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Entretien avec la pianiste HJ Lim
09/15/2012


La pianiste coréenne HJ Lim répond aux questions de ConcertoNet à l’occasion de la parution chez EMI de son enregistrement de l’intégrale des Sonates de Beethoven (voir par ailleurs ici) et de ses prochains concerts les 21 et 22 octobre aux Bouffes du Nord (dans le cadre de «Maestro and Friends» avec Byron Janis)



HJ Lim (© Simon Fowler)


Alors que les intégrales des Sonates de Beethoven se construisent en général patiemment au disque – au fil de parutions espacées dans le temps –, votre éditeur publie d’emblée les huit disques que vous avez enregistrés en juillet et août 2011 en Suisse. Qu’est-ce qui explique un tel choix?
Avant d’aborder ce cycle en enregistrement, il me semblait important de vivre l’intégrale en concerts live, de créer une interaction avec le public. Les Sonates sont reliées entre elles, elles retracent l’une des vies les plus extraordinaires. Il me semblait important de jouer l’intégrale en huit jours, comme si ces huit jours devenaient une petite vie en soi, représentant le condensé, l’essence même de la vie du génie. On s’aventure dans la vie de Beethoven; le public découvre sonate après sonate une nouvelle facette de l’artiste. L’artiste évolue jour après jour en compagnie du public, c’est une expérience qui peut presque devenir spirituelle.
Quand j’ai conçu ce projet et organisé en huit thèmes ses sonates, représentant ainsi les différents aspects de Beethoven et la connexion entre sa vie et sa musique, cela m’avait semblé si idéaliste que je n’osais franchir le pas.
Finalement, j’arrivais à peine à croire qu’au dernier et huitième jour de mon cycle Beethoven, le public et moi, on avait tenu le pari. Les mêmes personnes revenaient chaque jour, nous conversions et devenions amis. Car c’était un vrai pari je l’avoue de vouloir vivre une telle expérience musicale. Cela a été si riche, si intense que lorsque j’ai eu 29 jours pour réaliser ce cycle en enregistrement, cela m’a semblé plus léger, plus paisible par rapport à mon cycle parisien.
A contrario, il me semblait étrange de n’enregistrer que quelques sonates ou bien de les apprendre au fur à mesure des enregistrements. Etudier une sonate c’est une chose, mais c’en est une autre de l’étudier en connaissant les vingt-neuf autres. C’est totalement différent. L’étude de chaque sonate nourrit celle des autres. Tout comme étudier le répertoire symphonique est essentiel à la compréhension des Sonates pour piano.


Cette parution est agrémentée de très longs textes (de votre main) et organisée autour de huit thématiques distinctes. Pourquoi?
Je ne pouvais imaginer aborder ce cycle qui englobe toute la vie du compositeur, sans l’étudier, l’analyser ou essayer de comprendre ces différentes facettes d’être humain et d’artiste qui vivait pendant l’une des époques les plus intéressantes et agitées de l’histoire. Il était important pour moi d’éclaircir tous ces aspects et de partager mon regard d’interprète avec mon public. Car je suis convaincue qu’en me lançant dans cette aventure, ce n’était pas seulement pour bien jouer du piano et correctement interpréter, mais c’était un vrai risque que je prenais, non parce que c’est difficile à jouer, mais parce que j’allais devoir accueillir un géant, et je savais qu’il allait bouleverser mes pensées, mes certitudes et mes traditions.


Le choix d’un piano Yamaha est-il spécifique à cette intégrale beethovénienne ou est-ce plus généralement votre instrument de prédilection?
Il me semble qu’un instrument reste un instrument, et que l’essentiel reste la musique et le message qu’on fait passer; l’instrument n’en est qu’un moyen. Alors, quand il me permet de transmettre mon message, il devient un vrai ami. Sur ce point-là, Yamaha a été un fidèle ami. C’est aussi une histoire d’amitié; Yamaha, plus qu’une marque de fabrique, m’a toujours témoigné beaucoup d’affection et m’a soutenu durant mon premier cycle Beethoven à Paris, ils étaient-là depuis la naissance de ce projet et un vrai soutien.



