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07/17/2009
Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen

Das Rheingold (¤)
Wolfgang Probst (Wotan), Motti Kastón (Donner), Bernhard Schneider (Froh), Robert Künzli (Loge), Esa Ruuttunen (Alberich), Eberhard Francesco Lorenz (Mime), Roland Bracht (Fasolt), Phillip Ens (Fafner), Michaela Schuster (Fricka), Helga Rós Indridadóttir (Freia), Mette Ejsing (Erda), Catriona Smith (Woglinde), Maria Theresa Ullrich (Wellgunde), Margarete Joswig (Flosshilde)
Die Walküre (*)
Robert Gambill (Siegmund), Attila Jun (Hunding), Jan-Hendrik Rootering (Wotan), Angela Denoke (Sieglinde), Renate Behle (Brünnhilde), Tichina Vaughn (Fricka), Eva-Maria Westbroek (Gerhilde), Wiebke Göetjes (Ortlinde), Stella Kleindienst (Waltraute), Helene Ranada (Schwertleite), Magdalena Schäfer (Helmwige), Nidia Palacios (Siegrune), Maria Theresa Ullrich (Grimgerde), Margit Diefenthal (Rossweisse)
Siegfried (§)
Jon Fredric West (Siegfried), Heinz Göhrig (Mime), Wolfgang Schöne (Der Wanderer), Björn Waag (Alberich), Attila Jun (Fafner), Helene Ranada (Erda), Lisa Gasteen (Brünnhilde), Gabriela Herrera (Der Waldvogel)
Götterdämmerung (#)
Albert Bonnema (Siegfried), Hernan Iturralde (Gunther), Franz-Josef Kapellmann (Alberich), Roland Bracht (Hagen), Luana DeVol (Brünnhilde), Eva-Maria Westbroek (Gutrune), Tichina Vaugh (Waltraute), Janet Collins (Première Norne, Flosshilde), Lani Poulson (Deuxième Norne), Sue Patchell (Troisième Norne), Helga Rós Indridadóttir (Woglinde), Sarah Castle (Wellgunde)
Staatsopernchor Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart, Lothar Zagrosek (direction)
Joachim Schlömer (¤), Christoph Nel (*), Jossi Wieler et Sergio Morabito (§), Peter Konwitschny (#) (mise en scène), Jens Kilian (¤), Karl Kneidl (*), Anna Viebrock (§), Bert Neumann (#) (décors et costumes), Hans Hulscher (§ #), János Darvas et Thorsten Fricke (¤ (*) (réalisation)
Enregistré en public au Staatsoper de Stuttgart (28 et 29 septembre 2002 (*), 1er (§) et 3 (#) octobre, 29 décembre 2002 et 2 (*), 5 (§) et 12 (#) janvier 2003) – 901’
Coffret de 7 DVD Medici Arts 2057368 (4 albums disponibles séparément EuroArts 2052068, 2052078, 2052088, 2052098) – Son PCM stereo/Dolby Digital 5.1 – Format 16/9 – Region code 0 (worldwide) – Notices de présentation en français, anglais et allemand – Sous-titrage en français, anglais, allemand, italien et espagnol






Produire un Ring avec quatre metteurs en scène différents ; réunir une équipe de chanteurs pas toujours familiers de Wagner ; mobiliser un orchestre peu aguerri à la partition tétralogique ; rendre disponible le tout en DVD et à prix doux : par bien des aspects, la présente entreprise relève de l’exploit. Mais de cet exploit, on en perçoit surtout les limites : hétéroclisme des équipes vocales, incohérences parfois rédhibitoires d’une mise en scène à l’autre, absence de fil conducteur. Partant, l’élément de cohérence aurait dû résider dans l’orchestre : la direction musicale de Lothar Zagrosek étant peut-être le motif de déception le plus intense, on rendra compte successivement de chacun de ces quatre opéras, qu’il est d’ailleurs possible d’acquérir séparément.






