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CD, DVD et livres: l’actualité de juin
06/15/2014



Les chroniques du mois



Must de ConcertoNet


   Philippe Herreweghe dirige Haydn




 Sélectionnés par la rédaction


   Mariss Jansons dirige l’Europakonzert 2001


   Bernard Haitink dirige Bruckner


   Syntonia interprète Dvorák et Suk


   Mort à Venise à l’English National Opera


  Juan Diego Flórez: airs d’opéras français


   L’Orchestre de Dresde au XVIIIe siècle


   Written on Skin de G. Benjamin


   Antonio Salieri par Marc Vignal


   Günter Wand dirige Bruckner


   Claudio Abbado dirige Un requiem allemand




 Oui !

Zubin Mehta dirige l’Europakonzert 1995
Claudio Abbado dirige l’Europakonzert 1998
Claudio Abbado dirige l’Europakonzert 2000
Daniel Barenboim dirige Bruckner
Carlo Maria Giulini dirige Bruckner
Jun Märkl dirige Hosokawa
Peter Van Heyghen dirige la Brockes-Passion de Keiser
La violoniste Lisa Jacobs
Le violoniste Callum Smart
Mariss Jansons dirige Mozart
Vasily Petrenko dirige Chostakovitch
Truls Mørk intrprète Chostakovitch
Vladimir Ashkenazy dirige Chostakovitch
Leon Fleisher interprète Beethoven et Mozart
Peter Oundjian dirige Adams
Jean-Jacques Kantorow dirige Ysaÿe
Franz Welser-Möst dirige R. Strauss
La Polyphonie depuis 1950 de Fabien Cailleteau
La Ville morte à Helsinki (2010)
La Sérénade silencieuse de Korngold
Le Quatuor Aron interprète Korngold
François-Xavier Roth dirige R. Strauss
Le pianiste Florian Noack



Pourquoi pas?

Daniel Barenboim dirige l’Europakonzert 1992
Simon Rattle dirige l’Europakonzert 2013
La Flûte enchantée à Ludwigsburg (1992)
Andrey Boreyko dirige Chostakovitch
Mariss Jansons dirige Tchaïkovski et Chostakovitch
Jaap van Zweden interprète Chostakovitch et Rihm
Gustavo Dudamel dirige Adams
Chad Hoopes interprète Mendelssohn et Adams
Kazuki Yamada dirige Bizet, Fauré et Gounod
Guillaume Bellom et Ismaël Margain interprètent Mozart
«Balkan Fever» avec Kristjan Järvi
Salomé à Bologne (2010)
Stradella de Franck à Liège (2012)




Pas la peine

Valery Gergiev dirige Brahms
Johannes Hiemetsberger dirige Brahms
Roderich Kreile dirige Brahms
John Eliot Gardiner dirige Stravinski
Arabella Steinbacher interprète Mozart
La Flûte enchantée à Bregenz (2013)
Mark Wigglesworth dirige Chostakovitch
Marianna Shirinyan interprète Beethoven et Kuhlau
Le Duo Miyazaki interprète Beethoven et Schubert
Sebastian Weigle dirige R. Strauss




Hélas!

Antoni Wit dirige Brahms





Le match du mois


           
        

Un requiem allemand: quatre versions récentes





En bref


Florian Noack: un nom à retenir
Korngold à l’affiche
Pour la Salomé d’Erika Sunnegårdh
John Adams à l’honneur
La Passion de Keiser
La fièvre balkanique de Kristjan Järvi
La polyphonie pas pour les nuls
R. Strauss: avantage Roth
A propos d’Ysaÿe (1)
A propos d’Ysaÿe (2)
Premier Concerto de Beethoven: Fleisher vs Shirinyan
Un opéra de jeunesse de Franck
Actualité de Chostakovitch
Orchestre d’exception (1): Concertgebouw
Orchestre d’exception (2): Radio bavaroise
La Flûte enchantée hier et aujourd’hui
Sur les traces d’Ansermet
Gardiner et Stravinski: le baroqueux et le néoclassique
Duos de pianistes (1): Daisuke & Yoko Miyazaki
Duos de pianistes (2): Guillaume Bellom & Ismaël Margain
Un Mozart terre à terre




Florian Noack: un nom à retenir





Agé de 23 ans, Florian Noack consacre son deuxième disque pour Ars Produktion à ses propres transcriptions et paraphrases d’œuvres pour orchestre de compositeurs russes. De toute évidence, le pianiste belge manifeste un intérêt particulier pour la musique de cet immense pays puisqu’il a consacré son enregistrement précédent à des pages de Liapounov, ce qui prouve, par ailleurs, qu’il s’aventure hors des sentiers battus. C’est encore le cas, mais dans une moindre mesure: au contraire d’Aleko de Rachmaninov, dont il a transcrit trois pages symphoniques, et du Lac enchanté de Liadov, Le Lac des cygnes, représenté sous la forme d’une suite de quatre pièces, et Roméo et Juliette de Tchaïkovski ainsi que Schéhérazade de Rimski-Korsakov (transcrit partiellement) bénéficient d’une immense popularité. Ce virtuose accompli ne trahit en aucune manière la version originale. Possédant une sonorité de toute beauté, il fait preuve de beaucoup de tact dans la dynamique, de clarté dans la structure et de précision dans les détails. Florian Noack fera à coup sûr parler de lui (ARS 38148). SF




Korngold à l’affiche


                         
         


Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), dont l’exceptionnel succès précoce avait été balayé par l’exil et les caprices de la mode, a été l’un des principaux bénéficiaires de la redécouverte de ces «musiques dégénérées» mises au ban du Troisième Reich: cette faveur auprès du public et des éditeurs trouve une nouvelle illustration dans trois remarquables parutions récentes.
Emblématique de l’œuvre du compositeur autrichien comme de son retour au répertoire, La Ville morte (1923), deuxième de ses six ouvrages lyriques, a connu de nombreuses productions depuis une trentaine d’années, donc certaines ont heureusement été enregistrées, comme à Berlin en 1983 (Arthaus Musik), à l’ Opéra du Rhin puis à Paris en 2001 (Arthaus) et à la Fenice en 2009 (Dynamic). Une quatrième version vient désormais s’y ajouter, captée en novembre 2010 à l’Opéra national de Finlande. Son directeur musical et artistique de 2006 à 2013, Mikko Franck (né en 1979), veille constamment à faire avancer le drame sans oublier de mettre en valeur la somptueuse partition d’orchestre. La voix à la fois angélique, cristalline et puissante du ténor allemand Klaus Florian Vogt (né en 1970), à l’aigu insolemment sûr et facile, domine sans peine le rôle écrasant de Paul, tandis que la Finlandaise Camilla Nylund (née en 1968) est moins solide en Marietta, tendant à passer en force dans une partie probablement au-dessus de ses moyens. Le baryton allemand Markus Eiche (né en 1969), en Franz puis Fritz, s’impose davantage par sa musicalité que par sa fiabilité, mais la mezzo finlandaise Sari Nordqvist (née en 1972), en Brigitta, agace par ses ports de voix peu élégants. La production de Kasper Holten (né en 1973) brille moins par sa direction d’acteurs, assez convenue, que par son concept, visuellement saisissant: dans une transposition à l’époque même de Korngold, qu’évoquent les costumes de Katrina Lindsay, le décor unique d’Es Devlin est centré sur le «temple des souvenirs» que Paul, dans sa demeure, a dédié à Marie, l’épouse décédée, pièce à la fois gigantesque et étouffante, fermée à l’arrière par un immense plan incliné et encombrée de souvenirs de la défunte, reliquaires, portraits et fleurs qui prolifèrent au sol ou, jusqu’au plafond, sur les longues étagères des deux murs latéraux. Au deuxième acte, le fond s’ouvre sur une vue des toits, clochers et bâtiments de Bruges, les lumières aux fenêtres trouvant leur prolongement dans les reliquaires qui s’éclairent eux aussi, tandis que les fêtards sortent de l’immense lit central. On pourra en revanche reprocher à l’idée du metteur en scène danois consistant à incarner Marie par une comédienne, auxquels Paul et Marietta peuvent ainsi s’adresser comme si elle était encore physiquement présente, d’être trop commodément explicite pour évoquer la présence de la disparue (deux DVD Opus Arte OA 1121 D).
A l’autre extrémité de la carrière de Korngold, qui faisait alors face aux désillusions du retour en Europe après l’exil hollywoodien, La Sérénade muette (1950) a récemment (cpo) fait l’objet d’un enregistrement mais c’est ici celui réalisé en mars 1951 (et légèrement abrégé) sous la direction du compositeur qui est réédité – malheureusement de la façon la plus minimaliste qui soit, sans autre information que la distribution et la liste des plages. En outre, le son paraît assez précaire pour l’époque, mais c’est l’occasion d’entendre dans son jus cette charmante «comédie avec musique en deux actes», avec les voix d’alors, pas toujours parfaites mais délicieusement idiomatiques et sourcilleuses quant à la diction – Hilde Ceska en Silvia, Fred Liewehr (1909-1993) en Coclé et Franz Böheim (1909-1963) en Borzalino étaient des habitués du Burgtheater comme du Volksoper, tandis que Rosl Schwaiger (1918-1970), qui chante Louise, fut connue comme Reine de la nuit à la Staatsoper, à l’Opéra de Munich et à Salzbourg. Plus de soixante ans après, l’ensemble pétille comme au premier jour et l’on se demande bien pourquoi une compagnie telle que Les Brigands n’en ferait pas chez nous une adaptation française (Archipel «Desert Island Collection» ARPCD 0545).
Après les trois Quatuors et le Quintette avec piano, le Quatuor Aron, associé au pianiste Henri Sigfridsson, à l’altiste Thomas Selditz et au violoncelliste Màrius Diaz, poursuit chez cpo son parcours dans la musique de chambre de Korngold. Le deuxième volume est consacré au Sextuor à cordes (1917), déjà bien servi au disque, et à la plus rare Suite (1930) pour deux violons, violoncelle et piano (main gauche), commande de Paul Wittgenstein qui porte la marque du néoclassicisme dominant dans la forme – celle de la suite, commençant par un «Prélude et Fugue» – plus que dans le langage, toujours généreusement postromantique. A l’égal de leur prestation à Paris en 2009 en marge de représentations de La Ville morte, le quatuor autrichien et ses partenaires se montrent remarquables, instrumentalement comme stylistiquement, parvenant à concilier une indispensable flamboyance avec une expression fermement tenue (777 600-2). SC




Pour la Salomé d’Erika Sunnegårdh





Cette nouvelle Salomé mérite d’être connue surtout pour Erika Sunnegårdh (née en 1966). La soprano suédoise, qui possède les moyens requis par le rôle-titre, au point de ne jamais sembler atteindre ses limites, incarne une femme capricieuse, concupiscente, effrontée – une remarquable composition. Le reste de la distribution comporte de solides maillons: Mark S. Doss (Jochanaan), Robert Brubaker (Hérode) et Diane Schaechter (Hérodias) restituent le profil psychologique de leur personnage avec conviction. Nicola Luisotti dirige un orchestre tendu comme un arc et tenant bon. La mise en scène de Gabriele Lavia, de conception assez classique, ne présente guère d’originalité, encore que représenter la tête de Jochanaan sous la forme d’une immense statue sur laquelle s’adosse Salomé change de l’ordinaire. Cette production du Théâtre communal de Bologne (2010) convient bien pour découvrir cet opéra (Arthaus Musik DVD 101699 ou Blu-ray 108096). SF




John Adams à l’honneur


                     

         


