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Alan Curtis, portrait d’un défricheur du baroque
07/20/2015


Le legs discographique d’Alan Curtis
Alan Curtis sur ConcertoNet



A. Curtis (© D.R.)


L’année écoulée a été marquée par la disparition de Frans Brüggen puis de Christopher Hogwood. Avec le décès d’Alan Curtis, le 15 juillet dernier, à Florence (ville où il vivait depuis près de vingt ans), c’est un nouveau grand maître de la musique baroque qui disparaît mais, peut-être plus qu’un grand chef, c’est avant tout un grand défricheur et un grand chercheur que les mélomanes ont perdu.


Alan Curtis est avant tout, ne serait-ce que du strict point de vue chronologique, un pédagogue et un chercheur dont les travaux ont fait et continuent de faire autorité. Né le 17 novembre 1934 à Mason, petite ville de l’Etat du Michigan, Curtis passe un master à l’Université de l’Illinois (1956) avant de traverser l’atlantique pour aller étudier la musique et le clavecin auprès du grand Gustav Leonhardt, à Amsterdam (de 1957 à 1959). Tout en découvrant un répertoire qui ne lui était pas familier jusque-là, Alan Curtis enregistre quelques œuvres avec son maître avant de retourner aux Etats-Unis où il obtient en 1963 son doctorat après avoir soutenu une thèse consacrée au compositeur hollandais Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621), auteur de nombreuses œuvres vocales mais surtout maître incontesté de l’orgue et du clavecin, dont l’influence fut considérable et qui était surnommé à son époque «L’Orphée d’Amsterdam». Sa thèse, publiée dès 1969 (Sweelinck’s Keyboard Music - A Study of English Elements in Seventeenth-Century Dutch Composition), trahissait déjà le goût de Curtis pour sortir des sentiers battus et aller à la rencontre des maîtres oubliés de la musique ancienne. C’est à la même époque qu’il commence à enseigner en Californie, à la prestigieuse université de Berkeley, partageant ainsi son temps entre l’enseignement et, pendant plus de six mois de l’année, l’interprétation.


Car Alan Curtis fut également un musicien de tout premier ordre, claveciniste et pianofortiste réputé. Il enregistre ainsi aux côtés de Leonhardt des concertos pour deux clavecins de Carl Philipp Emanuel Bach, gravant également Joseph Haydn, Louis Couperin (superbe disque publié chez Archiv Produktion, réalisé à Paris en octobre 1975) et Johann Sebastian Bach, les Suites françaises, les Suites anglaises et les Variations Goldberg en 1977 (EMI), jouées sur un clavecin de 1728 emprunté au Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg et dû au célèbre facteur d’instruments Christian Zell. C’est également à cette époque, en 1977, qu’il fonde son ensemble, Il Complesso Barocco, avec lequel il va, en qualité de chef d’orchestre cette fois-ci, défricher tout un répertoire jusque-là méconnu en retournant toujours aux sources historiques. Ainsi, en 1978, premier coup de tonnerre, il dirige un opéra de trois actes totalement méconnu de Georg Friedrich Händel, Admeto, re di Tessaglia avec, excusez du peu, René Jacobs dans le rôle-titre, Rachel Yakar (Alceste) et James Bowman (Trasimède), entre autres. Optant pour une ligne de chant minimaliste, ôtant toute fioriture qui n’aurait pas été souhaitée par le compositeur, Curtis prend ses «rivaux» à contre-pied, n’hésitant pas à donner de la musique baroque une figure sobre, voire austère. C’est dans cette même optique qu’il réalise sa propre édition du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi, qu’il dirige en septembre 1980 à La Fenice de Venise. Découvreur infatigable, Curtis commande également à des facteurs d’instruments un chitarrone (instrument de la famille du luth), instrument aux cordes graves, couvrant quatre octaves, ainsi qu’un clavecin chromatique, bref autant d’instruments lui permettant de coller au plus près de l’authenticité souhaitée dans ses divers enregistrements.


La redécouverte des instruments était bien entendue nécessitée par la redécouverte d’un répertoire baroque dont les mélomanes étaient jusque-là privés. Ainsi, c’est à Alan Curtis que l’on doit les fameuses représentations d’Il Sant’Alessio de Landi à Innsbruck en 1981, inaugurant un formidable train d’exhumations: Niccolò Jommelli (La schiava liberata), Cesti (Il Tito) mais aussi, plus proches de nous, certains madrigaux de Lotti et de Rossi, Francesco Conti (son oratorio David de 1724), Pietro Andrea Ziani (son Magnificat ou son oratorio Assalonne punito), Francesco Sacrati (La finta pazza repris en juillet 1987 à La Fenice, exhumation vieille de plus de 300 ans!), Benedetto Ferrari (superbe Il Sansone), Tolomeo e Alessandro de Domenico Scarlatti...