Meilleur moment de ce coffret, L’Or du Rhin est osé, par le metteur en scène Joachim Schlömer, dans un décor unique. Ce décor, imaginé par Jens Kilian, réussit à créer une envoûtante intimité façon Strinberg : une «tragédie du quotidien», comme le suggère Jürgen Otten dans la notice, qui privilégie une lecture socio-historique de l’ouvrage (contrats et magouilles, propriété et vol, grand capital et exploitation). Les illusions du théâtre wagnérien sont détournées vers d’autres significations symboliques. Ainsi le heaume devient-il un miroir derrière lequel il suffit de se cacher pour ne pas être vu («métaphore ouverte de l’illusion du commerce» nous apprend la notice), les bruits de la forge étant produits par un disque d’or tournant sur une vieille machine (… du Wagner, comme l’indique la pochette).


Le rideau se lève sur la cour intérieure couverte d’une sorte de sanatorium : les protagonistes du drame se tiennent immobiles face au public, s’animent peu à peu, effectuent des gestes anodins (une fille du Rhin se mouche, Alberich retire ses chaussures, un Dieu se recoiffe, un géant prend l’ascenseur…) et quittent la scène. Ce lieu sera le théâtre d’un huis clos paranoïaque dans lequel portes et fenêtres resteront closes jusqu’à l’arrivée spectaculaire d’Erda, venue annoncer la fin du monde. Folie du monde ? Les cris des nains dans la forge sont remplacés par le seul cri d’un Alberich à mi-chemin entre le clochard et le fou : au bord de la démence. L’apparition du dragon n’est rien d’autre que le jeu d’ombre produit par Alberich agitant un animal en peluche, auquel il arrache la tête et dont il se recouvre du sang : démesure du fou.


Cette mise en scène imprime bon nombre d’images fortes aux échos contemporains : celle des grandes catastrophes est la plus marquante. Ainsi du vol de l’or du Rhin, réduit à un filet de pêche rempli de babioles dorées retirées de la fontaine : après le drame que constitue ce vol, les Dieux offrent des couvertures aux filles du Rhin qui sont sorties de la scène telles les victimes d’un attentat. Ainsi également de la prise en otage de Freia : ce sont les filles du Rhin qui remettent cette fois-ci aux Dieux affaiblis les couvertures d’urgence (… avec une pomme !). Ainsi enfin des retrouvailles finales des Dieux, à la libération de l’otage : le clan ressoudé peut alors organiser son évasion vers le Walhalla. Sans contredire le livret ni en révolutionner l’interprétation, cette mise en scène se contente de suggérer des pistes de lecture : modestie qui fera défaut aux trois volets suivants.


Conduit par un Lothar Zagrosek à la baguette trop appliquée et parfois laborieuse (scène de la forge), l’orchestre de l’Opéra de Stuttgart offre quant à lui une lecture terre-à-terre qui manque singulièrement de nuances et révèle des défaillances ponctuelles dans l’homogénéité des cordes. La distribution vocale est de meilleure tenue, présentant des voix honorables (seul le Froh de Bernhard Schneider est indigne) mais parfois entachées d’un vibrato trop large (les filles du Rhin, le Wotan de Wolfgang Probst surtout). Si Robert Künzli (Loge) et Phillip Ens (Fafner) retiennent franchement l’oreille, tous les chanteurs font montre de qualités d’acteurs assez remarquables (exceptionnel Esa Ruuttunen en Alberich) et intelligemment mises en valeur par la caméra de János Darvas et Thorsten Fricke.






Sur le papier, la distribution de La Walkyrie parait plus prestigieuse que celle du Prologue. Les jumeaux se lovent, en effet, dans les voix débordantes de passion d’Angela Denoke et Robert Gambill, tous deux pleinement investis dans leur personnage mais à l’intonation parfois trop basse. Lui : Siegmund au timbre un peu clair, mais prenant soin de chanter toutes les notes d’un rôle dont il possède la tessiture et la maîtrise (même s’il force souvent… pas vraiment aidé par la lourdeur de la battue). Elle : Sieglinde prenant des risques avec sa voix mûre et riche, plus à la peine dans le dernier acte qu’auprès de son amant, sachant s’abandonner aux limites de sa technique vocale.


