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Entretien avec Pene Pati
10/29/2020


P. Pati (© Philippe Manoli)


Pene Pati: «J’adore Bordeaux», et Bordeaux le lui rend bien


Philippe Manoli a rencontré le très chaleureux ténor néo-zélandais Pene Pati à Bordeaux quelques heures après son triomphe lors de la très attendue première de Roméo et Juliette le 7 mars, chantée aux côtés de Nadine Sierra.


Quelle soirée vous avez vécue hier, vous et votre compagne Amina Edris! Deux triomphes simultanés, à Paris en Manon pour elle, et à Bordeaux en Roméo pour vous. Quel incroyable alignement de planètes! Un miracle...
Oui... J’aurais voulu la voir après le spectacle, mais bien sûr ce n’est pas possible [en français dans le texte]. Bien sûr, nous nous sommes envoyés les textos «Toï toï toï». C’est fou! Je me souviendrai de cette date!


Nous allons faire cet entretien en anglais, mais j’avais presque cru pouvoir le faire en français, tant votre français chanté est parfait.
Amina parle français. Pas moi, pas encore. Comme elle le parle très bien, je lui ai demandé de m’aider à corriger tout ce qu’il y avait à améliorer. La grosse difficulté est que le français parlé est différent du français chanté. On alternait le parlé et le chanté pour voir les différences. L’ouverture des voyelles dans l’aigu est très très difficile [en français dans le texte] parce que la différence entre le «é» et le «è» m’a causé bien du souci, mais c’est cela qui peut faire la différence par rapport aux autres chanteurs, car le «é» est plus sécurisant techniquement et ils l’emploient à la place de l’autre. [Il chante «ééé»]. J’ai commencé par prononcer ces mots, autant que j’ai pu: «O tré-sor di-gne des cieux», j’ai dû me représenter comment dire «eu» comme les Français, dans différentes positions, dans l’aigu et le grave. Mon but, mon objectif étaient que le public me prenne pour un Français. Bien sûr, j’étais très nerveux parce que c’était la première fois que je chantais en français pour le public français [en français dans le texte], je voulais tellement le faire bien comme il faut!


Je peux vous assurer que c’était parfait. Mais chanter le répertoire français, c’est une question de style plus encore que de diction. Certains chanteurs parlent assez bien le français, mais leur idée du style français est moins claire, et il y a parfois beaucoup à dire sur la réalisation. Comment avez-vous travaillé le style de l’opéra français? Avez-vous écouté les enregistrements des grands anciens comme Georges Thill pour appréhender ce style spécifique?
Non, pas vraiment. J’ai écouté Gedda, parce qu’il est parfaitement clair de diction, mais je ne connais pas tant d’autres chanteurs spécifiquement français, alors j’ai travaillé essentiellement avec mon application de français et avec Amina. Le style français est très difficile car c’est un peu fort [en français dans le texte] mais en même temps très lyrique et doux, assez aigu. Mais tant de ténors même français ont un style explosif. [Il chante] «Et j’étais une chose à toi» [le «toi» très fort] alors que c’est «j’étais une chose à toi» [il chante le «toi» pianissimo). C’est comme ça qu’il faut le faire, et c’est pourquoi j’ai voulu relever ce défi.


Votre répertoire est en grande partie italien. Les rôles planifiés dans l’avenir pour vous sont italiens comme le Duc de Mantoue. Avez-vous aussi l’intention de creuser votre sillon dans le répertoire français qui vous va comme un gant?
Bien sûr! Actuellement, je me fais plus plaisir dans le répertoire français que dans l’italien. Je chante le répertoire italien depuis si longtemps... Maintenant je comprends vraiment le défi que représente le fait de chanter le répertoire français, et si je peux le chanter ainsi longtemps en approfondissant le style français, cela me distinguera de bien d’autres ténors qui ne le maîtrisent pas. La concurrence n’est pas la même dans le répertoire italien. Je ne pense pas encore maîtriser complètement le style italien, mais je crois qu’il est tout de même à ma portée. Je veux me focaliser davantage sur le répertoire français, où je peux obtenir une position de choix.


En effet, je ne vois que Benjamin Bernheim (ou Jean-François Borras) qui pourrait chanter Roméo comme vous. Bernheim a prévu de le faire, mais ne l’a pas encore fait. Avez-vous déjà signé pour des rôles du répertoire français dans des maisons d’opéra françaises pour le futur?
Pas vraiment. Cela vient doucement...


Mais après un succès comme celui d’hier...
Oui, après une telle représentation... cela va peut-être venir. Peut-être. Vous savez, j’aimerais représenter une vraie option de chant français. Les maisons françaises veulent en général s’en tenir à des Français parce que le style est bien difficile à maîtriser, alors j’espère que maintenant elles se diront «Ah, celui-là on le comprend et il a le style adéquat».


Après vos débuts européens en Percy d’Anna Bolena ici même, vous venez donc de franchir une nouvelle étape de votre carrière.
Absolument.


