About us / Contact

The Classical Music Network

Editorials

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Entretien avec William Christie
08/29/2014


W. Christie (© Sébastien Gauthier)


Vous connaissez la Vendée depuis longtemps et dans ses moindres recoins: vous avez joué du clavecin en 1975 à Fontenay-le-Comte et aux Sables d’Olonne, vous avez également dirigé Les Arts Florissants dès le début des années 1980 dans la petite église de Mareuil-sur-Lay notamment. Alors que vous n’avez pas hésité à dire que vous vous sentiez vendéen, pouvez-vous tout d’abord nous expliquer comment vous avez connu cette région? Qu’est-ce qui vous y a attiré et pourquoi avez-vous souhaité y acquérir une demeure, voilà presque trente ans?
En fait, mes premiers contacts avec la Vendée remontent à 1974. A cette époque, à la fin de l’année 1973, au mois de novembre, mon imprésario m’avait téléphoné, constatant que j’avais un emploi du temps assez dégarni durant l’été à venir; il avait donc prévu pour moi et quelques collègues musiciens deux concerts en Vendée mais il m’avait prévenu: «C’est le Far West mais, au moins, s’il fait beau, vous pourrez vous baigner!». Et en fait, ça a bien marché: c’est là ma première rencontre avec la Vendée. Au même moment, je me suis rendu compte qu’aux Sables d’Olonne notamment, il y avait une vraie vie musicale avec pas mal de concerts. Le conservateur du musée des Sables d’Olonne, Claude Fournier, était un passionné de musique ancienne et avait d’ailleurs créé un mini-festival où ont joué les frères Kuijken, Scott Ross, Leonhardt, moi-même... Il y avait donc un bon terreau. Ensuite, l’année suivante, je suis revenu aux Sables d’Olonne, à l’invitation d’Henry-Claude Cousseau, qui était alors conservateur en chef des musées de la ville. De plus, il y a eu au même moment une très belle exposition d’art sacré vendéen, suite à l’inventaire exhaustif effectué par Louis Delhommeau, qui s’est tenue à Luçon, à la chapelle des Ursulines [L’exposition Art sacré de Vendée XIIe-XIXe siècle s’est déroulée du 1er juillet au 31 août 1975 et a fait l’objet d’un catalogue rédigé par Henry-Claude Cousseau et Louis Delhommeau, sous la direction de Pierre-Marie Auzas (NDLR)], exposition qui bénéficiait d’un accompagnement musical dont j’avais assuré toute la programmation. On a utilisé à cette occasion les grandes orgues de la cathédrale: c’était très bien. J’ai rencontré beaucoup de gens; c’était en plus la première fois que je passais autant de temps dans la France profonde, et ça m’a plu. Puis j’ai logé plusieurs années de suite à Luçon avant de louer une très belle bâtisse, en pleine campagne, totalement isolée, près de Sainte-Hermine, à Simon-la-Vineuse. Puis j’ai enfin pris la décision de trouver quelque chose de permanent et voilà... Ça s’est fait comme ça.


La Vendée des années 1970 et du début des années 1980 n’était pas encore le département dynamique qu’elle est devenue aujourd’hui: en vous installant ici, aviez-vous déjà l’idée lointaine d’y faire de la musique de façon importante et, dans l’affirmative, aviez-vous déjà l’idée de créer un jour un festival?
Mon idée de départ était d’établir ici ma résidence et donc, évidemment, j’avais l’idée d’emmener en quelque sorte mon métier avec moi, qui est la musique. Quand j’ai découvert cette maison, j’y ai tout d’abord vu la possibilité d’y créer un très grand espace, qui s’appelle maintenant la Grande galerie, où l’on pouvait donc jouer. Et quand j’ai créé le jardin peu de temps après, dans mon imagination, ça a toujours été pour moi un moyen d’y faire quelques petits essais de jardinage et, effectivement, un lieu où je pouvais également faire de la musique. Il y a avait déjà l’idée de créer ce qui est aujourd’hui devenu le Théâtre de verdure, des petits bosquets où, à l’image de nos ancêtres, on pourrait jouer de la musique en petit comité. Dans mon esprit, il y avait donc déjà cet espace théâtral mais également cet espace musical.


