembre 2017), Bernard Haitink a toujours su transfigurer cet orchestre pourtant habitué aux honneurs et aux plus grandes baguettes, orchestre qui lui décerna d’ailleurs en 1994 la médaille Hans von Bülow et en fit un de ses membres honoraires au mois d’octobre 2004. Evidemment, lorsqu’on pense à Berlin, Vienne vient également à l’esprit: ce n’est qu’en 1971 qu’il dirige les Philharmoniker pour la première fois mais, là aussi, pour une relation des plus fructueuses comptant plus de cent concerts ou opéras donnés ensemble (c’est d’ailleurs Vienne qu’il dirige dans Les Noces de Figaro en juillet 1991, marquant ainsi sa première et relativement tardive apparition au Festival de Salzbourg), qui s’est achevée le 6 septembre 2019, au Festival de Lucerne, par ce qui devait être le tout dernier concert du grand chef (le Quatrième Concerto de Beethoven avec Emanuel Ax et la Septième Symphonie de Bruckner).


Les années 1970 le voient également multiplier ses activités, notamment dans le domaine lyrique car, si l’on peut avoir tendance à l’oublier compte tenu de ses réussites éclatantes dans le répertoire symphonique, Bernard Haitink a également été un très grand chef d’opéra. Dans les années 1970, avec le Philharmonique de Londres, il dirige ainsi de façon presque boulimique L’Enlèvement au Sérail (1972), La Flûte enchantée (1973), Pelléas et Mélisande (1976), La fedeltà premiata de Haydn (1980), Le Chevalier à la rose (1981), Simon Boccanegra (1987)... En 1977, il débute au Royal Opera House de Londres et devient directeur musical du Festival de Glyndebourne à partir de 1978: Lohengrin, Peter Grimes, Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, La Dame de pique restent autant de faits marquants dans sa carrière. Directeur musical à Covent Garden de 1988 à 2002, il accepte également d’aider certains grands orchestres qui cherchent un nouveau directeur musical en devenant, pour quelques années, leur chef principal ou leur premier chef invité. C’est ainsi qu’il est premier chef invité du Symphonique de Boston (1995-2004), orchestre avec lequel il débuta en février 1971 et avec lequel il donna son dernier concert en mai 2018 à Boston dans un programme Brahms où figuraient le Second Concerto avec Emanuel Ax là encore et la Deuxième Symphonie, qu’il travaille avec l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde (2002-2004) ou le symphonique de Chicago (2006-2010).


En France, s’il lui arriva de diriger l’Orchestre de Paris (voir ici), c’est surtout avec l’Orchestre national de France qu’il tissa des liens privilégiés. Le concert de Haitink et du National aura sans aucun doute été l’un des moments toujours les plus attendus par le public parisien, qui put l’entendre ainsi dans de mémorables prestations où Debussy – un Pelléas et Mélisande presque de légende avec, entre autres, Naouri, von Otter et Holzmair –, Richard Strauss et Mahler, Mahler et Chostakovitch, Chostakovitch ou Mozart et Bruckner furent portés au sommet.


N’oublions pas non plus les relations, notamment au cours des dernières années, qu’il tissa avec l’Orchestre de chambre d’Europe, dont la jeunesse formait une alliance quasi parfaite avec l’expérience du vieux maître: souvenons-nous de ses Beethoven joués salle Pleyel en janvier 2011 (voir ici et ici) ou en mars 2012 (voir ici, ici et ici), ou de ses concerts Brahms donnés en la même salle au mois de novembre 2014 (voir ici et ici). Soulignons enfin les soirées souvent miraculeuses avec l’Orchestre symphonique de Londres (c’est d’ailleurs avec lui que Bernard Haitink donna son dernier concert à Paris, le 18 mars 2019, consacré à Dvorák et Mahler) et de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, avec lequel il a signé un Ring de premier ordre.