En dehors des rôles d’opéra vous chantez aussi en récital, vous appréciez la mélodie, et la mélodie française justement.
Oui! [en français dans le texte]. Je donnerai un récital à Bordeaux en décembre [en français dans le texte], et aussi à Paris, à la salle Gaveau, avec un programme partagé entre le français et l’italien, mais je tiens particulièrement à chanter encore en français pour les Français dans ce cadre-là aussi.


Avez-vous encore un professeur de chant qui vous guide?
Oui. Et c’est le même professeur que Nadine. [en français dans le texte] Oui, Nadine, Amina, et moi, nous avons le même professeur. C’est une des raisons pour lesquelles il nous est aisé de chanter ensemble. Nos techniques correspondent parfaitement. Nous pouvons chanter très piano ensemble, Nadine peut faire tout ce qu’elle veut, parce qu’elle sait que je peux la suivre et m’y adapter, et inversement je peux aussi être à l’aise parce que je peux faire ce que j’ai prévu, elle s’y adaptera facilement.


Quel est le nom de ce professeur?
C’est César Ulloa, de San Francisco [professeur du Merola Program et de l’Adler’s Fellow Program de l’Opéra de San Francisco, ainsi qu’à Los Angeles, Montréal, Mexico et Palm Beach]. C’est essentiel de garder un professeur de chant, quel que soit le chemin parcouru dans votre carrière. C’est une nécessité.


Etes-vous gêné quand on vous compare à Pavarotti, ce qui arrive souvent?
Non, bien sûr. Il est vrai qu’on me compare souvent à Pavarotti. Ce n’est pas que je suis embarrassé... Il était et reste une superstar, une idole pour tellement de gens, y compris moi. Et quand on vous compare à votre idole, c’est gratifiant, mais aussi gênant. Parce qu’il faut que vous enfiliez un très grand costume, vous voyez? Et beaucoup de personnes, quand elles vous entendront, diront «Oh, ce n’est pas comme Pavarotti, c’est bien, mais ce n’est pas comme lui». Mais je ne suis pas Luciano Pavarotti. Je suis Pene Pati! Je suis évidemment honoré, honnêtement, de la comparaison, mais en même temps je dois trouver ma voie personnelle, et faire oublier ça.


C’est assez fréquent en fait. Vous savez, quand Callas chantait au MET, on disait d’elle «C’est bien, mais ça ne vaut tout de même pas Ponselle».
Et aujourd’hui on dit «C’est bien, mais ça ne vaut pas Callas!». [Rires]


En dehors de l’opéra, vous chantez avec le groupe SOL3MIO, que vous avez fondé avec votre frère et votre cousin. Est-ce très important pour vous de vous décentrer un peu du monde de l’opéra et de revenir aux sources du chant, sources familiales et musicales, pour trouver un autre équilibre?
C’est sûr; celui que je suis sur scène aujourd’hui est différent grâce à cela. On doit s’adapter au climat qui nous entoure. Dans le monde de l’opéra, le snobisme est une pente facile: on peut se dire qu’on ne doit s’en tenir qu’à l’opéra, parce qu’on le vaut bien. C’est nous qui faisons du public ce qu’il est, nous nous devons d’accueillir des personnes qui ne connaissaient pas l’opéra avant de venir nous voir. Ces personnes peuvent alors se dire «Oh, il chante ça, qui me convient» et ensuite «Ah, tiens, il chante Roméo et Juliette, il faudrait que je voie ce que c’est». Parce que c’est la même personne [en français dans le texte]. Je pense que Pavarotti, avec le phénomène des «trois ténors» a permis de démultiplier le public de l’opéra, car tous ces gens y sont venus grâce à ce phénomène et se sont mis à aimer l’opéra ainsi. Mon amour du chant est grand et va dans ces deux sens.


Et vous aimez chanter en famille aussi.
Oui, bien sûr, avec mon frère et mon cousin.


Votre frère Amitai, qui vient de faire ses débuts en France en Nadir des Pêcheurs de perles à la Philharmonie de Paris il y a quelques jours... Votre frère Amitai qui, comme vous, a étudié au Pays de Galles, et dans le programme Adler’s Fellow de San Francisco. Il suit vos pas, avec une voix plus légère...
Oui, un petit peu plus légère. Et il suit un peu ma route, en effet! Il pourrait songer à chanter Roméo, mais vous savez, je l’aime tant, je le suis de près, je le conseille pour qu’il n’aille pas trop loin trop vite, je le réfrène un peu. Tant que tu peux faire Nadir comme ça, restes-en à Nadir pour le moment, lui dis-je. Car quand vous chantez des rôles relativement légers et que vous avez envie de chanter Roméo, Rodolfo, vous pouvez abîmer votre voix très vite. Alors je luis dis d’en rester à Nadir.


Ne voudriez-vous pas le chanter aussi, vous? Vous y seriez magnifique. Il n’est pas si léger que cela, c’est un chasseur de fauves, il chasse les tigres et les loups, d’après le livret!
Vous avez raison. Tout le monde, en entendant «Je crois entendre encore» [Il chante], pense que c’est un rôle léger, mais le rôle n’est pas si léger que cela.


