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11/23/2002
Franz Schreker : Die Gezeichneten

Kenneth Riegel (Alviano), Janis Martin (Carlotta), Theo Adam (Adorno), Peter Meven (Il Podestá), Hermann Becht (Tamare), Thomas Moser, Menaldo Negroni, Heiner Hopfner, Hans Günter Nöcker, Franz Wyzner, Boris Carmeli, Tomislav Neralic, Regina Sgier, Gabriele Schreckenbach, ORF Chor Wien, Arnold Schönberg Chor Wien, Erwin Ortner (direction), Radio Symphonie Orchester Wien, Gerd Albrecht (direction)
Enregistré en public au festival de Salzbourg (16 août 1984)
2 disques Orfeo C 584 022 I, en collaboration avec l'ORF; bonne restitution sonore – Ni livret ni synopsis en français



Berlioz aurait affirmé, dit-on, qu'il est impératif d'exprimer froidement les choses brûlantes. Or, Franz Schreker a choisi l'option diamétralement inverse pour cet ouvrage consacré aux désirs interdits, aux pulsions refoulées qui corrodent les cœurs ; aux rêves d'amour sommeillant au plus profond de l'âme humaine. L'intrigue se déroule aux alentours de Gênes, au XVIe siècle dans un lieu paradisiaque, où des aristocrates dépravés se livrent à des orgies. C'est Salò ou les cent vingt journées de Sodome de Pasolini avant la lettre. L'un de ces seigneurs tente d'y mettre fin : l'infirme Alviano, difforme, laid – épris de la belle Carlotta, peintre de son état et désireuse de faire tranparaître, via son art, la beauté intérieure du jeune homme, physiquement disgrâcié. Thématique wildienne par excellence, qui rappelle évidemment Le Nain de Zemlinsky. Un singulier et pervers rapport de séduction, fait d'attirance-répulsion, teinté chez Carlotta de pitié dangereuse, se noue entre elle et Alviano...


Ce flamboyant opéra, poème de l'amour, du sexe et de la mort, Les Stigmatisés – ou, selon les traductions, «Les Maudits» ou «Les Marqués» – créé en 1918 est un traité de science orchestrale d'une rare créativité, égalant la lumière de La Femme sans ombre. L'on ne conçoit pas que ce fin musicien soit systématiquement ignoré des salles de concert. Outre une Symphonie de chambre pour vingt-trois exécutants, la production de Schreker est abondante. Citons, entre autres, Une valse lente, un ballet pantomine, des lieder – dont le cycle De la vie éternelle pourrait avoir été écrit par Berg; neuf opéras enfin, parmi lesquels Der Schatzgräber, Das Spielwerk und die Prinzessin (donné a Wiesbaden en 1988) et le chef-d'œuvre le plus abouti, Der ferne Klang (Le Son lointain).


Estampillé «entartete Musiker» par les Nazis et mis à l'index (musique décadente et judaïté), il nous perd dans les méandres d'une instrumentation diluvienne, un entrelacs d'harmonies suaves et languides, déversant des cataractes de chant vénéneux. Imaginez : l'intensité du troisième acte de Tristan en perpétuel jaillissement au cours de l’œuvre entière ; un lyrisme éperdument passionné bâti en ondes montantes de sève. Le style de ce compositeur hors norme d'origine monégasque ? Onirique. Un post-romantisme wagnérien, straussien poussé jusqu'à son ultime souffle. Songez à Reger, notamment sa Suite romantique, à Schönberg, celui des Gurrelieder, Schmidt, Zemlinsky précité (Die Seejungfrau)... Korngold soi-même lui sera redevable, avec Le Miracle d'Héliane. Des couleurs impressionnistes puisées dans les univers de Debussy et Dukas, un langage polyphonique féerique, porté par des effets de timbre inouïs (usage du trio instrumental – flûtes, célestas et harpes) : cela n’est pas tout. Il s’y trouve encore un chromatisme amplifié, un déferlement orchestral qui rappelle le Respighi de Belphagor!


Le Prélude des Stigmatisés, pour ceux qui ne connaissent pas l'ombre d'une note de Schreker, devrait constituer un choc, avec ses incrustations d'arpèges au piano, et l'apparition progressive du thème principal : le leitmotiv conquérant de l'opéra (à 4'23). Cette réédition d'une représentation salzbourgeoise de 1984 s'imposait. L'on détient dorénavant LA version alternative à celle – grandiose au demeurant – de la prestigieuse collection "Entartete Musik" (chez Decca) , dirigée par Lothar Zagrosek en 1995.


A la baguette, ici, c'est un autre expert incontesté des musiciens appartenant à cette période troublée de l'histoire, la République de Weimar, en l'occurence Gerd Albrecht. En constante recherche des sons perdus, il lui échoit la terrible mission de défendre cette partition luxuriante et luxurieuse. Tout en privilégiant une lecture résolument symphonique, il a cure de ne jamais noyer les solistes passablement rudoyés au plan vocal par le dense tissu instrumental. Dans cette une fresque arborescente, les chanteurs sont confondants de précision et de vérité. Il faut, en particulier, distinguer Kenneth Riegel dans Alviano, rôle dont la typologie se situe entre Mime et le Nain : caractérisée par une écriture tendue, tourmentée. Il réussit à jouer de son timbre ingrat, nasal, pour s'identifier à cet être torturé, en quête d'un amour absolu. Lequel s'incarne en la personne de Carlotta, requérant un grand soprano dramatique dans la lignée d'Isolde ou Salomé. Dans une tessiture assassine qui expose le registre aigu, Janis Martin surplombe avec feu les paroxysmes et tutti orchestraux qui émaillent ses interventions (écouter la plage 6, CD1). Partant, on ne lui tiendra pas rigueur de quelques infimes défaillances, et la sécheresse d'un timbre parfois un brin métallique.


Dernière précision : les Parisiens curieux devront se précipiter le jeudi 19 décembre prochain (il reste encore des places dans toutes les catégories!) au Théâtre des Champs-Elysées pour goûter aux effluves «schrékériens». Il serait temps qu'une salle parisienne se rapprochât du musicien autrichien, en proposant, pour le moins, une version scénique du Son lointain.


Etienne Müller

 

 

 

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