L’autre couple souffre cruellement de la comparaison : il est vrai qu’on a entendu le Wotan de Jan-Hendrik Rootering en bien meilleure forme. Une voix pâteuse, un vibrato trop large, une sorte de paresse dans les attaques disqualifient l’interprète auquel restent pourtant quelques beaux moments (à l’acte II surtout, par la maîtrise du texte). En revanche, la Brünnhilde de Renate Behle hennit plus qu’elle ne projette ses aigus : ses «Hojotoho!» sont si laborieux qu’ils en deviennent pathétiques. Les notes sont certes chantées avec détermination et courage ; mais la cantatrice fait face à un rôle qui la dépasse. On mentionnera brièvement le Hunding d’Attila Jun, dont la voix large est comme plombée par un cheveu sur la langue, et la Fricka de Tichina Vaughn, au timbre anonyme et qui sature assez vite dans tous les registres de la voix.


Mais si cette Walkyrie est si contestable, c’est surtout en raison de la vision scénique qu’impose Christoph Nel, le metteur en scène. Si le premier acte parvient à intéresser (par une direction d’acteurs intelligente et une scénographie cohérente), les deux suivants frôlent le naufrage intégral. L’acte I ose une lente montée en puissance érotique où les protagonistes se touchent, se lèchent, se mettent à terre, rampent l’un vers l’autre. Les ressorts passionnels jouent pleinement leur rôle : l’eau, le regard, l’attirance physique, la peur, l’amour. Par contraste avec un Hunding qui marque son territoire sur la femme qu’il commande et qu’il violente, la mise en scène exalte la fragilité de Siegmund qui ne fait que renforcer l’amour de celle qui cherche à fuir la violence du quotidien, bouleversée par le discours de son frère comme si elle redécouvrait enfin l’humanité. Les clefs du drame sont efficacement livrées et l’on oublie vite le survêt’ de sport bleu ciel, noué autour de la taille de Siegmund, randonneur en bermuda dont le ventre bedonnant dépasse du débardeur noir.


L’acte II n’est pas loin du ratage total tant il manque de fil directeur, le vide du plateau étant à l’image de celui de la mise en scène : brouillonne et sans cohérence. Assis sur un matelas de bain pneumatique, Wotan, vêtu d’une espèce de pyjama militaire, regarde sa fille disposer des copies de statues grecques sur le sol dans une sorte de no man’s land (décor unique dans lequel des techniciens viennent de temps à autre ramasser quelques objets). On s’ennuie ferme dans cette quête de la banalité et du laid, où les ficelles sont tellement grosses qu’elles étouffent l’esprit : ainsi, à la fin de l’acte, des marionnettes géantes aux bras mécanisés miment un duel, au fond de la scène, alors que les protagonistes récitent leur texte derrière un pupitre avec une espèce de mégaphone… avant que Siegmund ne se laisse tranquillement assassiner dans les bras de Wotan, qui a enfilé le smoking pour l’occasion. Puis, au début du troisième acte, les walkyries défilent en donzelles déguisées en volatiles parés de fausses ailes aux bras, afin de rappeler que ce sont des «créatures mythiques» comme nous l’explique Christine Lemke-Matwey dans la notice… et, en même temps, «elles jacassent et ricanent comme de vraies filles d’aujourd’hui».


Ne restent de cette mise en scène que quelques images (comme cette figuration du glaive de Siegmund dans le frêne : projection lumineuse sur le mur et la poitrine de Sieglinde). C’est vraiment peu… d’autant que, comme lors du volet précédent, la direction orchestrale ne parvient jamais à intéresser, la notice allant même jusqu’à expliquer que «Zagrosek prend soin d’éviter tout au long de la partition une lecture trop suave» : à ce point asséchée, la lecture manque singulièrement d’intérêt, le prélude du premier acte donnant d’emblée le ton par la lourdeur du tempo, le manque de mordant et la grossièreté des accents.






Comme le révèle la notice, Siegfried est une pièce comique. Partant d’un tel postulat, on peut aisément imaginer l’agacement ressenti face à une mise en scène qui bat en brèche les didascalies wagnériennes : corvée de patates pour Mime qui s’active dans la cuisine d’un appart’ minable (un air de Deschiens ?) ; ridicule consommé de Siegfried, ado sale et obèse qui roule lui-même ses clopes, qui entre en scène avec une peau d’ours recouvrant son tee-shirt marqué « Sieg Fried », qui retrouve les réflexes de l’amant des vaudevilles pour se réfugier dans le placard au moment du réveil de Brünnhilde, vierge coquine et excitée se donnant à lui avec un naturel déconcertant… l’opéra se refermant sur le quotidien d’un couple qui se chamaille en refaisant son lit ! Evidemment, pour cet anti-héros, la mise en scène accentue le contraste entre Brünnhilde et la laideur du monde qui l’entoure, lorsqu’il pénètre, débraillé et balourd, dans l’immense chambre bourgeoise où il prend conscience de sa différence en même temps qu’il découvre la pureté, l’amour et finalement lui-même. Gerhard Koch, dans la notice, évoque l’astronaute de 2001: l’Odyssée de l’espace qui, «égaré dans l’Espace et le Temps, se retrouve dans un boudoir rococo». Alors… Siegfried : Parsifal de l’espace ou geek perdu dans un environnement culturel trop subtil pour lui ?