Trois parutions mettent en valeur différentes facettes et époques de l’œuvre de John Adams (né en 1947), compositeur prolifique que le public connaît encore mieux à l’issue de cette saison, où ses cinquième et sixième œuvres scéniques ont été données en première française, Doctor Atomic à l’Opéra du Rhin et A Flowering Tree au Châtelet.
La septième (et dernière, à ce jour), L’Evangile selon l’autre Marie (2012), a été créée (en version de concert) en mai 2012 à Los Angeles sous la direction de Gustavo Dudamel (né en 1981), qui l’y a reprise (en version scénique) en mars 2013 puis emmenée en tournée, notamment à Paris et à Lucerne, et enregistrée parallèlement à ces représentations. Pendant d’ El Nino, «oratorio de la Nativité», cet «oratorio de la Passion» en deux actes recourt à des principes comparables aussi bien dans son livret, ici aussi compilé par Peter Sellars à partir de sources très diverses et jouant du choc des époques et des cultures, que dans sa musique, avec son bariolage instrumental – étonnante présence du cymbalum et de la guitare basse – et stylistique, ses trois contre-ténors commentant l’action, son lyrisme expressif. Durant ces deux heures et quart, il n’est cependant pas exclu que l’ennui guette l’auditeur, nonobstant la richesse et la variété des moyens mobilisés, à commencer par les interprètes de la création de 2012 et de la reprise de 2013 (double album Deutsche Grammophon 479 2243).
De son opéra en deux actes Doctor Atomic, créé en 2005 à San Francisco et repris au Met en 2008, Adams a tiré deux ans plus tard une suite – baptisée «Symphonie», ainsi que Berg l’avait fait pour sa Lulu – en trois parties enchaînées («Le Laboratoire», «Panique», «Trinité»). D’une durée d’une vingtaine de minutes, elle a déjà été enregistrée par son dédicataire, David Robertson, la tête de l’Orchestre de Saint-Louis (Nonesuch, un DVD de l’opéra proprement dit étant paru chez Opus Arte), au moment où ils la donnaient par ailleurs en concert. Peter Oundjian (né en 1955), avec l’Orchestre royal national d’Ecosse, dont il est le directeur musical depuis 2012 (tout en conservant les mêmes fonctions à Toronto), ne le cède en rien pour rendre justice aux sortilèges orchestraux de la partition. Mais, davantage que dans cette habileté à «tirer des lapins de son chapeau», pour reprendre les termes de la chronique rhénane de notre rédacteur, le «vrai» Adams ne réside-t-il pas dans le souffle conquérant et les vastes horizons des deux autres œuvres au programme de cet album, la Harmonielehre (1985), dont le titre schönbergien ne doit pas tromper quant à l’inspiration «minimaliste», et le dix fois plus bref Short Ride in a Fast Machine (1986), «fanfare» irrésistible de rythme et de brio? De ces deux pièces, pourtant anciennes et célèbres, il n’existait jusqu’alors que deux enregistrements, par Edo de Waart (le créateur de Harmonielehre) à San Francisco (Nonesuch) et Simon Rattle à Birmingham (EMI): le chef canadien soutient la comparaison et bénéficie en outre d’une somptueuse prise de son (SACD Chandos CHSA 5129).
Autre «classique» du compositeur américain, le Concerto pour violon (1993), témoin, comme la Symphonie de chambre d’un an antérieure, de la pleine maturité de son style, parvient à son quatrième enregistrement grâce à Chad Hoopes (né en 1994), ami de l’inspiratrice et créatrice de l’œuvre, Jorja Fleezanis. Audacieux pour un premier disque, le pari est gagné dans un bel équilibre entre distance et expression, que ce soit dans les cauchemars répétitifs du premier mouvement, dans la poétique Chaconne («Body through which the dream flows») ou dans la redoutable toccata finale. Pour le couplage, le Concerto écrit six ans plus tôt par un autre «minimaliste», Philip Glass, aurait été idéal mais on comprend aussi que le jeune violoniste américain ait préféré, pour sa «carte de visite», se faire connaître dans un pilier du répertoire, en l’espèce le Second Concerto de Mendelssohn, auquel la notice s’efforce vaillamment de trouver des points communs avec le Concerto d’Adams. Soutenu avec empathie par un Orchestre symphonique de la MDR (Leipzig) toutefois bien pataud, malgré la baguette de Kristjan Järvi (né en 1972), Chefdirigent depuis 2012, Chad Hoopes convainc davantage par sa maîtrise instrumentale et par la générosité de son archet que par son approche, souvent sage (et même trop sage dans le Finale, pas très étincelant) mais aussi, plus rarement, complaisante dans ses clins d’œil et ses glissades hors de propos (Naïve V 5368). SC




La Passion de Keiser





Les amateurs de musique baroque se réjouiront de cette publication. Sous la direction de Peter Van Heyghen, Les Muffatti et Vox Luminis, fondés tous les deux en 2004, ont enregistré la Brockes-Passion (1712) que Reinhard Keiser (1674-1739) a composée quelques années avant celles de Telemann et de Haendel. Il ne s’agit pas d’une première discographique puisqu’il existe déjà une autre version, certes difficile à se procurer, sous la direction de Kenneth Montgomery (cpo). Les musiciens interprètent cet oratorio de 2 heures avec enthousiasme et minutie tout en soulignant la dimension théâtrale de l’ouvrage. L’orchestre et le chœur marquent des points grâce à leur sonorité, leur cohésion et leur rigueur. Les voix solistes séduisent elles-aussi, en particulier celle, d’une grande pureté, de Zsuzsi Tóth (Ramée 1303). SF




La fièvre balkanique de Kristjan Järvi





Le chef d’orchestre estonien Kristjan Järvi (né en 1972), fils de Neeme et frère de Paavo, a étudié principalement aux Etats-Unis avant son retour en Europe. Parallèlement à sa carrière classique, il fonda à New York en 1993 l’Absolute Ensemble, qui se destinait à une musique de fusion (classique, traditionnel, jazz) à effectif variable et, en 2008, la Philharmonie des jeunes de la Baltique (BYP), qui est un système pédagogique appliquant à la musique classique certaines caractéristiques de la musique populaire et inversement. Actuellement directeur musical de l’Orchestre symphonique de la MDR (Leipzig), il a donc voulu tenter avec son orchestre une expérience qui fusionne les techniques classiques et populaires. Associé au compositeur Theododii Spassov, spécialiste du kaval, flûte traditionnel des Balkans, et aux guitaristes Viatko Stefanovski et Miroslav Tadic, il présente un programme intitulé «The Kristjan Järvi Sound Project. Balkan Fever» et composé principalement de musique folklorique des Balkans touchée par le jazz et arrangée pour orchestre classique avec solistes pour le principal par Spassov, pour le reste conjointement par les trois instrumentistes. Mené par des rythmes frénétiques ou soudain langoureux, c’est un ensemble virtuose et ensoleillé aux rares instants nostalgiques qui se laisse écouter comme une musique de détente (enregistré en direct, il enflamme le public). Le style met en mémoire par sa démesure enjouée et ses échos klezmer la musique de film de Goran Bregovic, de source également populaire. La seule pièce de conception purement classique est la Première Rhapsodie roumaine d’Enesco, inspirée elle aussi de la tradition nationale. Järvi la dirige avec la même verve extravertie, les traits instrumentaux plus séducteurs, les effets plus appuyés, les accentuations rythmiques plus marquées, plus fiévreuses qu’à l’ordinaire, mais le caractère roumain légèrement orientalisant en ressort nettement, son charme et sa saveur préservés jusqu’à un exubérant chant d’alouette (ciocirlia). Si la technique assouplie est moins «classique», la prouesse des musiciens est intacte (Naïve V 5395). CL