Les soucis physiques des dernières années, notamment une violente chute lors du deuxième salut à la fin d’une Neuvième de Mahler donnée à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam le 8 juin 2018, ont conduit Bernard Haitink à ralentir ses activités, à souhaiter prendre un congé sabbatique et, finalement, à décider au mois de juin 2019 de mettre fin à sa carrière. Aimant à répéter avec humour qu’«un chef a une date de péremption», Haitink a également avoué au quotidien néerlandais Volkskrant: «Je ne veux pas qu’on dise de moi: "il est gentil mais il devrait s’arrêter là"». Sa disparition met ainsi fin à une carrière de plus de soixante-cinq ans que tout mélomane ne peut qu’admirer. En effet, ce qui étonne parfois avec Haitink, c’est que ses concerts (ou ses disques) étaient presque toujours enthousiasmants (même si, y compris avec lui, quelques-uns ont pu être finalement en deçà de nos attentes), distillant même (notamment dans ses dernières années) une véritable ferveur auprès des musiciens et du public, alors que le chef a toujours adopté une gestique sans esbroufe, sans effet inutile même si, par exemple en visionnant certains concerts Mahler donnés à Amsterdam lors des légendaires Kerstmatinees (matinées de Noël au cours desquelles il donna l’intégrale des symphonies de Mahler de 1977 à 1987), il pouvait être extrêmement emporté (la fin des Cinquième, Septième ou Huitième Symphonies), l’émotion pouvant même le submerger comme lors de la fin de la Neuvième où il laisse tomber sa baguette, et ce dans le silence le plus absolu de la grande salle du Concertgebouw.


Dans Le Monde de la musique (n° 57, juin 1983), Bernard Haitink avouait assez sobrement que conduire voulait dire avant tout «être clair». Et c’est ce que à quoi on a pu assister lors de concerts. Dans la Neuvième de Bruckner par exemple, la tension innervant la coda concluant le premier mouvement était due à sa seule présence, sans pour autant que sa baguette ne prenne plus d’ampleur qu’auparavant, seule sa main gauche (souvent le poing fermé) prenant la peine de se lever mais suffisant, par ce seul geste impérieux, à tout emporter sur son passage. La grande sobriété de sa direction s’alliait également à sa totale maîtrise, presque palpable, de la partition; il était d’ailleurs étonnant de le voir tourner presque mécaniquement les pages de la partition posée devant lui alors qu’il était évident qu’il la connaissait par cœur, le contraste entre cette souveraine maîtrise et sa fragilité physique des dernières années nous ayant souvent, à titre personnel, impressionné. Haitink restera également comme ayant été un chef extrêmement «fidèle» aux options voulues par le compositeur. Cette sobriété là encore, cette humilité même (dans un entretien donné au magasine Gramophone, le pianiste Sir András Schiff avouait en 2015 que «Bernard est unique car, parmi tous les chefs d’orchestre que je connaisse, c’est celui qui le moins d’ego»!), transparaissaient lors des concerts et se retrouvent également à l’évidence dans ses disques, l’équilibre d’ensemble, la clarté dans l’agencement entre pupitres, la rigueur dans la conduite des phrases jusqu’à leur terme (la Symphonie alpestre de Strauss!) sont des qualités que l’on ne cessait et que l’on ne cesse, à travers ses divers témoignages, d’admirer chez lui.



Le legs discographique de Bernard Haitink


Disques


Plusieurs articles parus à l’occasion de son décès ont avancaé le nombre de plus de 450 disques enregistrés par Bernard Haitink. Peut-être... Toujours est-il qu’au-delà de ce chiffre sans doute sujet à discussions puisque des enregistrements pirates ou inédits ne devraient pas tarder à surgir, on a évidemment à faire à un répertoire immense au sein duquel il nous faut bien opérer une sélection, aussi subjective soit-elle. Ce qui est évident, c’est que certains répertoires ont été ignorés. Tout d’abord, la musique baroque dans son ensemble et même, dans une certaine mesure et aussi étrange que cela puisse paraître, certains compositeurs emblématiques de la période classique comme Haydn, lequel a été à peine effleuré au travers de quelques symphonies et des deux grands oratorios auxquels il est d’ailleurs venu sur le tard (voir ici). Dans le domaine lyrique également, il ne dirigea jamais, sauf erreur, Puccini et n’aborda Verdi qu’avec parcimonie. Ensuite, ce n’est pas lui faire injure que de dire que Haitink n’a pas été féru de musique contemporaine même s’il a pu diriger ou enregistrer certains de ses compatriotes: la Neuvième Symphonie de Henk Badings en 1960, la Musique pour les rues et les places de Robert Heppener en 1970 et la Deuxième Symphonie de Peter Schat, en concert le 31 janvier 1985 avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.


