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04/22/2011
«Pelléas et Mélisande», le chant des aveugles
La Mort de Pelléas, un opéra en répétition (*)
François Le Roux, mon «Pelléas»

Philippe Béziat, Olivier Horn (*) (réalisation)
Réalisé en 1990 (*) et 2009 – 185’20
Pelléas (distribué par Naïve) – Format 16:9 compatible 4:3 – Dolby SRD – Sous-titres en anglais





Amoureux de l’opéra de Debussy, Philippe Martin lui a donné le nom de sa maison de production, «Les films Pelléas»: c’est donc tout naturellement qu’il publie «Pelléas et Mélisande», le chant des aveugles, tourné par Philippe Béziat en juin 2007 au Théâtre musical Stanislawski & Nemirovitch-Dantchenko Moscou, à l’occasion de la création en Russie, en version scénique et en français, du «drame lyrique» tiré de la pièce de Maeterlinck. Un énième documentaire sur les coulisses d’une production? A juste titre, le réalisateur préfère parler de «film musical», mettant en avant un travail de mise en scène et de montage, et revendiquant la volonté d’établir des «correspondances» et «mises en résonance» entre les «choses de la vraie vie, du monde des artistes et de la musique».


Avec les aperçus traditionnels des répétitions, avec ou sans l’orchestre, du maquillage et de l’activité des machinistes, le film offre certes le traditionnel témoignage sur les ultimes préparatifs d’un spectacle. Tout aussi prévisibles sont les courts entretiens avec le metteur en scène (Olivier Py), le chef d’orchestre (Marc Minkowski), les titulaires des trois rôles principaux – Jean-Sébastien Bou (Pelléas), Sophie Marin-Degor (Mélisande) et François Le Roux (Golaud) – et des musiciens de l’orchestre. C’est d’ailleurs dans les propos de Py qu’on trouvera l’explication du titre du film («le centre de cette œuvre, c’est l’aveugle, celui qui ne sait pas et qui ne saura jamais»), même s’il préfère que demeure une «énigme» dont il ne veut pas imposer de solution univoque au public – ce que ne fait pas non plus le symbolisme glacial du décor, grands tréteaux métalliques mobiles et rotatifs, d’un noir intense à la Soulages. Quant à Minkowski, il s’est fait une spécialité des Pelléas hors norme: après l’avoir dirigé à Leipzig – c’était également une «première» dans cette ville – il en a célébré le centenaire en 2002 à l’Opéra Comique, déjà avec Bou et Le Roux.


Mais le film présente une originalité bien plus grande, car il ne dissimule pas les difficultés spécifiques posées par le texte et par la musique. Py parle lui-même d’une «œuvre suspecte» en raison de sa langue, elle-même «suspecte» à l’opéra en raison de sa «monotonie». Et les aléas de l’adaptation des chanteurs russes aux exigences de la prosodie debussyste sont bien mis en lumière, qu’il s’agisse des efforts de diction de Geneviève ou, davantage encore, de l’impossible révolution culturelle consistant pour Arkel à renoncer à séduire le public avec les ficelles habituelles de l’opéra italien pour se contenter d’un style beaucoup plus intériorisé. Les musiciens réagissent quant à eux avec une émotion visible, à l’image du premier alto solo décrivant une sensation d’envoûtement ou de cette violoniste du rang qui raconte comment cette «découverte» de l’œuvre lui rappelle celle des impressionnistes exposés dans les années 1960 à Moscou.


Pas de commentaire autre que celui des intervenants successifs, en français, en anglais ou même en italien: la musique ne perd jamais ses droits, à peu près dans l’ordre du déroulement de l’opéra, souvent sans solution de continuité entre les répétitions et le spectacle, parfois grâce à de longs fragments, comme la première scène du premier acte. Intertitres extraits du livret à l’appui, elle accompagne presque sans cesse la double rencontre qui fait toute la spécificité en même temps que toute la poésie de ce film: celle de Pelléas avec Moscou, celle de Moscou avec Pelléas. Entre bulbes orthodoxes et béton brejnévien, la caméra se promène dans la capitale postsoviétique, baignant dans un climat quasi estival: au gré de ses déplacements, la ville se mêle à l’opéra, par exemple au travers des vues de l’immeuble et de l’appartement où réside le chanteur qui incarne Arkel.


