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06/09/2025 « Dance of Death »
Johannes Brahms : Deux Motets, opus 74 : 1. « Warum ist das Licht gegeben dem Mühseligen »
Hugo Distler : Geistliche Chormusik, opus 12 : 2. « Totentanz »
Johann Sebastian Bach : Partita pour flûte en la mineur, BWV 1013 : 3. Sarabande
Max Reger : Geistliche Gesänge, opus 110 : 3. « O Tod, wie bitter bist du » Sir Willard White (récitant), Jan Krzeszowiec (flûte), Chór NFM, Lionel Sow (direction)
Enregistré au Forum national de musique, Wroclaw (juillet 2023 et février 2024) – 64’56
Accord/NFM Recordings ACD 335 (distribué par Naxos) – Notice en polonais et anglais de Szymon Atys, textes en allemand, polonais et anglais)
Must de ConcertoNet

Le chef de chœur français Lionel Sow est depuis octobre 2021 le directeur artistique du Chœur Chœur du Forum national de musique (Narodowe Forum Muzyki, NFM) de Wroclaw (Pologne), un ensemble professionnel d’une cinquantaine chanteurs fondé en 2006 par Andrzej Kosendiak et dirigé pendant ses quinze premières années par Agnieszka Franków-Zelazny. Après avoir été de 2010 à 2020 le chef apprécié du Chœur de l’Orchestre de Paris, Lionel Sow est depuis septembre 2022 directeur musical du Chœur de Radio France.
Il signe ici un magnifique enregistrement associant trois pièces chorales : les motets « Warum ist das licht gegeben dem Mühseligen » de Brahms et « O Tod, wie bitter bist du » de Reger, qui a aussi inspiré Brahms pour ses Quatre Chants sérieux, une de ses dernières œuvres. Entre ces deux pièces se trouve la « Totentanz » (1934) de Hugo Distler, qui donne son titre à l’album. On sait Lionel Sow passionné par cette œuvre, déjà programmée en juin 2017 avec le Chœur de l’Orchestre de Paris et le regretté André Wilms, grand diseur du texte alors en français, puis en mars 2022 avec le Chœur de Radio France et Abd al Malik en récitant, également en français. Rappelons simplement que Distler, né à Nuremberg en 1908, fit ses études à Leipzig et la plus grande partie de sa carrière comme chef de chœur à Lubeck, Stuttgart puis Berlin, avant de se donner la mort dans cette ville en novembre 1942 afin d’éviter l’enrôlement de force dans l’armée allemande.
La pièce de Brahms, « Warum ist das licht gegeben dem Mühseligen », qui débute cet enregistrement est une œuvre de la maturité (1877), assez proche d’esprit du Requiem allemand. Sa réalisation superlative démontre d’emblée le niveau très élevé du chœur polonais. Dans sa première partie, l’accord initial et son diminuendo, le legato de chacun des différents pupitres, l’unisson des voix, la conduite des nuances et l’évidente écoute mutuelle frappent. La deuxième partie, plus joyeuse, et dédiée préférentiellement aux voix de femmes, révèle notamment à son début de belles voix aiguës, précises et à l’intonation parfaite. La troisième partie, plus variée et dominée par les soprani, ne fait pas pour autant disparaître les autres voix. Le final, sorte de choral, apporte son lot de surprises harmoniques même si les grands maîtres du passé ne sont jamais loin dans le langage de Brahms. Lionel Sow réussit à faire de cette musique poignante un moment suspendu et une magnifique entrée en matière.
Car l’enchaînement avec la pièce de Distler survient comme naturellement. Dans cette pièce a cappella, quatorze aphorismes chantés par le chœur alternent avec des textes récités, représentant la mort et différents personnages. La narration a été confiée au grand baryton‑basse britannique d’origine jamaïcaine Sir Willard White, à la carrière que l’on sait et qui possède naturellement toutes les qualités nécessaires à ce rôle parlé ici donné en anglais. Ses interventions rythment la partie chorale avec clarté, talent et esprit et sa somptueuse voix rappelle quel diseur hors du commun il est même lorsqu’il ne chante pas. Il en joue à merveille, alternant voix majestueuse (la mort) et voix plus naturelle au timbre spontanément riche et vibrant. La flûte ponctue cette pièce sombre de respirations bienvenues et fait un judicieux contrepoint aux différentes interventions chantées et parlées. Quant à la partie chorale, elle est ici aussi parfaite que ce soit en termes de nuances, de lignes, d’équilibre, de lisibilité du texte, de rendu des harmonies, tout étant réalisé avec brio et conviction et sans aucun effet inapproprié. Le solo de flûte, en l’occurrence la Sarabande de la Partita en la mineur de Bach qui suit la musique de Distler et précède le motet de Reger, est un autre moment suspendu d’une grande beauté.
Le motet à huit voix de Reger « O Tod, wie bitter bist du », d’une extrême difficulté harmonique, est lui aussi d’une réalisation exemplaire. La conduite de la ligne vocale, le respect à la lettre des nuances et des accents, la beauté sonore, la richesse polyphonique parfaitement rendue, les unissons parfaits, l’homogénéité des pupitres et au sein de chaque pupitre, tout y est musique, y compris les silences d’une longueur idéale et habités comme rarement. Et la résolution finale et sa fascinante appoggiature achèvent avec élégance cette heure de musique d’une très grande beauté.
Cet enregistrement est décidément une merveille à mettre entre toutes les oreilles d’amateur de musique chorale. La magnifique prise de son participe au plaisir de l’écoute. La présentation en un bel objet agréable à posséder est un plus notable permettant, grâce à un texte exhaustif et précis, d’en savoir plus sur le contexte historique et culturel de cette œuvre unique. Nul doute que l’instigateur de ce projet parfaitement abouti, Lionel Sow, est bien le plus grand chef de chœur français en activité. Et on ne se serait pas étonné que suite à cette superbe et aussi intelligente publication sa carrière prenne encore plus de rayonnement à l’international.
Ce programme sera donné à Paris le 10 juin au soir, à l’Oratoire du Louvre, avec Eric Ruf en récitant.
Le site du Chœur NFM
Gilles Lesur
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