La polyphonie pas pour les nuls





Fabien Cailleteau établit une cartographie de la polyphonie depuis 1950. Recourant à un style fluide et maîtrisé, il structure son essai en trois parties qui constituent, pour reprendre le terme qu’il utilise, autant de calques («Immersion», «Complexité», «Syncrétisme»), autrement dit de points de vue. En outre, il expose ce sujet complexe en retenant douze œuvres (Polyphonie X de Boulez, Saint François d’Assise de Messiaen, Carré de Stockhausen, Atmosphères et Concerto pour piano de Ligeti, Vortex Temporum de Grisey, Pléiades de Xenakis, Palimpsest de Benjamin, Piano Phase de Reich, Sinfonia de Berio, Les Soldats de Zimmermann et Quatuor avec hautbois de Carter), ainsi que des exemples supplémentaires qui appartiennent à des genres différents : The Labyrinths of Auximenes (Pink Floyd), Cfern (Autechre) et Watermelon Man (The Headhunters). Fabien Cailleteau utilise le nous de modestie et s’autorise quelques digressions: on voit bien là le professeur soucieux de développer son exposé de façon pédagogique mais le propos reste tout de même pointu. Dans les 152 pages de La Polyphonie depuis 1950, les annexes débutent à la cent troisième: c’est que l’auteur, qui propose un enregistrement pour chaque œuvre analysée, prend la peine d’expliquer certains termes techniques. Un aperçu personnel et rigoureux de la musique contemporaine (Aedam Musicae, 152 pages, 17 euros). SF




R. Strauss: avantage Roth


         


Enregistrées entre 2011 et 2013, deux formations allemandes et leurs directeurs musicaux respectifs se confrontent dans quelques-uns des poèmes symphoniques de Richard Strauss: d’un côté, l’Orchestre de l’Opéra et du Musée de Francfort et Sebastian Weigle (né en 1961), Generalmusikdirektor depuis 2008 (Oehms Classics OC 888); de l’autre, l’ Orchestre de la SWR de Baden-Baden et Fribourg – promis en 2016 à une aberrante fusion avec celui de Stuttgart – et François-Xavier Roth (né en 1971), Chefdirigent depuis 2011 (Hänssler Classic CD 93.304). Les premiers donnent Une vie de héros et le rare Macbeth, que les seconds, qui se sont lancés dans une intégrale des poèmes symphoniques au rythme de deux parutions par an, ont choisi, respectivement pour leur premier et deuxième volumes, complétés par Mort et Transfiguration, Till l’Espiègle et Don Quichotte. Malgré des qualités instrumentales moindres, encore que le violon solo d’ Ingo de Haas (né en 1969) soit sans reproche pour incarner la «compagne du héros», Francfort ne démérite certes pas, mais c’est une impression de routine, davantage que d’élan et de passion, qui prévaut. A tout point de vue, la SWR – un orchestre alliant cohésion et brio, jusque dans son donquichottesque violoncelle solo, Frank-Michael Guthmann (né en 1975) – et le chef français – insufflant vie et couleur, clarté et légèreté à ces partitions particulièrement narratives prennent l’avantage. Nouveau succès, après une Première Symphonie de Mahler déjà très remarquée: vivement la suite! SC




A propos d’Ysaÿe (1)





L’Orchestre philharmonique royal de Liège, un des meilleurs de Belgique tant par son niveau que par sa programmation et sa discographie, continue de défendre la musique belge. Cet album publié par Musique en Wallonie comporte six pièces d’Eugène Ysaÿe qui relèvent du poème pour orchestre, genre dans lequel le compositeur excellait. A l’exception d’Exil pour orchestre à cordes, celles-ci sollicitent un – Poème élégiaque pour violon, Méditation et Sérénade pour violoncelle – ou plusieurs – Amitié pour deux violons – instruments solistes et même – ce qui n’est pas si fréquent – un quatuor à cordes (Harmonies du soir, qui donne son titre à cette parution). Le texte de présentation, remarquable, précise la difficulté de dater avec la plupart des œuvres ici réunies, toutes de belle facture. En revanche, la notice, richement illustrée, ne comporte aucune information sur les musiciens qui, sous la direction inspirée de Jean-Jacques Kantorow, interprètent cette musique avec talent et conviction: Tatiana Samouil, Thibault Lavrenov (premier soliste), Emilie Belaud (premier soliste), Olivier Giot (premier soliste et chef de pupitre) et le Quatuor Ardente, qui réunit Ales Ulrich, Audrey Gallez, Sarah Charlier et Olivier Vanderschaeghe, tous membres de l’orchestre. Précisons que l’OPRL a déjà enregistré le Poème élégiaque il y a quelques années (MEW1742). SF




A propos d’Ysaÿe (2)


         