En revanche, comme on va le voir, il n’a cessé d’enregistrer et d’interpréter Beethoven, Brahms, Bruckner et Mahler au gré des studios et des concerts, y ayant laissé des versions que l’on pourrait souvent qualifier de «définitives»: à n’en pas douter, son legs est immense et restera comme un des plus fructueux parmi les grands chefs des XXe et XXIe siècles. Avant de détailler quelques compositeurs, signalons également parmi les grandes réussites de Haitink au disque certains opéras (Peter Grimes de Britten avec Anthony Rolfe Johnson, Dame Felicity Lott et Thomas Allen ou Jenůfa de Janácek avec Karita Mattila et Anja Silja) et pièces instrumentales (la Symphonie fantastique de Berlioz avec Vienne, leur premier enregistrement commun, réalisé du 17 au 20 avril 1978 à la Sofiensaal et, plus inattendu, l’intégrale des symphonies de Vaughan Williams enregistrée sur treize années!).


Beethoven





Passons assez rapidement sur son honorable version de Fidelio (avec la Staatskapelle de Dresde et Jessye Norman, Philips) et attardons-nous plutôt sur les Symphonies. Même s’il les a plusieurs fois enregistrées, notamment avec Amsterdam, notre préférence va sans doute au très complet coffret édité chez LSO Live (voir ici) où l’on peut entendre d’excellentes versions, allégées (le disque rassemblant en avril 2006 les Quatrième et Huitième Symphonies) et même revisitées, dans lesquelles l’attention portée aux détails ne nuit jamais à la hauteur de vue du chef. Outre les symphonies, mentionnons une assez formidable version du Triple Concerto avec Lars Vogt au piano, Gordan Nikolitch au violon et Tim Hugh au violoncelle (même si l’on peut garder, à titre personnel, un attachement à sa version de 1977, où Haitink accompagne, à la tête du London Philharmonic Orchestra, le Beaux-Arts Trio). Question piano justement, quelle intégrale des Concertos choisir? Celle des années 1960 avec Claudio Arrau et Amsterdam? Celle de la fin des années 1970 avec Alfred Brendel et le London Philharmonic? Celle des années 1980 avec Murray Perahia, de nouveau avec Amsterdam? Ou celle des années 1990 avec András Schiff et la Staatskapelle de Dresde? Chacune a ses admirateurs et, pour le coup, laissons donc le choix aux uns et aux autres...


Brahms





Voilà bien un compositeur qui aura constitué un véritable fil conducteur dans la carrière de Bernard Haitink. Qu’il s’agisse des concertos (le Double avec Henryk Szeryng et Janós Starker, le Concerto pour violon avec Arthur Grumiaux ou, plus récemment, Frank Peter Zimmermann, et les Concertos pour piano avec Vladimir Ashkenazy et Emanuel Ax notamment), des œuvres vocales (le Requiem allemand avec Gundula Janowitz et Tom Krause ou ce formidable disque, le premier sauf erreur avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, comptant notamment la Rhapsodie pour alto avec Alfreda Hodgson, Nänie et le Chant des Parques, publié en novembre 1982 chez Orfeo) ou orchestrales, Brahms a toujours figuré au programme de ses concerts et de ses enregistrements. Même si ses gravures avec l’Orchestre symphonique de Boston (formidable Quatrième Symphonie!) ou dans la collection LSO Live sont excellentes, le coffret amstellodamois publié par Philips écrase tout le reste à notre sens. De l’Ouverture tragique (mai 1970) à quelques Danses hongroises (octobre 1980), tout est du plus haut niveau: une Première Symphonie implacable, une Quatrième d’un équilibre et d’un naturel rarement atteints, les deux Sérénades dans des versions que l’on peut qualifier d’insurpassées, une Ouverture tragique d’une incandescence que seul peut-être Giulini aura approchée... Bref, un coffret absolument prioritaire dans la discographie du maestro.