HJ Lim (© Simon Fowler)


A l’écoute de votre intégrale, on est frappé par une constante: la liberté et la fraîcheur rythmiques. L’Opus 31 est ainsi parsemé de traits d’humour ou d’ironie, qui ne peuvent pas laisser indifférents... Certains de vos tempos ne manquent pas de dérouter aussi, comme dans l’Adagio sostenuto de la «Clair de lune» – étonnamment fluide. Comment avez-vous procédé pour arrêter vos choix de rythmique beethovénienne ? Vous citez notamment Alfred Cortot dans la notice du coffret...
Je suis folle d’amour pour Alfred Cortot en effet. Il était un musicien si complet et un magicien, amant du piano.
Concernant l’Adagio sostenuto de la «Clair de lune», il me semble que Beethoven n’a pas écrit que cela ne devait pas être fluide. En tout cas, il voulait que l’on se sente à l’aise, puisque «adagio», en italien, veut dire «à l’aise». Quand nous observons ses adagios dans les Symphonies avec ses propres indications de métronome, ou bien les adagios dans les opéras de Haendel, le grand maître que Beethoven vénérait, alors on peut saisir leur conception du temps musical et du tempo, laquelle affecte et influence tellement les phrasés et respirations ainsi que la structure des sections et l’architecture de l’œuvre.


Vous ne les aimez vraiment pas… les deux petites partitions de l’Opus 49, certes marginalisées par Beethoven lui-même, mais si communément admises au sein du corpus des Sonates qu’on est logiquement en droit de regretter leur absence?
Admises oui, par les éditeurs, et non par Beethoven lui-même, la tradition de dire que l’intégrales des sonates en compte trente-deux vient des éditeurs et non du compositeur lui-même. Il a bien précisé que sa sonate number one, c’est bien la sonate en fa mineur et non des sonatines qu’il composa pour ses élèves, des années avant cette sonate qu’il a reconnue comme son Opus 2. Les éditeurs ont numéroté ces deux sonatines comme Opus 49, cela ne suit bien sûr pas la chronologie, elles sont comme deux ovnis dans le grand cycle. Pourtant je les adore! Je les ai souvent jouées quand j’étais enfant. Je ne pense pas qu’il y ait une grande et profonde philosophie dans ces sonatines, sauf s’il nous plaît de jouer celle en sol mineur avec des yeux abattus et larmoyants. Mon but n’était pas de jouer absolument tout comme un challenge ou un défi à relever, mais plutôt de raconter vraiment une histoire en jouant ce cycle, chaque sonate fait passer un message très important et intense de Beethoven, et je ne pouvais inclure ces deux petites sonates dans ce grand cycle.


On peut imaginer qu’en gravant ces Sonates à vingt-quatre ans, vous soyez amenée à remettre l’ouvrage sur le métier dans les (nombreuses) années qui s’ouvrent certainement à vous en tant que pianiste. Quelles sont les sonates pour lesquelles vous sentez que l’exploration peut le plus se poursuivre, que d’autres chemins peuvent être empruntés pour en approfondir l’interprétation?
Je ferai de mon mieux et j’aimerai renouveler l’expérience tous les dix ans, mais je ne pourrai garantir que cela sera mieux! La vie est si mystérieuse, serai-je même de ce monde dans cinq ans? L’important, je crois, est de sentir l’urgence du besoin, et l’impossibilité de vivre sans réaliser ce qu’on aime; c’est pour moi la définition d’être prêt. Et puis, si je suis assez chanceuse pour vivre une longue vie, il sera toujours temps de proposer ce même cycle à 80 ans et j’espère beaucoup que cette flamme ne s’éteindra pas avec l’âge mais sera même enrichie! Surtout pour jouer ces premières sonates pleines de fraîcheur, de force vitale et de jeunesse! Si j’arrive à les jouer avec cet esprit espiègle, juvénile et rebelle du jeune Beethoven à 60, voire 70 ans, malgré toute la sagesse de la vie dans mes rides et cheveux blancs et le sentiment probable du «tout vu et tout entendu» alors là oui, je dirai vraiment chapeau! Beaucoup de génies ont composé, regardé et peint le monde avec une âme d’enfant, et il me semble que parfois, ce qui est le plus difficile, ce n’est pas de jouer avec maturité mais de retrouver l’innocence et les premières joies de la découverte, recréer la chaleur de l’œuvre «sortie du four». A écouter Schnabel jouer les premières sonates de Beethoven avec ses cheveux blancs, je sens qu’il retrouve toute la spontanéité et la fraîcheur imprimées dans les notes. Pour moi cela fait partie de la définition de la maturité. Alors quand je le sentirai, je renouvellerai. Non par devoir, mais parce que je ne pourrai vivre autrement tout comme lorsque j’ai enregistré ce cycle Beethoven présent.


Une fois gravi cet Himalaya beethovénien, vers quels horizons portent vos projets discographiques?
En avril dernier, j’ai enregistré mon prochain album consacré à Scriabine et Ravel. Je dois avouer que cela m’a fait un bien fou d’aller vers d’autres horizons même si je ressentais une certaine culpabilité vis-à-vis de Beethoven, mais je sais qu’il m’excusera, car c’est aussi pour mieux revenir vers sa musique!


Le site de HJ Lim


[Propos recueillis par Gilles d’Heyres]

 

 

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