Au-delà de l’ironie ou de l’irritation, on peut souligner certaines qualités de la mise en scène de Jossi Wieler et Sergio Morabito, par ailleurs très respectueuse des leitmotivs (belle intelligence du lien «musique–action»), ainsi que la pertinence psychologique de cette relecture qui abandonne tout arrière-plan mythologique. C’est notamment le cas de la relation entre Siegfried et Mime, qui s’aventure dans la complexité de l’éducation monoparentale d’un enfant adopté, et du personnage de Wotan, tueur à gages sur le retour, mari violent parvenant encore à effrayer Erda. Pour Gerhard Koch (cité dans la notice), «Jossi Wieler (…) fait de Siegfried la plus triste des comédies, où le moindre éclat de rire vous reste en travers de la gorge et où il n’y a en fait qu’un seul personnage négatif : le voyageur Wotan. Celui-ci a un profil de schizophrène : homme ruiné par le pouvoir, chef manipulateur de l’entreprise du Walhalla».


La distribution réunie pour l’occasion est intéressante et méritante, à commencer par le rôle titre dont Jon Fredric West possède l’envergure, avec sa voix héroïque et brillante (que la mise en scène force à se faire superficielle ou vulgaire) : aussi solide physiquement qu’il perd en subtilité dans la composition vocale, l’Américain est l’un des rares ténors à pouvoir chanter ce rôle épuisant. Egalement en phase avec cette mise en scène, le Mime de Heinz Göhrig, porté en triomphe aux rappels, manque d’autant plus de relief vocal qu’en regard, malgré la brièveté de son intervention, son frère exalte, grâce à la voix perçante de Björn Waag, toute la noirceur d’Alberich. De même, la Brünnhilde de Lisa Gasteen, malgré son vibrato –, surprend par sa présence vocale et ses aigus solides : elle domine sans peine la distribution féminine dans laquelle figurent un Oiseau médiocre et une Erda scéniquement touchante mais qui manque de puissance. En revanche, le Wotan de Wolfgang Schöne a beau s’investir intelligemment dans son rôle… il ne parvient jamais à mettre en valeur une voix à bout de souffle, en mal de justesse et de plus en plus délabrée au fil des actes (à l’image de la déconfiture du personnage qu’il incarne). Quant à la prestation orchestrale, elle demeure invariablement quelconque, l’auditeur déplorant tout à la fois la banalité du phrasé (acte II), le prosaïsme des accents (« Murmures de la Forêt », prélude de l’acte III) ou leur vulgarité (acte I), ainsi qu’une mise en place par moments approximative.






Malgré une certaine difficulté à faire débuter les accords ensemble, la direction de Lothar Zagrosek arrange quelque peu les choses dans Le Crépuscule des dieux, où l’orchestre offre certains instants de noblesse (Prologue) et gagne en mobilité comme en vivacité (acte III). On reste néanmoins très en-deçà de ce que l’on est en droit d’attendre dans Wagner. Offrant davantage de satisfactions, la distribution demeure également insuffisante. En ressortent la superbe Gutrune d’Eva-Maria Westbroek, qui allie un remarquable investissement dans son personnage (acte III notamment) à de somptueux moyens vocaux, ainsi que la belle vigueur du chœur d’hommes (préparé par Ulrich Eistert).