Mais c’est surtout à Händel que le nom d’Alan Curtis restera associé. Ayant chanté Le Messie dans sa jeunesse, Curtis a avoué que, depuis qu’il s’était plongé dans l’œuvre du «Caro Sassone», ce sont surtout ses opéras qui l’ont intéressé. Et force est de constater que Curtis s’est lancé dans une série de concerts et d’enregistrements bénéficiant aussi bien aux célèbres Giulio Cesare in Egitto ou Alcina qu’aux moins connus Rodelinda ou Radamisto, s’aventurant surtout dans les totalement oubliés Rodrigo (série de représentations à travers l’Europe en 1984), Arminio (donné encore une fois dans le cadre de La Fenice, en septembre 1999, avec Daniela Barcellona dans le rôle-titre, la production s’aventurant ensuite à Sienne, Padoue et Amsterdam, où Vivica Genaux reprit le rôle), Deidamia (enregistré en juillet 2002), Lotario (juillet 2004), Tolomeo, re d’Egitto (septembre 2006), Fernando, re di Castiglia (2007), Floridante ou Berenice, que le public parisien a pu apprécier en novembre 2009, Curtis dirigeant pour l’occasion une étincelante Klara Ek, entourée notamment d’Ingela Bohlin (Alessandro), Romina Basso (Selene) et Franco Fagioli (Demetrio). Après Händel, Alan Curtis jeta son dévolu sur Antonio Vivaldi, dont il a gravé notamment les rares Motezuma (partition complétée avec une totale réussite en 2005 par le violoniste Alessandro Ciccolini) ou Catone in Utica. Enfin, c’est à Gluck qu’il s’intéressait, après un premier essai de réhabilitation (Ezio), compositeur dont il continuait de travailler l’œuvre avec les méconnus Demofonte et La Sofonisba.


Si les spectateurs suivirent sans difficulté le chef américain, la critique ne l’épargna guère, jugeant sa direction bien souvent besogneuse et inintéressante (et il est vrai que lors de certaines représentations, on se souvient avoir parfois constaté que l’orchestre Il Complesso Barocco suivait davantage le premier violon que le chef...), impropre en tout cas à faire ressortir les supposées merveilles composées deux cents ans plus tôt. Mais comment, en revanche, ne pas lui savoir gré d’avoir fait émerger des voix qui sont aujourd’hui parmi les plus belles qui soient pour interpréter le répertoire baroque? Car c’est à lui que l’on doit d’applaudir Joyce DiDonato, Ann Hallenberg, Karina Gauvin bien sûr, mais aussi Romina Basso, Roberta Mameli, Marijana Mijanovic, Roberta Invernizzi... Sa direction était alors toute attention et écrin dans lequel les voix pouvaient s’épanouir en sécurité, sachant d’emblée que le chef les suivait pour le plus grand bonheur de tous. Ne serait-ce que pour ce rôle de passeur et d’ambassadeur auquel il aura donné ses lettres de noblesse, Alan Curtis restera sans aucun doute un des très grands de la musique baroque.




Le legs discographique d’Alan Curtis


Le claveciniste





Même s’il a laissé plusieurs disques consacrés à l’œuvre pour clavier de Haydn ou de la famille Bach (signalons à ce titre que les Suites françaises et anglaises ont fait l’objet d’une nouvelle publication chez Teldec dans la collection «Das alte Werk»), c’est vers ce joyau consacré à Louis Couperin que l’on se tournera sans hésiter. La Suite en la mineur qui y figure est un petit joyau, qui témoigne d’une technique sans faille et surtout d’une musicalité originale qui n’a pris aucune ride depuis quarante ans (Archiv Produktion).


Händel et Vivaldi

         


Pour ceux qui ne souhaiteraient pas se jeter sur le volumineux coffret publié chez Naïve et rassemblant plusieurs opéras méconnus de Händel, on conseillera en priorité Radamisto (Virgin Classics) et Ariodante (Naïve), et une version splendide de Rodelinda éditée chez Archiv Produktion. Trois opéras de Händel dans des genres différents mais où brille une même équipe de chanteurs dominée par Joyce DiDonato: difficile de ne pas succomber! Quant à Vivaldi, et même si Motezuma est intéressant, on recommande en priorité le superbe Catone in Utica publié dans l’«Edition Vivaldi» en cours chez Naïve: un bijou.


Les raretés italiennes


         


Les amateurs de raretés pourront éventuellement s’aventurer dans Le Couronnement de Poppée, enregistré en public à La Fenice en septembre 1980 (Fonit Cetra) mais que nous ne pouvons recommander du point de vue musical, ne l’ayant jamais eu entre les mains... En revanche, et sans aucun doute, Il Sansone de Benedetto Ferrari s’impose: cet enregistrement, réalisé en juillet 2001, bénéficie des voix impeccables de Roberta Invernizzi et Elena Cecchi Fedi. Comment ne pas également acquérir le très beau disque rassemblant des madrigaux de Rossi et Lotti (réédités chez Virgin Veritas)? Là encore, un superbe voyage musical que les amateurs pourront compléter par le disque consacré à des airs de Porpora chantés par la fidèle Karina Gauvin: on ne peut rêver plus bel hommage.



Alan Curtis sur ConcertoNet


Concerts


Rodelinda de Händel à Madrid (2012)
Ariodante de Händel à Versailles (2012)
Jules César de Händel à Paris (2011)
Agrippina de Händel à Madrid (2009)
Tolomeo ed Alessandro de Scarlatti à Paris (2009)
Rodelinda de Händel à Londres (2006)


Disques


Catone in Utica de Vivaldi (Naïve)
Airs de Porpora avec Karina Gauvin (Atma Classique)
Tolomeo de Händel (Archiv Produktion)


Sébastien Gauthier

 

 

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