Après ce film de plus d’une heure trois quarts, les deux «bonus» sont généreux. Le premier, de près d’une heure, s’intitule La Mort de Pelléas. Il vient d’autant plus en écho au Chant des aveugles qu’on y remarque au générique la présence chef opérateur Raphaël O’Byrne, qui était alors «assistant images» de ce documentaire d’Olivier Horn, tourné à l’occasion d’une autre «création» de l’opéra, sa première latino-américaine, à Caracas en octobre 1988. Le lien se fait en outre au travers de Manuel Rosenthal (1904-2003), qui venait d’en diriger la première à... Moscou, en simple version de concert. Cette initiative vénézuélienne est d’ailleurs elle aussi privée de son aspect théâtral et visuel: le film ne peut donc que laisser voir de longues séquences tirées de la répétition générale, presque jamais interrompue, avec Malcolm Walker, Colette Alliot-Lugaz et Philippe Rouillon dans les trois rôles principaux et l’Orchestre des jeunes Simon Bolivar, bien avant que Dudamel ne lui confère une célébrité mondiale.


Pour ce qui est de la narration de l’action, le chef français, assis dans un fauteuil posé au pied d’un arbre, tente d’y pourvoir, sans chercher midi à quatorze heures mais sans négliger pour autant l’imparfait du subjonctif, expliquant au passage qu’il est anormal d’entendre de vastes interludes symphoniques («de six à huit minutes») au milieu d’un ouvrage lyrique – tant pis pour Wagner. De conception plus traditionnelle et rudimentaire, d’une qualité d’image faisant penser à du Super 8 et se concluant sur quelques illustrations de la création de l’œuvre, le film est donc essentiellement centré sur Rosenthal, alors âgé de quatre-vingt-quatre ans: foin des «énigmes» non résolues d’Olivier Py, et avec un montage qui ne suit pas pleinement l’ordre des cinq actes, sa conception du livret se veut fidèle au «fait divers» que Maeterlinck disait vouloir illustrer: pas de personnages éthérés, mais un «drame de la jalousie».


Enfin, François Le Roux, mon «Pelléas» forme une sorte d’apostille au Chant des aveugles, accordant au baryton français – dont l’orthographe du nom souffre d’une curieuse hésitation tant dans le film que dans la notice du DVD (Le Roux ou «Leroux») – la possibilité de développer et de préciser son approche d’un opéra qu’il connaît à la perfection, pour avoir successivement été Pelléas – figure de l’«adolescence aboutie» – puis Golaud – personnage qui ne dispose d’«aucune issue». Entrecoupé d’extraits du spectacle moscovite et de photos des productions auxquelles il a participées depuis 1985 sur toutes les scènes de la planète, l’entretien explore cette fréquentation d’une rare intimité, entamée encore bien plus tôt, puisque ce fut le premier spectacle lyrique auquel il assista, au début des années 1970 (dans les décors de la création!), pour d’ailleurs en retirer alors une impression très négative. Le Roux explique notamment qu’il voit en Debussy, comme en Mozart, un «compositeur de l’humain, et non du héros», et que Pelléas n’est pas un opéra «dont on fait relativement vite le tour [...] comme La Bohème, Le Barbier de Séville, La Traviata ou Tosca». Vingt-deux ans après ses débuts scéniques, il dit ressentir toujours aussi fortement la tension inhérente au caractère de Golaud, qui constitue encore pour lui une «recherche personnelle de ce que je suis, malgré la psychothérapie que je continue».


La présentation d’ensemble est soignée, en particulier dans une très riche notice comprenant entre autres des textes du compositeur de Denis Herlin («Genèse et création de Pelléas et Mélisande») ainsi que des entretiens (traduits en anglais) avec le réalisateur, le metteur en scène et le directeur musical.


Le site des «Films Pelléas»
Le site de François Le Roux


Simon Corley

 

 

 

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