A propos d’Ysaÿe, le premier disque de Lisa Jacobs (née en 1985), intitulé «Poème», comporte justement le Poème élégiaque, dans sa version avec piano, tandis que celui de Callum Smart (né en 1996) opte pour le Poème de Chausson qui s’inspire de l’œuvre du compositeur belge. En outre, tous les deux ont enregistré la Sonate de Franck que ce dernier a dédiée à Ysaÿe. Difficile de départager ces deux versions qui témoignent d’un excellent niveau technique et de beaucoup de maturité. Dans les deux cas, les violonistes déploient une sonorité séduisante et prennent le temps de développer le propos mais Lisa Jacobs opte pour des tempi un peu plus lents, l’interprétation de la jeune femme s’avérant peut-être un peu plus personnelle. Le programme du disque de la violoniste néerlandaise est plus cohérent que celui de son homologue britannique puisqu’il comporte une autre pièce d’Ysaÿe, Extase, alors que celui du jeune homme retient la Deuxième Sonate de Grieg. Deux belles personnalités musicales, remarquablement accompagnées par Ksenia Kouzmenko (née en 1971) et Gordon Back (Challenge Classics CC 72624 et Orchid Classics ORC100040). SF




Premier Concerto de Beethoven: Fleisher vs Shirinyan


         


Interprétant, à cinquante ans de distance, le Concerto opus 15 de Beethoven, deux pianistes en offrent un éclairage différent. D’un côté, la lumière brillante du toucher toujours en mouvement de Leon Fleisher (né en 1928), débordant de nuances, pas avare en sourires et même aisément enclin à la fantaisie – la joie ravageuse du Rondo, le grain de folie de la cadence de l’Allegro con brio!... le tout sans jamais fléchir sur la tenue des poignets – la dignité presque trop rigoureuse du Largo. Il faut dire que la direction toute en élégance et en souplesse d’André Cluytens fait corps avec le pianiste américain (capté en 1960 avec les forces de la Radio de Cologne). Un piano souverain, qui respire dans le Douzième Concerto de Mozart (en 1957 avec Georg Ludwig Jochum) la même évidence, la même élégance et la même joie – y compris dans la longueur des trilles du Rondeau (ICA Classics ICAC 5121). De l’autre, le Premier Concerto de Marianna Shirinyan (née en 1978) manque de moelleux à force de privilégier le rythme sur la densité, désossant quelque peu ce Beethoven soudainement aplati et assez vide... la faute en revenant aussi à la baguette de Michael Francis (avec le Philharmonique de Copenhague en 2011), qui opte pour des tempos alertes mais asséchants. Les qualités d’articulation de la pianiste arménienne butent sur la timidité de son interprétation. A l’inverse de la passion qu’elle met à jouer, cette fois sous la direction de Rolf Gupta (né en 1967), le rare Concerto en do majeur de Friedrich Kuhlau (1786-1832), qui frappe par ses similarités d’écriture avec celui de Beethoven qu’il prend pour modèle (... à la limite du plagiat) mais qui ne manque pourtant pas d’inventivité et de charme romantique. Un couplage intelligent (Orchid Classics ORC100025). GdH




Un opéra de jeunesse de Franck





Après avoir fermé deux ans et demi pour cause de travaux de rénovation, l’Opéra royal de Wallonie a ouvert de nouveau ses portes au public en septembre 2012 avec une rareté, Stradella de Franck, mis en scène par le cinéaste Jaco Van Dormael (Toto le héros, Le Septième Jour, Mr. Nobody). Un DVD permet de revivre ce spectacle assez original ou, pour ceux qui l’ont manqué, de découvrir cette œuvre de jeunesse (complétée, pour l’orchestration, par Luc Van Hove) pas si inintéressante que cela. La notice est rédigée en anglais et italien: c’est décevant pour un théâtre qui prend la peine d’afficher les sous-titres de ses productions en français, néerlandais et allemand (Dynamic 37692). SF




Actualité de Chostakovitch


         


       


       


         


