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10/24/2025
Franz Liszt : Liebesträume, S. 541 : 3. Poco allegro, con affetto – Réminiscences de « Norma », S. 394
Frédéric Chopin : Rondo à la Mazur en fa majeur, opus 5 – Mazurkas, opus 17 – Andante spianato et Grande Polonaise brillante, opus 22

Sophia Liu (piano)
Enregistré en public au Musée Jean Couty, Lyon (7 et 8 avril 2025) – 59’
Mirare MIR 782





Tout juste âgée de 17 ans, formée à Montréal par Dang Thai Son, dont les élèves raflent dernièrement les récompenses les plus prestigieuses (notamment les Premiers Prix des deux derniers Concours Chopin de Varsovie avec Bruce Liu et Eric Lu), elle‑même lauréate de nombreux concours, Sophia Liu est déjà une « prodige » du piano d’aujourd’hui et l’une des grandes interprètes de demain.


Les mélomanes, en particulier français, ont pu la découvrir la saison dernière avec un programme de récital associant les deux grandes figures du piano romantique, dont l’essentiel est repris sur le présent enregistrement capté en concert (manquent la Méphisto-Valse n° 1 et le « Sonnet de Pétrarque CXXIII » de Liszt.


L’ensemble du disque témoigne des éminents dons pianistiques et musicaux de Sophia Liu, ainsi que d’une maîtrise et d’une maturité impressionnantes chez une si jeune artiste. Sa sonorité est ainsi d’une beauté et d’un fini remarquables, surtout si l’on songe qu’il s’agit d’un enregistrement live : même dans les passages les plus exigeants d’un programme qui n’en manque pas, Sophia Liu en garde toujours le contrôle, mettant en valeur la richesse des textures sonores, soulignant l’agencement et la différenciation des plans, proportionnant les volumes au caractère de chaque pièce. C’est avec beaucoup d’à‑propos qu’elle met en avant l’importance de l’élément lyrique chez Liszt comme chez Chopin, particulièrement dans les œuvres qu’elle a retenues. La déclamation en est ample et très assumée, notamment dans les Réminiscences de « Norma » et dans l’Andante spianato, deux pages qui supportent une certaine emphase, à condition de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin.


C’est là que des réserves doivent être émises : probablement emportée par la griserie du concert, Sophia Liu se laisse aller de temps à autre à quelques exagérations et coquetteries qui viennent nuire à l’évidence du discours musical, par ailleurs fort bien conduit et maîtrisé dans l’ensemble, ainsi qu’il a été noté. Dans le Troisième Rêve d’amour, le chant souple et intense est ainsi grevé par un rubato appuyé, voire « téléphoné » dans ses effets de suspension. Ce défaut est plus problématique dans les Mazurkas opus 17 : si la première trouve un équilibre idéal entre la rusticité de l’élément folklorique et le raffinement formel, les deux suivantes, d’une sonorité pourtant magnifique, sont presque dénaturées par des effets très dispensables (arpégiations, piqués, pianissimi désincarnés...), qui les réduisent à de simples jeux pianistiques, où la nostalgie du zàl, pourtant si caractéristique et idiomatique, fait cruellement défaut. Jouée avec un toucher d’une délicatesse inouïe, la célèbre Mazurka opus 17 n° 4 voit également sa ligne de chant se fracturer – hélas – à force de ritardando trop appuyé.



Les œuvres de plus grandes proportions, sont, nous l’avons dit, mieux réussies. Les flamboyantes Réminiscences de « Norma » sont ainsi amoureusement sculptées et parées de couleurs chatoyantes, voire saisie d’une véritable ivresse pianistique dans les passages les plus animés. On y note cependant là aussi quelques flottements dans l’agogique et quelques fébrilités liées aux conditions du live qui empêchent Sophia Liu d’atteindre à la décantation d’un Jorge Bolet ou d’un Benjamin Grosvenor dans cette page. Sans doute faut‑il lui laisser le temps de mûrir sa vision, déjà remarquable, et savourer toutes les promesses de cette interprétation.


Si le Rondo à la Mazur témoigne d’une excellente affinité avec le style du jeune Chopin, entre suggestion de la danse paysanne et distinction aristocratique, c’est l’Andante spianato et Grande Polonaise brillante qui domine la partie chopinienne. Dans l’Andante spianato, Sophia Liu trouve sa pulsation idéale, et le discours se fait plus fluide et plus naturel que dans les pages précédentes, en dépit d’ornementations probablement séduisantes en concert, mais qui paraissent affectées ici. Enfin, donnée dans un son très ample et affirmé, la Grande Polonaise témoigne d’un panache pianistique éblouissant ; malgré des effets de contrastes qui peuvent encore une fois agacer à l’occasion, elle nous mène avec brio à la conclusion d’un disque pétri de qualités, et dont on pardonne volontiers les défauts.


Le principal d’entre eux n’est-il pas d’avoir été enregistré en concert ? Une chose est d’assister à la prestation scénique, instrumentale et musicale d’une jeune artiste manifestement charismatique et spectaculaire, qui a certainement su créer un lien de communication chaleureuse avec son public lors des récitals des 7 et 8 avril dernier à Lyon. Une autre est de l’écouter avec la distance qu’impose forcément l’enregistrement, et donc avec une oreille plus critique et plus attentive aux défauts relevés ci‑dessus. Une captation en studio, sous la houlette d’une direction artistique expérimentée, n’aurait‑elle pas permis à Sophia Liu de mieux limiter et corriger les menues scories inhérentes au live, et donc de livrer un enregistrement plus conforme à sa valeur artistique ? Gageons que les prochains disques de cette remarquable jeune pianiste, dont on suivra avec attention le développement, nous permettent d’avoir la réponse à cette question.


François Anselmini

 

 

 

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