Ce jardin, qui a obtenu le label de «jardin remarquable» en 2004, est tout en volutes, en courbes, en formes diverses, avec une grande liberté d’agencement. Bien que grand défenseur de la musique du XVIIe siècle, vous n’avez pas voulu de jardin «à la française», aux formes trop rigides... Tout d’abord, d’où vous vient cette passion pour le jardin: est-ce un héritage familial ou une passion que vous avez développée par vous-même? Et ensuite, comment avez-vous formalisé ce jardin: quelles ont été vos sources d’inspiration?
La passion pour le jardin, c’est un héritage. Quant au jardin que vous parcourez aujourd’hui, tout ce que vous voyez ici, c’est moi. Au début, notamment pour la Cour d’honneur, j’ai sollicité les conseils de quelqu’un pour interpréter et mettre en œuvre mes croquis puis on a soumis tout cela à des professionnels pour en déterminer ensuite la faisabilité technique, notamment en ce qui concerne les terrassements. Mais tout ce que vous voyez, c’est le résultat de nombreuses années d’imagination, de rêveries personnelles, dans lesquelles je souhaitais combiner plusieurs traditions. C’est un jardin qui est résolument éclectique mais comme vous le dites, il n’y a pas de vraies règles d’agencement: je brise toutes les règles!


En fait, dans ce jardin, il n’y a pas vraiment de forme préétablie...
Ah si! Au contraire! Tout cela est extrêmement établi même si je n’ai pas suivi de véritable modèle. Comme vous l’avez vu, ce n’est pas un jardin maniériste italien du XVIIIe siècle; ce n’est pas davantage un jardin qui aurait pu être agencé par des paysagistes français de la fin du XVIIe siècle. C’est un jardin qui a des références historiques extrêmement précises en même temps qu’elles sont très éclectiques; je traverse ainsi les siècles. Issu d’une tradition anglo-saxonne, j’ai par exemple repris des éléments des Arts and Crafts gardens des années 1900 mais au final, je crois qu’on peut surtout parler d’un jardin qui est résolument personnel.


C’est donc cette année la troisième édition du festival de Thiré, qui réunit, côté artistes, les Arts Florissants, le Jardin des voix et des étudiants de la Juilliard School de New York. Au-delà de ce mélange entre générations et profils de musiciens, vous avez souhaité une véritable proximité avec le public, qui partage avec vous non seulement la musique mais aussi le jardin. De ce point de vue, peut-on dire que le mot d’ordre de ce festival est l’absence de frontière, absence de frontière géographique, de frontière sociale, de frontière entre participants?
«Frontière» peut-être pas mais absence de barrière, oui: les mots qui conviennent peut-être le mieux pour caractériser ce festival, c’est l’intimité, la proximité, y compris physique avec les artistes, la communication, la transmission confidentielle parfois, et effectivement l’absence de barrière car je ne voulais pas que le public se sente éloigné des artistes comme ce peut être le cas lorsqu’il est séparé des musiciens et des chanteurs par une fosse d’opéra ou lorsqu’il est assis au troisième balcon d’un théâtre. C’est l’idée que nous avons eue dès le départ: c’est une idée, c’est même une philosophie en quelque sorte. Nous avons toujours ancré en nous ce souhait de l’intimité, ce qui fait que nous n’allons pas nous lancer dans de grandes œuvres, du moins dans le jardin existant, qui demanderaient des effectifs et des moyens trop importants. Peut-être, néanmoins, que dans quelques années, si l’on en a les moyens, on pourra lancer certains projets en installant, par exemple dans le pré derrière la colonnade, une conque acoustique dotée d’une grande estrade mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Actuellement, vous avez donc les concerts-promenades, qui se déroulent l’après-midi devant quarante à soixante personnes, pas davantage; ensuite, vous avez davantage de monde pour le concert qui clôt l’après-midi et, évidemment, on accueille le plus grand nombre de spectateurs pour le concert du soir mais il n’est pas question de faire quelque chose devant 2000 personnes!


