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Hogwood: l’adieu au «Karajan du baroque»
10/27/2014

Le legs discographique de Christopher Hogwood





Quelques semaines après la disparition de Frans Brüggen, c’est un autre grand nom de la musique ancienne qui vient de disparaître en la personne de Christopher Hogwood. Le chef anglais, resté notamment célèbre pour avoir fondé The Academy of Ancient Music, est en effet décédé le 24 septembre 2014 dans sa maison de Cambridge, peu après son soixante-treizième anniversaire.


Né le 10 septembre 1941, Christopher Hogwood est l’aîné de cinq enfants. Son père, physicien, et sa mère, secrétaire trilingue qui travailla notamment au sein de l’Organisation internationale du travail, se rencontrèrent paraît-il au sein d’une chorale, prédisposant peut-être le petit Christopher à une carrière musicale. Après des études primaires menées dans sa ville natale de Nottingham, il part au Pembroke College de Cambridge, où il étudie la littérature et la musique, apprenant à jouer du clavecin avec le Colombien Rafael Puyana (1931-2013) et Mary Potts (1905-1982), avant de se perfectionner avec Zuzana Ruzicková à Prague et de suivre les cours de Gustav Leonhardt à Amsterdam.


Il multiplie ensuite les expériences musicales en assurant le continuo sous la direction de chefs comme Raymond Leppard ou Neville Marriner (il est claveciniste au sein de l’Academy of St Martin in the Fields de 1965 à 1976 et tient par exemple la partie d’orgue dans L’Art de la fugue enregistré en juillet 1974 sous la direction de Marriner), affinant ainsi au fil des disques et des concerts son goût pour le répertoire baroque. En 1967, Christopher Hogwood et le génial flûtiste David Munrow fondèrent le Early Music Consort of London, qui explora un répertoire jusque-là inconnu, réalisant notamment des enregistrements restés célèbres comme «Henry VIII and His Six Wives» (enregistrements réalisés entre 1972 et 1976 et récemment réédités chez Testament), la «Musique au temps des Croisades» (où l’on pouvait entendre de magnifiques airs comme celui composé par Thibaut de Champagne, Au temps plein de félonie) ou «Music for Ferdinand and Isabella of Spain» (même éditeur).


Mais c’est en 1973 que le pas décisif est franchi puisque Christopher Hogwood crée l’ensemble qui restera indissolublement lié à son nom, l’Academy of Ancient Music, à l’invitation de Peter Wadland, le producteur des disques édités par L’Oiseau-Lyre, avec lequel il va revisiter sur instruments d’époque une grande partie du répertoire baroque et classique. Et, en premier lieu, c’est Händel qui en fut le grand bénéficiaire, compositeur auquel Hogwood consacra d’ailleurs un excellent ouvrage publié en septembre 1985 dans sa version française, au sein de la collection «Musique et musiciens» éditée chez Lattès. Ainsi, en 1979, coup de tonnerre avec un Messie (Emma Kirkby, Judy Nelson ou David Thomas font partie des solistes) qui reste une référence et fut longtemps un des disques de musique baroque les plus vendus au monde, ce qui contribua à conférer à Hogwood le surnom de «Karajan de la musique baroque»... On vit également fleurir les œuvres orchestrales connues du compositeur saxon mais on ne doit pas oublier ses très belles versions de La Resurrezione ou du rare oratorio Athalia qu’il enregistra en 1985 avec une équipe comptant notamment, excusez du peu, Joan Sutherland, Emma Kirkby, James Bowman et Anthony Rolfe-Johnson! Le chef anglais parcourt également les classiques du répertoire en enregistrant Vivaldi, Telemann (très bon disque de concertos en 1983) et Bach bien sûr mais aussi Thomas Arne, Geminiani, la musique française (Rebel, Couperin) et Purcell dont il grave une superbe version de Didon et Enée en 1992.