Beaucoup de parutions récentes sont consacrées en tout ou partie à Chostakovitch mais la quantité n’exclut pas la qualité, car l’ensemble se révèle globalement de bon niveau.
C’est notamment le cas de plusieurs cycles consacrés aux Symphonies. Mark Wigglesworth (né en 1964) achève chez Bis un cycle entamé en 1997: le premier tiers, avec l’Orchestre national de la BBC du Pays de Galles (dont il fut le directeur musical de 1996 à 2000), fut publié entre 1997 et 2001 et les deux tiers restants, avec l’Orchestre philharmonique de la Radio néerlandaise, ont été édités à partir de 2005. Enregistré en 2006, le dernier volume couple l’alpha et l’oméga du corpus symphonique de Chostakovitch, la Première – déjà parue il y a deux ans avec les deux suivantes – et la Quinzième. Seule cette dernière constitue donc une nouvelle publication. A la tête d’une formation motivée mais pas exceptionnelle, le chef anglais grossit le trait, procède par coups de poing, souligne le grotesque plutôt que l’humour, mais reste un peu trop à la surface des choses (SACD BIS-1643). Entamé en 2006, le cycle d’Andrey Boreyko (né en 1957), par ailleurs Generalmusikdirektor à Düsseldorf depuis 2009, avec l’Orchestre radio-symphonique de la SWR de Stuttgart, dont il fut le premier chef invité de 2004 à 2012, ira-t-il à son terme, maintenant qu’il n’exerce plus ces fonctions et bien que Hänssler Classic annonce déjà pour août prochain un quatrième volume consacré à la seule Cinquième? Il serait dommage qu’il n’aille pas plus loin, à en juger par ce troisième volume qui, après les Quatrième, Neuvième et Quinzième, associe la Première et la Sixième. Dans la Première, la comparaison avec Wigglesworth tourne immédiatement à l’avantage du chef russe, bien plus subtil et électrique à la fois, bénéficiant en outre d’un orchestre moins épais et compact, quoique pas non plus toujours irréprochable – mais il s’agit, bien que la notice ne le précise pas, de témoignages de concerts (donnés en 2011). La Sixième se révèle un ton en dessous (CD 93.303). Egalement en public (en 2013) et dans cette même Sixième, Mariss Jansons (né en 1943), Chefdirigent de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise depuis 2003, privilégie la netteté, le détail, la clarté. Une autre Sixième russe en si mineur, celle de Tchaïkovski, complète l’album, succédant aux Quatrième et Cinquième parues en 2007 et 2010. L’orchestre est somptueux de virtuosité et de cohésion, bien sûr, mais cette «Pathétique» de luxe, comme rétive aux effusions, reste trop propre et sage. Le chef letton avait déjà fait mieux dans Tchaïkovski chez Chandos quand il était à Oslo (1979-2002) et, plus récemment, dans Chostakovitch chez EMI à Munich (BR-Klassik 900123). Chez Naxos, l’Orchestre philharmonique royal de Liverpool et Vasily Petrenko (né en 1976), principal conductor depuis 2006, sont désormais près du but: avec la publication des neuvième (8.573188) et dixième (8.573132) volumes, enregistrés en 2013, il ne manque désormais plus que la Treizième pour que cette intégrale, d’un niveau et d’un intérêt constants, parvienne à son terme. La redoutable Quatrième, quoique tenue d’une main de fer, demeure vivante et engagée: le chef russe en donne une vision très personnelle, avec des choix parfois surprenants, comme ce Moderato con moto central un peu lent. Dans une Quatorzième tendue, râpeuse et mordante à souhait, Petrenko pousse les cordes au-delà de leurs limites techniques, mais même si les deux voix tendent à vibrer un peu trop, le chant (en russe) est de qualité, de la part tant de la soprano israélienne Gal James (née en 1977) que de la basse russe Alexander Vinogradov (né en 1976).
On retrouve Petrenko, mais cette fois-ci chez Ondine et à la tête du Philharmonique d’Oslo, dont il est sjefdirigent depuis 2013, ayant succédé à Jukka-Pekka Saraste (et, avant lui, de Jansons). Il accompagne énergiquement Truls Mørk (né en 1961) dans les deux Concertos, qui siéent admirablement au violoncelliste norvégien – il les a d’ailleurs déjà gravés en 1995 avec le Philharmonique de Londres sous la direction de Mariss Jansons (Virgin): avec son archet jamais complaisant ni sentimental, il se situe aux antipodes du dédicataire, l’incontournable Msistlav Rostropovitch, mais cette hauteur de vue met tout particulièrement en valeur le caractère introspectif, voire énigmatique, du Second Concerto (ODE 1218-2). Naxos réédite la version, parue en son temps chez RCA, d’une autre importante partition soliste de Chostakovitch, le Premier Concerto pour violon, sous les doigts de Jaap van Zweden (né en 1960). Alors – depuis l’âge de 19 ans – concertmeester du Concertgebouw, celui-ci n’avait pas encore commencé sa carrière de chef et il joue ici sous la direction de celui auquel il succéda à la tête de l’Orchestre philharmonique de la Radio néerlandaise, Edo de Waart (né en 1941), qui en fut le directeur musical de 1989 à 2004. Rugueux, émouvant et fragile à la fois, le violoniste néerlandais est malheureusement desservi par un accompagnement qui ne s’enflamme que dans le Burlesque final. Le complément – également une prise de concert, cette fois-ci en juin 1995 avec le Concertgebouw dirigé par Zoltán Peskó (né en 1937) – est esthétiquement assez inattendu, puisqu’il s’agit de Gesungene Zeit (1992) de Rihm, œuvre écrite pour Anne-Sophie Mutter. Hormis celui qu’elle en réalisé au moment de la création (Deutsche Grammophon), c’est ici le seul enregistrement de cette Epoque chantée, «musique pour violon et orchestre» de vastes dimensions (25 minutes), où l’instrument soliste évolue à des hauteurs stratosphériques et le discours se raréfie sans perdre en intensité. Van Zweden se montre ici de nouveau à la hauteur des défis techniques et esthétiques de l’œuvre (8.573271).
Enfin, Vladimir Ashkenazy (né en 1937) et le Philharmonique d’Helsinki s’intéressent à des pages moins connues. Ainsi de L’Exécution de Stepan Razine (1964), «poème» pour basse, chœur et orchestre inspiré par le destin d’un cosaque révolté du XVIIe siècle, dont l’effectif vocal et instrumental comme la tonalité vindicative évoquent la Treizième Symphonie «Babi Yar», également sur des textes d’Evgueni Evtouchenko, antérieure de deux ans et pour laquelle il fut sans doute initialement conçu. Grâce à la direction puissante et dynamique du chef islandais ainsi qu’aux excellentes prestations du baryton-basse chinois Shenyang (né en 1984) et du Chœur académique d’Etat «Latvija», on se demande pourquoi ce tableau saisissant, où l’on reconnaît bien l’efficacité dramatique du compositeur de musiques pour le cinéma, demeure dans l’ombre – son précédent enregistrement remonte d’ailleurs à 2000. De film, justement, il est question avec Zoya (1944), histoire tragique d’une combattante de 18 ans, réalisé par Lev Arnshtam (1905-1979) et pour lequel Chostakovitch écrivit trente-cinq numéros, dont vingt ont été conservés. A partir de ce matériau, son ami Levon Atovmyan (1901-1973) a constitué une Suite en cinq parties – la première avec chœur, la troisième consistant en une orchestration d’un des Préludes de l’Opus 34 – de près d’une demi-heure, dont ce n’est que le quatrième enregistrement à ce jour. Il ne faut certes pas attendre dans cette musique les hauteurs de la Huitième Symphonie que Chostakovitch venait d’achever, mais sous les réserves inhérentes au genre et à un scénario de propagande, elle ne trahit ni baisse de qualité, ni faiblesse d’inspiration. L’album se conclut sur la non moins rare Suite sur des thèmes finlandais (1939), contemporaine de la Sixième Symphonie et du Quintette avec piano, mais qui ne fut retrouvée qu’après sa mort, créée en 2001 et immédiatement enregistrée. Elle comprend sept brèves pièces: deux purement instrumentales, les cinq autres joliment chantées, en solo ou en duo, par la soprano Mari Palo (née en 1975) et le ténor Tuomas Katajala (né en 1975). Il y a dans ces arrangements joyeux et naïfs un peu du Canteloube des Chants d’Auvergne mais le moment où la commande fut passée au compositeur, en pleine «guerre d’Hiver» entre les deux pays, jette pour le moins le trouble (Ondine ODE 1225-2). SC




