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03/14/2024
Richard Wagner : Das Rheingold : Entrée des dieux au Walhalla (transcription Louis Brassin et Nikolaï Lugansky) – Die Walküre : Enchantement du feu (transcription Louis Brassin) – Götterdämmerung : Duo « Zu neuen Taten, teurer Helde », Voyage de Siegfried sur le Rhin, Marche funèbre de Siegfried et Immolation de Brünnhilde (transcription Nikolai Lugansky) – Parsifal : Musique de transformation et Final de l’acte III (transcription Felix Mottl, Nikolaï Lugansky et Zoltán Kocsis) – Tristan und Isolde : Mort d’amour d’Isolde (transcription Franz Liszt, S. 447)
Nikolaï Lugansky (piano)
Enregistré à la Scuola della Carità, Padoue (septembre 2023) – 61’
harmonia mundi HMM 902393


Sélectionné par la rédaction





Transcrire Wagner pour le piano n’a rien d’une évidence, tant la magie du compositeur repose sur les sortilèges d’un orchestre aux timbres opulents et sur l’alchimie des voix, où fusionnent texte littéraire et texte musical. En ce sens, transcrire Wagner pour le piano n’est pas forcément trahir, mais c’est toujours réduire, transposer les couleurs infinies du « drame musical » sur un clavier qui, malgré qu’il en ait, demeure toujours en noir et blanc.


Pourtant, l’art de la transcription wagnérienne a connu une belle fortune depuis l’époque du compositeur, d’abord pour des raisons pratiques de diffusion : les opéras ne pouvant toucher qu’un public restreint, les adaptations au piano (avec ou sans voix) permettent d’en faire mieux connaître les pages éminentes aux interprètes amateurs et aux belles écouteuses des salons. Cet art est d’abord cultivé par Liszt lui‑même, puis par nombre de ses épigones, adeptes de la fièvre wagnérienne qui saisit l’Europe, et notamment la France, à la fin du XIXe siècle. Aux noms cités par l’éclairante notice de Denis Morrier (Carl Tausig, Karl Klindworth, Louis Brassin et d’autres), on se permettra d’ajouter ceux d’Edouard Risler et d’Alfred Cortot, paladins du wagnérisme dans le Paris de la Belle Epoque.


La multiplication des enregistrements à l’âge du microsillon puis du CD, qui permet d’écouter la Tétralogie à domicile, a rendu les transcriptions quelque peu désuètes. Elles n’ont guère intéressé les grands pianistes des XXe et XXIe siècles, souvent échaudés par leurs difficultés. Si un Jorge Bolet ou un Alfred Brendel s’y sont ponctuellement frottés, il en existe peu d’enregistrements marquants. Plus que les tentatives de Cyprien Katsaris, Florence Delaage, François Dumont ou Severin von Eckardstein, la plus belle réussite dans ce répertoire demeure le disque réalisé en 1980 par Zoltán Kocsis, qui ajoute ses propres arrangements aux transcriptions lisztiennes.


Devant cette relative rareté, on ne peut que se réjouir de voir un musicien du calibre de Nikolaï Lugansky se pencher sur ce répertoire et se confronter à un défi aussi périlleux. Il faut bien les fabuleux moyens du pianiste russe pour parvenir à évoquer avec ses seuls dix doigts toute la force suggestive des « Famous Opera Scenes » qui composent ce programme. Wagnérien enthousiaste depuis ses 18 ans, Lugansky ajoute à l’art de l’interprète celui du transcripteur, puisqu’il est l’auteur de quatre des huit pièces du disque.


Ce qui frappe à l’écoute, outre la virtuosité du pianiste, c’est précisément l’inégale qualité des transcriptions. Placée en conclusion du disque, la célèbre Isoldens Liebestod due à Liszt reste un sommet indépassable. Avec un art consommé de la mise en scène, Lugansky rend justice à la progression extatique et aux trémolos puissants de cette scène finale de Tristan, faisant presque oublier l’absence de la voix d’Isolde... La scène finale de Parsifal adaptée par Zoltán Kocsis est également une grande réussite, faisant regretter que Lugansky n’ait pas sélectionné d’autres transcriptions du pianiste hongrois, notamment celle du « Chœur des Filles‑Fleurs » de l’acte II. En comparaison, les deux morceaux dus au pianiste belge Louis Brassin (1836‑1884) font un peu pâle figure. Le final de L’Or du Rhin est pourtant spectaculaire, avec ses basses triomphales, ses galops lisztiens et ses déferlements de notes scintillantes, mais il manque du mordant et de la jubilation irrésistibles de l’original. De même, l’Enchantement du feu, bien que reposant sur une véritable prouesse pianistique, paraît trop littéral et semble tourner à vide quand on a dans l’oreille cette page sublime qui conclut La Walkyrie.


En revanche, Lugansky se montre aussi habile transcripteur qu’il est formidable pianiste dans les quatre extraits du Crépuscule des dieux. L’entrée en matière elliptique et la longueur vibrante des notes du duo d’amour de Siegfried et Brünnhilde, la dramaturgie de l’interlude orchestral du Voyage de Siegfried sur le Rhin, l’entrelacement des leitmotivs émergeant de cascades de notes dans la Marche funèbre de Siegfried, et surtout l’épanouissement du chant de la scène finale (« Immolation de Brünnhilde ») sont admirablement rendus, bien que l’ensemble sonne toujours davantage comme du piano lisztien que comme un orchestre wagnérien. Ce qui nous ramène à notre question initiale : un tour de force pianistique, aussi impressionnant et évocateur soit‑il, peut‑il vraiment rendre compte du génie orchestral et opératique de Wagner ? Quoi qu’il en soit, cette expérience peut‑être impossible est tout de même une réussite, révélant un nouvel aspect de la riche personnalité musicale de Nikolaï Lugansky, qui bâtit peu à peu une discographie passionnante pour harmonia mundi.


François Anselmini

 

 

 

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