C’est donc le lieu qui dicte votre programmation?
Ah, mais j’ai créé cet endroit avec une idée très précise du répertoire que j’avais envie de faire partager mais également que j’avais la possibilité d’interpréter. De toute façon, comme vous l’avez vu, le lieu n’est pas fait pour accueillir un trop grand nombre de personnes, qu’il serait ensuite de toute façon très difficile à gérer: si l’on avait 2000 personnes ici, les jardins seraient totalement envahis et donc bien moins agréables à découvrir.


On célèbre cette année le deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Rameau mais je crois que, pour vous aussi, c’est un anniversaire. Car vous avez véritablement découvert Rameau en accompagnant au clavecin, en 1964, à Tanglewood, la cantate Le Berger fidèle: ce fut là le moment décisif, n’est-ce pas, même si le fait d’avoir entendu Janet Baker, deux ans plus tard, dans Hippolyte et Aricie vous a également beaucoup marqué?
Il n’y a pas de moment en vérité, mais c’est vrai que les deux points que vous citez sont des éléments importants qui m’ont permis de découvrir Rameau. Rameau, je l’avais en fait découvert bien avant, grâce au disque, comme Couperin et d’autres compositeurs d’ailleurs, mais c’est vrai que mes premiers contacts directs avec Rameau, comme claveciniste et comme musicien, c’est à cette période, dans les années 1960.


Vous avez évolué, petit à petit, dans l’œuvre de Rameau en commençant par ses cantates, puis ses ballets en un acte avant d’aborder ses opéras: le premier fut Hippolyte et Aricie à l’Opéra Comique, en 1983. Pouvez-vous nous parler de ce cheminement, de cette découverte progressive?
En fait, Rameau a toujours été avec moi. Les Arts Florissants, que j’ai créés en 1979, ont commencé à jouer Rameau avec le ballet d’Anacréon puis, effectivement, Hippolyte et Aricie en 1983, qui était la reprise d’un spectacle donné préalablement à Aix-en-Provence. Et depuis, on l’a toujours avec nous...


Vous venez d’enregistrer un disque consacré à Rameau, «Le Jardin de Monsieur Rameau», qui explore en fait une belle partie de la musique vocale du XVIIIe siècle français: toujours ce retour au jardin donc?
Je ne sais pas qui a pensé à ce titre: en fait, je crois que c’est une sorte de trouvaille collective... C’est aussi bien sûr un clin d’œil à notre «Jardin des Voix», puisque nous avions l’idée d’utiliser ces jeunes voix autour d’un programme dédié à la musique française des années 1730-1740 pour l’essentiel.


Dans le cadre du programme «Rameau, maître à danser» que vous avez donné hier soir et que vous redonnez ce soir, vous dirigez Daphnis et Eglé (1753) et La Naissance d’Osiris (1754): que pouvez-vous nous dire sur ces deux actes de ballets très rarement joués? Et comment avez-vous eu l’idée de choisir des œuvres aussi tardives dans la production de Rameau, œuvres qui se situent au surplus en pleine période de la Querelle des Bouffons?
Le fait que ce soit tardif ne nuit pas du tout à la qualité de la musique ainsi composée: on peut même espérer qu’un compositeur se bonifie avec l’âge! J’ai choisi ces deux pièces car j’en avais dirigé pas mal d’autres et je voulais donc m’attaquer à des pièces que je connaissais moins bien. J’ai trouvé en outre que ces deux œuvres étaient très compatibles l’une avec l’autre puisqu’elles ont été toutes deux créées pour célébrer deux naissances. Elles datent par ailleurs toutes les deux des années 1750, années qui sont pour moi l’âge d’or de ce compositeur. Le choix a donc été assez pragmatique...