Orchestre d’exception (1): Concertgebouw





L’Orchestre royal du Concertgebouw possède son propre label dont le catalogue s’enfle progressivement. Classique parmi les classiques, le Requiem de Mozart devait bien finir bien par rejoindre la collection un jour. Il s’agit d’un concert de septembre 2011 qui réunit un quatuor de solistes de haut vol (Genia Kühmeier, Bernarda Fink, Mark Padmore, Gerald Finley) qui s’intègrent harmonieusement, sans qu’aucun ne ravisse la vedette à l’autre, dans une conception sobre et sérieuse. Mariss Jansons, qui quittera son poste de chef-dirigent à la fin de la saison prochaine, privilégie une approche fervente mais pondérée, de sorte que cette interprétation, dans laquelle rien ne dépasse, impose une certaine distance émotionnelle. Le choix des tempi, ni trop rapides ni trop lents, n’accuse aucun reproche. L’orchestre et le Chœur de la Radio néerlandaise se montrent tout simplement parfaits. Dommage d’avoir coupé les applaudissements au montage (RCO Live 14002). SF




Orchestre d’exception (2): Radio bavaroise





Autre orchestre d’exception dont Mariss Jansons occupe la fonction de Chefdirigent, celui de la Radio bavaroise, qui est également son propre éditeur. La discographie de la Symphonie alpestre de Strauss s’enrichit tellement que la concurrence devient rude. A peine la version de Daniel Harding, sélectionnée par la rédaction de ConcertoNet, vient-elle de paraître que voici celle de Franz Welser-Möst qui l’a déjà enregistrée chez EMI à la tête de l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler. C’est une réussite: la randonnée en montagne s’effectue à vive allure (46 minutes), mais le chef prend le temps de contempler le paysage pour permettre aux musiciens de reprendre leur souffle. L’interprétation révèle le savoir-faire de l’orchestre, qui conduit admirablement les voix intermédiaires, aère la texture, clarifie la structure. Le couplage avec les Quatre Interludes symphoniques d’«Intermezzo», plus rarement exécutés, accroît l’intérêt de cette publication, encore que ces pièces présentent une importance moindre. Quel dommage, une fois de plus, de supprimer les applaudissements au montage (BR-Klassik 900124)! SF




La Flûte enchantée hier et aujourd’hui


         


Avec son sous-titre d’«opéra allemand», La Flûte enchantée tient une place à part dans le patrimoine des pays germaniques: une réédition et une nouveauté en témoignent de nouveau, le caractère à la fois féerique et énigmatique du livret ayant une nouvelle fois stimulé l’imagination des équipes de ces deux productions.
Au festival du château de Ludwigsburg en 1992, Axel Manthey (1945-1995), par ailleurs metteur en scène de ce spectacle, et Alexander Lintl faisaient contraster les couleurs pétulantes des costumes, façon bande dessinée ou science-fiction, avec la blancheur immaculée du plateau – incliné et de travers, bien sûr, comme c’en était alors la mode, et parfois complété par une toile de fond. Les artifices ne cherchent pas à se dissimuler, tel cet oiseau en carton mû par des filins ou ce bruit de tonnerre produit par une plaque métallique, et la simplicité des moyens s’accorde avec une figuration d’une naïveté délibérée, à l’image des animaux géants ou, dans la scène des épreuves, du feu et de l’eau, tout en rendant justice à la dimension symbolique du propos – la figure du triangle domine. La réalisation de Ruth Kärch suit fidèlement une direction d’acteur tout à fait sage, servie par des chanteurs qui sont d’honnêtes comédiens... mais pas toujours de bons interprètes. C’est particulièrement le cas de la Reine de la nuit d’Andrea Frei (née en 1967), qui, non contente de chanter faux, souffre d’un timbre horripilant et, à un moindre degré, de la Pamina d’Ulrike Sonntag (né en 1959), pas toujours très regardante sur la justesse et la musicalité. Mais il y a heureusement le Tamino stylé et bien chantant du regretté Deon van der Walt (1958-2005), le Sarastro clair de Cornelius Hauptmann (né en 1951), à l’aise sur l’ensemble de la tessiture, et le Papageno de bon aloi de Thomas Mohr (né en 1961). Directeur du festival de 1972 à 2004, Wolfgang Gönnenwein (né en 1933) en mène de façon dynamique et déliée le vaillant orchestre: un vrai mozartien (Arthaus Musik 102 320).
Bien loin du petit théâtre (XVIIIe-XIXe) du palais (XVIIIe) des ducs de Wurtemberg, changement du tout au tout, vingt-et-un ans plus tard au festival de Bregenz, avec la démesure et le kitsch de la Flûte «à grand spectacle» conçue par David Pountney (né en 1947) à la faveur de la fameuse Seebühne, scène posée sur les eaux du lac de Constance et entourée de gradins pouvant accueillir jusqu’à 7000 spectateurs. A la décharge du metteur en scène britannique, un tel contexte n’incite pas à une direction d’acteur fine, ce que révèle l’impeccable précision avec laquelle les caméras de Felix Breisach suivent les protagonistes. Sur le plateau tournant dominé par trois immenses figures d’animaux monstrueux reliées par des passerelles, c’est, dès l’Ouverture, agrémentée de cris, feux d’artifice, feux de Bengale et fumigènes, la lutte entre deux camps, ceux de Sarastro et de la Reine de la nuit, qui s’entredétruiront à la fin du second acte, seuls les deux couples survivant à cet obscur affrontement, Tamino et Pamina vêtus d’arc-en-ciel, Papageno et Papagena ayant en revanche conservé leur costume jaune poussin. Dans une débauche d’acrobates, de figurants, de danseurs et de marionnettes, se mêlent excès à la Savary, bruitages à la Wilson et imagerie entre Spiderman et Le Seigneur des anneaux, le tout se déroulant dans le factice revendiqué – une sorte de monstre du Loch Ness gonflable tient lieu de serpent au début du premier acte – et le baroque extravagant des décors de Johan Engels et des costumes de Marie-Jeanne Lecca, sous les lumières flashy de Fabrice Kebour. Si le spectacle gagne sans doute à être vu in situ, dans la douceur d’une soirée estivale, et non sur écran, cela n’ôte rien à une globale déception pour ce qui est de la musique, victime, au demeurant, d’assez importantes coupures au tournant des deux actes. Les déconvenues sont nombreuses, à commencer par la médiocrité du Symphonique de Vienne sous la baguette sans grâce et aux intentions parfois même franchement déplaisantes de Patrick Summers (né en 1963), par ailleurs directeur musical de l’Opéra de Houston depuis 1998. Peut-être l’inadéquation stylistique de la plupart des chanteurs s’explique-t-elle pour partie par les contraintes du lieu; toujours est-il que Norman Reinhardt (né en 1978) est un Tamino bien engorgé et tendu, Alfred Reiter un Sarastro bien court et Ana Durlovski (née en 1978) une Reine de la nuit bien imprécise malgré ses facilités dans l’aigu. La Pamina de Bernarda Bobro s’en tire en revanche avec les honneurs et Daniel Schmutzhard (né en 1982), même si on l’a déjà entendu en meilleure forme dans ce même rôle, confirme qu’il est l’un des meilleurs Papageno de la nouvelle génération (C Major DVD 713708 ou Blu-ray 713804). SC