Le suicide de David Munrow, qui restera comme une blessure indélébile chez Hogwood, pousse ce dernier à élargir son répertoire et à davantage s’aventurer dans le répertoire classique et préromantique. Là encore, la réussite des premiers volumes est patente: Mozart bien sûr, dont il enregistre les concertos (Antony Pay pour le Concerto pour clarinette, Simon Standage pour les Concertos pour violon) et, pour la première fois sur instruments d’époque, l’intégrale des Symphonies (vaste entreprise qui s’est déroulée de 1979 à 1986). Et Haydn dont on ne regrettera jamais assez que l’éditeur n’ait pas suivi pour permettre la réalisation d’une intégrale des Symphonies qui promettait d’être une référence quasi indépassable. Car il faut entendre les symphonies de Haydn par Hogwood: tout est savamment dosé, les couleurs sont multiples entre vents et cordes d’une beauté inouïe, tout en étant d’un naturel et d’une spontanéité parfaite. Puis ce sont les Symphonies de Beethoven (entre 1983 et 1989) ainsi que ses Concertos pour piano, avant qu’il n’avance dans le temps, enregistrant magnifiquement Mendelssohn (notamment le très beau Concerto pour deux pianos) et Niels Gade, dont il grave les Symphonies et plusieurs ouvertures à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio danoise (chez Chandos): pour beaucoup de mélomanes, une révélation!


Tout en explorant de nouveaux confins musicaux, Christopher Hogwood se mit à diriger des orchestres symphoniques traditionnels comme ce fut le cas à plusieurs reprises lorsqu’il conduisit le Philharmonique de Radio France dans Stravinski (voir ici et ici), Martinů, dont il devient un interprète de tout premier plan, ou Honegger. On doit également compter ses nombreuses invitations au Philharmonique de Los Angeles ou à l’Orchestre de chambre de Saint Paul, dont il devient le principal chef invité entre 1992 et 1998 après en avoir été le directeur musical.


Outre ses activités musicales proprement dites, Hogwood s’est également affirmé comme un authentique musicologue, cherchant toujours l’ouvrage rare ou l’édition critique à laquelle personne n’avait encore touché. On a déjà fait référence à son ouvrage consacré à Händel; ses affinités profondes avec ce compositeur lui valurent d’être nommé directeur artistique de la Händel and Haydn Society de Boston en 1986. Visiting Professor à la Royal Academy of Music de 1992 à 2008), il fut également professeur à l’Université de Cambridge et au Gresham College de Londres. A ce titre, YouTube nous permet d’écouter plusieurs de ses conférences dont on retiendra notamment celle intitulée «Music Under the Shadow of Handel» et celle, particulièrement émouvante puisqu’illustrée par le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen, dénommée «Music in Context: In a Prison Camp». On signalera enfin le rôle majeur que Hogwood a joué dans la direction d’une nouvelle édition critique des œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach, dont les premiers volumes parurent en novembre 2006.


Le legs discographique de Christopher Hogwood


Niels Gade





Lorsqu’on pense à Hogwood, ce n’est pas forcément à ce compositeur danois (né en 1817 et décédé en 1890) qu’on l’associe spontanément. Et pourtant, Hogwood a réalisé pour Chandos une intégrale de la plus haute tenue de ses huit Symphonies à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio danoise, qui n’est véritablement concurrencée que par la tout aussi passionnante anthologie dirigée par Neeme Järvi (Bis). Pour qui souhaite commencer, on conseillera en priorité l’achat du quatrième volume qui comporte notamment la magnifique Première Symphonie aux couleurs mordorées: l’écoute du seul premier mouvement ne peut que susciter l’enthousiasme et l’adhésion. Un très grand disque. Hors les compositeurs strictement baroques ou classiques, on recommandera également les disques que Hogwood a consacrés à Bohuslav Martinů (1890-1959) avec, notamment, un très beau volume consacré à de rares ballets (Le Raid merveilleux, La Revue de cuisine et On tourne!) où l’Orchestre philharmonique tchèque est superbe (Supraphon).