Le chant est une affaire de famille pour vous, entre Amitai et Amina. Vous avez partagé la même scène elle et vous, à San Francisco pour Roméo, à Auckland aussi. Espérez-vous le faire encore?
Oui, je l’espère vraiment! Bon, elle est dans une position où elle débute en tant que vedette, dans ce domaine j’ai la chance d’avoir un peu de temps d’avance sur elle. Alors nous voudrions lui laisser le temps de décoller vraiment d’abord, pour chanter ensemble sur un pied d’égalité. Parce que malheureusement, parfois, à l’opéra, il y a des couples qui obligent un peu les maisons à les engager ensemble, de façon un peu artificielle. Et nous voulons éviter cet écueil. Nous avons sans doute le talent suffisant pour nous faire un nom séparément, avant d’être réunis pour de bonnes raisons. Peut-être dans une ville comme Bordeaux, où nous sommes déjà connus tous les deux. Cela nous rendrait très heureux.


En Roméo et Juliette... pourquoi pas?
Oh, oui! Ce serait merveilleux...


Vous pourrez commencer au gala de mercredi. [le 11 mars, Amina Edris a participé avec Pene Pati au gala qui remplace au Grand Théâtre de Bordeaux le récital annulé d’Ildar Abdrazakov]
C’est vrai!


Lors de votre mariage, vous avez déclaré que vous vouliez avoir des enfants. C’est aujourd’hui devenu fréquent d’envisager de fonder une famille même quand on a un emploi du temps de chanteur d’opéra. Mais cela reste compliqué, surtout avec un couple formé de deux chanteurs vedettes.
Tous les deux, nous voulons avoir des enfants. Bien sûr, c’est très difficile, étant tous deux très occupés et entre deux avions, rarement ensemble. Sans doute n’est-ce pas le meilleur moment actuellement. D’autant que c’est une décision plus lourde de conséquences pour elle, dans la pratique. Donc quand elle se sentira prête...


Nous connaissons des chanteurs qui ont été dans cette situation, et peut-être peut-on se dire aussi que d’une certaine manière, ce n’est jamais le «bon» moment, alors il faut se lancer aussi et apprendre à le gérer.
Je crois que vous avez très bien compris le problème.


Grâce à FaceTime notamment, vous pouvez parler à votre conjoint et aux enfants tous les jours.
Oui, c’est vrai, c’est l’idée: on le fait et on apprend à gérer!


Pour conclure cet entretien, pouvez-vous nous donner un rendez-vous prochain pour un grand rôle à Paris ou ailleurs en France?
Ah, il était prévu que je chante Nemorino de L’Elixir d’amour l’an prochain à Paris, mais une production de Rigoletto à San Francisco ne l’a pas permis. Cependant, je ne suis pas inquiet. Julien [Benhamou, le directeur de casting de l’Opéra de Bordeaux] et Marc [Minkowski, le directeur de l’Opéra de Bordeaux] me proposent beaucoup de choses, qui tombent trop souvent sur des moments déjà pris dans mon agenda. Je donnerai bientôt un concert au festival «Un violon sur le sable» [à Royan]). Mais j’espère bien sûr chanter d’autres opéras ici.
[Un temps] J’adore Bordeaux. C’est la ville de mes débuts européens l’an dernier, une étape très importante de ma carrière, et maintenant mon premier rôle en français devant un public français. Je ressens beaucoup de gratitude et de loyauté envers cette maison d’opéra, j’espère y revenir souvent.


Alors à bientôt, à Bordeaux, ou à Paris!
Amina a l’intention de déménager à Paris. Elle veut travailler en France le plus possible. On envisage donc de déménager ici. On aime la France. J’aime le français aussi, je vais le travailler, je le comprends assez bien mais ne le parle pas encore, je veux le parler couramment. C’est pourquoi, si on déménage à Paris, ce sera bon pour moi dans ce domaine. Et en fait... d’ailleurs, j’ai déjà chanté Des Grieux à l’Opéra de Paris!


Comment ça?
Eh bien, le jour même où j’ai atterri en France, le 26 février, Stephen Costello est tombé malade, et Benjamin Bernheim n’était pas disponible, il avait un concert le lendemain [le Gala des quarante ans de l’Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris], et donc ils étaient sur le point d’annuler la générale de Manon, parce qu’il n’y avait plus de Des Grieux. Amina les a appelés et a dit Oh, mon mari chante Des Grieux [en français dans le texte]. Moi, je venais juste de descendre de l’avion, je n’étais pas très chaud. Et puis je me suis dit: ce sont ces moments-là qui te construisent en tant que chanteur, et font pencher la balance entre la normalité et la légende. Cela n’aurait pas été grave si j’avais refusé, ils auraient très bien compris. Mais j’ai dit: «Oui, je vais sauver la représentation». Alors j’ai quitté l’avion, j’ai dormi deux heures... J’ai travaillé la partition frénétiquement. Et je suis monté sur scène pour chanter Des Grieux!


Merci pour cette belle histoire, et pour ce moment passé avec vous après le spectacle époustouflant d’hier soir. A bientôt, Pene Pati!
Avec plaisir! [en français dans le texte]


[Propos recueillis par Philippe Manoli]

 

 

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