La performance vocale de tous les autres protagonistes souffre de limites techniques qui seraient vite rédhibitoires sans l’image (telles ces Nornes aussi investies dans leur personnage que ruinées dans leur chant). Luana DeVol se donne à fond dans son rôle mais offre, malgré ses efforts pour maîtriser une ligne vocale fuyante, une Brünnhilde davantage criée que chantée, au vibrato difficilement supportable. Le Siegfried d’Albert Bonnema, au timbre enrhumé et laid, est rarement juste et souvent imprécis dans ses attaques. Le Hagen de Roland Bracht et l’Alberich de Franz-Josef Kapellmann intéressent par leurs qualités de timbre et l’intensité de leur chant mais se fatiguent vite. En regard, le Gunther de Hernan Iturralde manque d’identité vocale (la voix n’étant pas sans beauté malgré un timbre transparent), alors que Tichina Vaughn marquerait davantage son empreinte dans Waltraute avec un vibrato moins ouvert et des « r » moins roulés.


La mise en scène de Peter Konwitschny n’est pas inintéressante ; elle ne convainc toutefois pas vraiment. Ce qui fonctionnait si bien dans L’Or du Rhin (car il était davantage suggéré qu’imposé) devient vite agaçant ici. Les Nornes ? Des « sans domicile fixe », réfugiées de l’Est qui s’installent sur scène dès avant le début du spectacle, se disputent un bout de pain dans un carton replié, détricotent une petite laine blanche. Les filles du Rhin ? Trois drag queens qui se donnent en spectacle devant une projection kitsch d’étang ensoleillé. C’est le théâtre de la dérision qui se joue devant nous. Celle de Siegfried qui ne se rend jamais compte ni de son ridicule, ni de sa naïveté. Celle des Gibichungen qui jouent jusqu’à la caricature la figure des arrivistes ordinaires. Grand théâtre de marionnettes où Brünnhilde et Siegfried se caressent niaisement et s’embrassent hystériquement, devant une peinture romantisante, et dans lequel Waltraute descend du plafond par des cordes.


Comme dans les précédentes mises en scène, on garde en tête des images plutôt que des idées. L’image effrayante de la masse d’hommes déboulant sur scène avec des torches de feu à l’appel de Hagen. Celle, plus magnétique encore, de Siegfried agonisant dans les bras de Gunther et entouré de tous ces hommes, figure christique qui parait, l’espace d’un instant, révéler à tous les vertus de l’humanisme et de l’amour. On saluera également l’admirable travail de direction d’acteurs, par exemple à la fin de l’acte II, où le contraste du jeu ne saurait être plus grand entre le couple nigaud (Siegfried–Gutrune), qui trimballe un kouglof amoureusement cuisiné, et la trahison de Brünnhilde devant un Gunther anéanti et un Hagen avide de meurtre et de pouvoir.


Mais tout peut-il n’être que caricature et dérision ? La supériorité des Dieux se résume-t-elle au regard ridicule porté sur elle de l’extérieur ? L’innocence de Siegfried ne peut-elle être que celle d’un simple d’esprit ou d’un benêt ? La scène finale apporte l’éclairage attendu : lumières dans la salle ; théâtre mis à nu sur scène ; Brünnhilde vient délivrer la morale et donner les clefs de l’intrigue («Alles, alles, alles weiss ich»), prodiguant leçons et conseils («Ruhe, ruhe»), renvoyant chaque acteur hors la scène (Siegfried compris), s’adressant directement aux spectateurs du balcon («Fliegt heim, ihr Raben ! Raunt es eurem Herren, was hier am Rhein ihr gehört !»), s’amusant d’ailleurs beaucoup des artifices de ce théâtre, dont les didascalies écrites par Wagner sont projetées sur le rideau de scène qui s’est baissé aux derniers mots prononcés par Brünnhilde. Ainsi cette mise en scène nous rejoue-t-elle l’éculé concept du théâtre dans le théâtre. La morale de cette histoire ? Une grande illusion.


Imparfaite, dérangeante, parfois pathétique, cette Tétralogie souffre du défaut majeur du manque d’unité : moins un anneau qu’une autoroute à idées pour metteurs en scène. Pris isolément, chaque opéra apportera forcément du plaisir sinon du grain à moudre aux wagnériens. Mais ce ne serait pas rendre service aux non-initiés que de les inviter à découvrir le Ring ici, parce que son cœur n’y est pas : ni le souffle orchestral, ni le frisson vocal, ni même le concept central d’unité et de cycle. Le pari était risqué : celui d’un Anneau cohérent malgré l’hétérogénéité des approches et des distributions. On doit malheureusement se demander s’il n’échoue pas dans une impasse.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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