Bruckner





Sans aucun doute un des compositeurs les plus chers à Bernard Haitink, dont il enregistre la Troisième Symphonie (version 1878) dès 1962. Son intégrale avec Amsterdam (Philips) est excellente, dominée sans doute par une des plus belles Neuvième qui soit au catalogue, enregistrée à la fin du mois de décembre 1965 dans la grande salle du Concertgebouw. Pour autant, si un choix devait être fait, on recommanderait plutôt sa gravure réalisée en concert à Londres, en 2013, où la noirceur du premier mouvement trouve un écho idéal dans l’apaisement concluant le troisième, illustrant la «force tranquille» dont Haitink (à l’instar des grands maîtres sur la fin de leur carrière) était capable. N’oublions pas non plus une fantastique version de la Huitième réalisée en public également mais cette fois-ci à Dresde en 2002 avec un orchestre chauffé à blanc! Pour les amateurs, le récent coffret édité par l’Orchestre philharmonique de Berlin nous donne à entendre de très belles versions des Quatrième et Cinquième, cette dernière bénéficiant également d’une édition de choix chez BR-Klassik.


Mahler





Mahler est le compositeur auquel on associe le plus fréquemment Bernard Haitink. Et pour cause, vu le nombre de ses concerts et enregistrements qu’il lui a consacrés. Le choix est donc à la fois difficile et subjectif au sein des divers témoignages qu’il nous a laissés. En premier lieu, comment ne pas sauter sur le coffret Philips consacré aux fameuses Kerstmatinees, c’est-à-dire à ces concerts donnés à Amsterdam le matin de Noël pendant plus de dix ans, et rassemblant autant de versions superlatives de l’œuvre de Mahler? Ensuite, avouons que le principal concurrent de Bernard Haitink s’appelle bien souvent... Haitink Bernard! En effet, ne passons pas sous silence le cycle entamé avec l’Orchestre philharmonique de Berlin en avril 1987 (la Titan), malheureusement inachevé, où dominent une Résurrection absolument parfaite et une Troisième dont la progression, la vision d’ensemble et la maîtrise souveraine émeuvent même après des dizaines d’écoutes (Philips). Enfin, mentionnons la Sixième Symphonie captée en concert, les 24 et 27 octobre 2001, au Théâtre des Champs-Elysées à la tête de l’Orchestre national de France (Naïve); le souvenir du concert nous reste en mémoire, ayant eu le sentiment d’assister à ce genre de concerts superlatifs que le disque a heureusement préservés...


Debussy





Même si son cycle des grandes pièces pour orchestre avec Amsterdam est une incontestable réussite (Jeux et Nocturnes furent unanimement salués par la critique en 1980 et reçurent d’ailleurs deux Gramophone Awards), on peut trouver aussi bien et même mieux ailleurs. Ainsi, chapeau bas devant son Pelléas et Mélisande (Naïve) enregistré en concert, les 14 et 16 mars 2000, au Théâtre des Champs-Elysées (repris avec une équipe en partie différente en 2007); les sortilèges de la musique de Debussy y sont tout bonnement magnifiés, le plateau étant également à son meilleur. Sans doute un des plus grands disques de Haitink, en tout cas dans le domaine lyrique.


Chostakovitch





Bernard Haitink n’a cessé de diriger et d’enregistrer les symphonies de Chostakovitch, réalisant ainsi la première intégrale (avec Amsterdam et Londres, Decca) qui ne fût pas dirigée par un chef russe. Le cycle, débutant par la fameuse Dixième (enregistrée à Londres en janvier 1977), impressionne par la qualité des orchestres, les arêtes tranchantes, les climats extatiques, et la qualité des solistes (Julia Varady et Dietrich Fischer-Dieskau dans la Quatorzième par exemple). Un coffret de choix pour qui souhaite découvrir ce compositeur!


Mozart





Sans faire injure à Bernard Haitink, avouons qu’il ne restera sans doute pas comme un grand mozartien. Pour autant, dans le domaine de l’opéra, saluons ses excellentes versions de La Flûte enchantée (Siegfried Jerusalem campe Tamino, la regrettée Edita Gruberova la Reine de la nuit et Lucia Popp Pamina) avec les forces orchestrales et vocales de la Radio bavaroise (EMI) et de Don Giovanni (avec notamment Thomas Allen, Carol Vaness et Maria Ewing), enregistré avec le Chœur de Glyndebourne et le London Philharmonic Orchestra (EMI). Signalons d’ailleurs que ce dernier enregistrement a reçu, en 1983, un Gramophone Opera Award.