Ce spectacle mêle chant, musique instrumentale et danse: est-ce là aussi – on parlait tout à l’heure de l’abolition des barrières – une manière de montrer que les frontières entre les disciplines artistiques doivent tomber et qu’il faut au contraire insister sur leur parcours commun? D’ailleurs, c’est un peu la même chose dans les deux disques que vous avez enregistrés – Belshazzar de Händel et «Le Jardin de Monsieur Rameau» – en associant cette fois-ci la littérature à la musique, puisque vous avez demandé à un auteur d’écrire spécifiquement une nouvelle en rapport avec l’œuvre ainsi enregistrée?
Il y a une raison fondamentale pour avoir ainsi choisi de mêler musique, chant, danse... Je vous signale qu’il a d’ailleurs également fallu faire appel à un costumier et à un metteur en scène. C’est que ce sont, dans les deux cas, des musiques de théâtre, des musiques qui toutes deux s’intitulent «ballet». Le lien avec la danse est donc évident! Nous pouvons certes jouer cette musique sans danse, de même que nous pouvons donner un opéra en version de concert et non en version scénique. Mais nous avons voulu profiter d’un moment, dans cette année Rameau, pour monter à Caen et avec l’aide du conseil régional de Basse-Normandie un vrai spectacle où la scénographie notamment aurait toute sa place. Il y avait donc une très bonne raison de redonner ce spectacle. Evidemment, si l’on avait les moyens, ce serait très tentant de monter chaque année ici un petit opéra ou, en tout cas, de larges extraits d’opéras. Si l’on ne peut être trop exigeant pour bénéficier de vrais décors, le fait qu’on ait des chanteurs capables de chanter ce type de pièces, que l’on puisse recourir à des costumes, à une mise en espace ou une mise en scène, c’est déjà très bien d’autant qu’on fait également appel à des danseurs. Tout cela permet au final de monter un spectacle très complet.


Il y a deux ans, vous aviez dirigé Acis et Galatée de Händel, l’année dernière Didon et Enée de Purcell: cette année, c’est au tour d’Actéon de Charpentier, que vous avez enregistré en 1982 avec une belle équipe de chanteurs où figuraient Dominique Visse, Agnès Mellon ou Guillemette Laurens. Pourquoi le choix de cette pièce aujourd’hui?
Là aussi, le choix est très pragmatique. Il se trouve que j’ai un, deux, trois ou plusieurs chanteurs sous la main, qui correspondent exactement aux rôles requis. Là, pour le concert de clôture, je mélange deux programmes: l’un, que nous avons fait pour Versailles il y a quelque temps, est consacré à de la musique destinée à être jouée dans les jardins, musique qui requiert un petit chœur, un petit orchestre et quelques solistes qui sortent du chœur. Et puis je me suis dis que c’était également tout ce que demande la partition d’Actéon! De plus, le thème d’Actéon correspond parfaitement à ce que nous faisons ici: voilà pourquoi j’ai choisi de le donner.


Louis XIV aurait dit à son cher André Le Nôtre, architecte des jardins de Versailles: «Vous êtes un homme heureux, M. Le Nôtre.» Alors, je vous pose la question: êtes-vous un homme heureux, M. Christie?
Evidemment, ce festival me procure énormément de contentement! Je vois que, depuis quelques jours où ils sont arrivés ici, mes musiciens sont très contents, pour certains (je pense à ceux qui viennent en Europe pour la première fois) éblouis même... Les concerts se déroulent bien, le public est très demandeur, il vient en nombre et se réjouit de ce qu’il entend. Donc, oui, tout cela me procure une vraie sensation de bonheur.


[Propos recueillis par Sébastien Gauthier]

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com