Georg Friedrich Händel





Plus que les œuvres destinées à l’orchestre ou même Le Messie, dont il a pourtant gravé une version d’anthologie, il nous semble que ce soit plutôt dans le répertoire lyrique qu’il faille chercher ses trésors. Ainsi, on ne pourra rester insensible à l’excellente version d’Orlando gravée en novembre 1991 par Christopher Hogwood avec une équipe de chanteurs habitués à travailler avec lui (James Bowman, Emma Kirkby, Arleen Augér et David Thomas). En outre, et bien que cette version n’ait pas forcément été saluée lors de sa sortie, son Rinaldo mérite également l’écoute attentive (enregistrement de novembre 1999 publié chez Decca): un plateau de tout premier ordre qui livre quelques pépites comme ce duo «Scherzando sul tuo volto le grazie vezzosette» entre Almerina et Rinaldo (Cecilia Bartoli et David Daniels) ou le très bel air d’Argante, «Sibillar gli angui d’Aletto», chanté avec sa superbe habituelle par Gerald Finley.


Joseph Haydn





Un des compositeurs de prédilection de Christopher Hogwood. Alors que choisir? «Tout», serait-on tenté de répondre tant on est séduit par l’écoute des disques dirigés par le chef anglais. En premier lieu, bien évidemment, un des dix volumes de symphonies plus ou moins connues publiés chez L’Oiseau-Lyre, qui s’avèrent bien plus intéressants que, par exemple, le disque rassemblant les célèbres Miracle et Surprise. En revanche, comment ne pas succomber à la verve du quatrième mouvement de la Soixantième Symphonie «Le Distrait»? Comment ne pas pleurer en écoutant le deuxième mouvement de la Vingt-sixième Symphonie «Les Lamentations»? Comment ne pas succomber au charme immédiat du premier mouvement de la Trente-neuvième? Tout y est: les timbres des instruments, la justesse des tempi, l’art des transitions... Si, pour certains opus, Trevor Pinnock ou Thomas Fey sont de rudes concurrents, en plus d’une occasion, Hogwood les surclasse sans peine. On n’oubliera pas non plus la magnifique version de l’opéra Orfeo ed Euridice (L’anima del filosofo) dominée, côté vocal, par Cecilia Bartoli: quel air quand même que ce «Filomena abbandonata» au premier acte!


Wolfgang Amadeus Mozart





Bien que Christopher Hogwood ait enregistré avec une incontestable réussite l’intégrale de ses Symphonies et plusieurs concertos (on mentionnera notamment la très belle version du Concerto pour clarinette avec Antony Pay comme soliste), c’est La Clémence de Titus que l’on retiendra ici. La jeune Cecilia Bartoli (encore elle...), la tout aussi juvénile Barbara Bonney et Gilles Cachemaille notamment forment une très belle équipe accompagnée par une Academy of Ancient Music aux timbres magnifiques. Une version «authentique» de tout premier ordre.


Anthologies de musique française





Christopher Hogwood a notamment réalisé deux anthologies de musique française qui n’ont pas pris une ride, à une époque où rares encore étaient ceux qui s’aventuraient dans ce répertoire. Tout d’abord, ce sont Les Eléments de Destouches, couplé avec Les Elémens de Rebel, gravés en juin 1978: grand prix de l’Académie Charles Cros fort justement mérité tant l’esprit de tout un répertoire y est présent grâce à des musiciens d’une justesse indéniable. Et que dire ensuite de ces deux disques rassemblant de la «Musique pour la Chambre du Roy»? Montéclair, Couperin, Marin Marais... Ce coffret date de 1983 mais conserve tout son intérêt, témoignant au surplus des affinités de Hogwood pour une musique qui mérite bien davantage que quelques poncifs interprétatifs.


Sébastien Gauthier

 

 

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