Wagner





S’il n’est jamais apparu au Festival de Bayreuth, Bernard Haitink n’en a pas moins dirigé la musique de Wagner. Il a ainsi gravé pour EMI un Ring de très haute tenue. Commencé en février et mars 1988 avec une Walkyrie enregistrée à la Herkulessaal de Munich (Eva Marton chante Brünnhilde, Cheryl Studer Sieglinde, James Morris incarne, Matti Salminen Hunding et Waltraud Meier Fricka), ce Ring se poursuit rapidement au mois de novembre 1988 avec L’Or du Rhin (la distribution a quelque peu changé avec Marjana Lipovsek dans le rôle de Fricka, James Morris en Wotan, Heinz Zednik en Loge et Theo Adam en Alberich). En 1990, c’est au tour de Siegfried (Siegfried Jerusalem dans le rôle-titre) puis, un an plus tard, Haitink boucle le grand œuvre avec Le Crépuscule des Dieux (toujours présents Eva Marton, Siegfried Jerusalem, Theo Adam et Marjana Lipovsek, cette fois-ci dans le rôle de Waltraute). Ce Ring, souvent qualifié de «secondaire» par rapport aux versions plus réputées, n’en demeure pas moins une superbe version, très chambriste (ce sont les forces de la Radio bavaroise qui sont ici requises), avec des voix là aussi allégées, un mouvement que l’on ne rencontre pas si souvent que cela dans la musique de Wagner. Une incontestable réussite.


R. Strauss





Sans passer pour un straussien de la première heure, Bernard Haitink n’en a pas moins interprété nombre de ses œuvres, même s l’opéra y représente une portion assez congrue (citons Daphné chez EMI néanmoins). En revanche, il aura dirigé jusqu’au bout les Lieder de Strauss (Camilla Tilling en chanta plusieurs lors du dernier concert donné à Amsterdam par Haitink en juin 2019) et, bien entendu, ses grands poèmes symphoniques. Ici, tout vaut le coup, pourrait-on dire! Qu’il s’agisse d’Une vie de héros avec Herman Krebbers et Amsterdam en 1969 (Philips), de Don Quichotte avec Tibor de Machula en 1979 (id.), de Till Eulenspiegel, Don Juan et Mort et Transfiguration (enregistrés en décembre 1981 avec Amsterdam, Philips), Haitink a réussi à plusieurs reprises de très beaux enregistrements de l’œuvre de Strauss. Mais la pièce dans laquelle il a été le plus convaincant reste peut-être la monumentale Symphonie alpestre, qu’il grave notamment avec Amsterdam en 1985 et dont il laisse en 2008, avec le Symphonique de Londres cette fois-ci, une des plus belles versions présentes au catalogue.


DVD





Discret, Bernard Haitink a néanmoins accepté en plus d’une occasion que des caméras le filment en concert ou en répétition; de fait, on dispose d’un nombre de DVD assez conséquent le concernant. On ira en priorité vers les films des Kerstmatinees déjà citées qui, même si la qualité de l’image n’est pas toujours formidable, y compris bizarrement lors de récents reports (voir ici), permettent de voir Haitink diriger avec toute la fougue dont il était capable en concert, tordant ainsi le coup à l’image presque introvertie qu’il a pu laisser. Côté Mahler, on dispose également de plusieurs DVD le montrant diriger le Philharmonique de Berlin dans les années 1990 (Sony), à l’époque où il enregistre les mêmes œuvres pour Philips. A n’en pas douter, la Deuxième Symphonie s’impose comme une pleine et entière réussite.


S’il existe également quelques DVD d’opéras (Arabella ou Don Giovanni), c’est surtout vers deux DVD de musique symphonique que l’on se tournera qui, hasard ou pas, comportent chacun une symphonie de Bruckner: le DVD associant à Amsterdam le Concerto de Schumann (avec Murray Perahia) et la Neuvième de Bruckner vaut surtout pour cette dernière œuvre, Haitink s’y montrant souverain (NHK Classical). Et que dire du dernier concert donné au Festival de Salzbourg, en août 2019, où Haitink dirige le Philharmonique de Vienne, notamment dans la Septième de Bruckner: quelle émotion (Unitel)! Concluons ce propos pour signaler que plusieurs concerts ou documentaires sont également visibles sur YouTube et raviront les admirateurs du grand chef néerlandais.


Sébastien Gauthier

 

 

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