Sur les traces d’Ansermet





Avec son principal chef invité, Kazuki Yamada, l’Orchestre de la Suisse romande entreprend d’enregistrer sur trois ans trois disques «inspirés de la musique de danse». La formation helvétique aurait pu avoir enregistré le programme du premier volume avec Ansermet: Suites de «L’Arlésienne» de Bizet, Masques et Bergamasques de Fauré et la musique de ballet de Faust de Gounod. L’album suscite une impression mitigée. L’orchestre affiche un niveau de précision, de cohésion, de transparence remarquable mais l’interprétation, trop précautionneuse, parait terne et pesante. Certaines pièces, en particulier dans L’Arlésienne, s’avèrent inégales, d’abord vives et élancées, par exemple, puis mollassonnes et éteintes (SACD PentaTone Classics PTC 5186358). SF




Gardiner et Stravinski: le baroqueux et le néoclassique





Comme la plupart des chefs qui ont contribué au renouveau du baroque depuis un demi-siècle, John Eliot Gardiner ne se cantonne pas au répertoire ancien et aime également à diriger le répertoire romantique et moderne. Dans le cas de Stravinski, les affinités paraissent prometteuses sur le papier, notamment avec la période «néoclassique»: après The Rake’s Progress puis la Symphonie de psaumes il y a une dizaine d’années (Deutsche Grammophon), le chef anglais revient, toujours avec l’Orchestre symphonique de Londres mais cette fois-ci chez LSO Live, avec deux œuvres emblématiques du retour du compositeur russe au classicisme. Malheureusement, si son Chœur Monteverdi et les musiciens livrent une prestation de grande qualité et si sa baguette tranche et éclaircit à souhait, Œdipus Rex est très lourdement plombé par une distribution vocale médiocre et par la récitante, Fanny Ardant, harengère hystérique et graillonnante, donnant le ton d’une approche qui, dans cet «opéra-oratorio», privilégie résolument les excès du premier sur le formalisme du second – et dire que Charlotte Rampling avait initialement été annoncée... Dans son excellente et concise notice (en anglais, français et allemand), Stephen Walsh rappelle pourtant fort opportunément que le temps était à dénoncer «des notions conventionnelles et romantiques telles que l’interprétation et un espressivo éloquent». Egalement enregistré en concert au printemps 2013, au lendemain de la représentation parisienne du même programme, le fade ballet Apollon musagète souffre moins de ces travers stylistiques et permet à l’album d’atteindre un minutage très généreux (SACD LSO0751). SC




Duos de pianistes (1): Daisuke & Yoko Miyazaki





Encore un disque propre sur lui qui ne laisse guère de souvenirs. Daisuke et Yoko Miyazaki, qui viennent de terminer leurs études à la Musikhochschule de Stuttgart, ont enregistré leur deuxième album en duo, «Beethoven et Schubert à la puissance deux»: des œuvres de Beethoven (Sonate pour piano à quatre mains opus 6, Vingtième Sonate pour piano, Menuets WoO 10) et de Schubert (Ländler. D 370 et D. 374), pour la plupart d’entre elles arrangées pour quatre mains ou deux pianos par un certain Gunter Maier, auteur de la notice en allemand et anglais. Le disque ne dure que 46 minutes: il y avait de la place pour ajouter ne serait-ce que la Dix-neuvième Sonate mais le programme comporte tout de même un bouquet de valses de Schubert arrangées, cette fois, par Prokofiev (Animato ACD6145). SF




Duos de pianistes (2): Guillaume Bellom & Ismaël Margain





Voici un autre duo, celui formé par Guillaume Bellom et Ismaël Margain, nés tous les deux en 1992 et élèves au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de Nicholas Angelich. Un an après avoir consacré leur premier disque à Schubert (AP056), les deux pianistes en résidence à la Fondation Singer-Polignac enregistrent des œuvres à quatre mains de Mozart (Andante et variations K. 501, Sonate K. 521 et Sonate K. 497): un disque bien réalisé et d’un goût sûr qui éprouvera cependant des difficultés à s’imposer au sein de l’immense discographie mozartienne. L’interprétation présente d’incontestables qualités: jeu franc et alerte, tempi pertinents, dynamique intelligemment gérée. Il serait intéressant d’entendre Guillaume Bellom et Ismaël Margain séparément (Aparté AP078). SF




Un Mozart terre à terre





Le nouveau disque d’Arabella Steinbacher ne s’impose vraiment pas. La violoniste allemande le consacre aux Troisième, Quatrième et Cinquième Concertos de Mozart qu’elle interprète avec le Festival Strings Lucerne dirigé par Daniel Dodds – contrairement à ce que suggère son nom, cet orchestre de chambre compte parmi ses rangs des instruments à vent, du moins dans cet enregistrement. Les musiciens livrent de ces pages, très – trop? – souvent enregistrées, une interprétation prosaïque, peu stimulante, presque toujours trop lente. En outre, le jeu de la violoniste manque d’invention dans l’exécution des traits et des échanges. Malgré les réserves que l’album inspire, Arabella Steinbacher reste une violoniste qui compte (SACD PentaTone Classics PTC 5186479). SF



La rédaction de ConcertoNet

 

 

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