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02/16/2024
« Jubilation vénitienne »
Antonio Vivaldi : Gloria en ré majeur, RV 589 – Concerto pour trompette et hautbois en do majeur, RV 537 : 1. Allegro & 3. Allegro – Concerto pour flautino en do majeur, RV 443 – Concerto pour cordes en sol mineur, RV 156 – Concerto pour hautbois et trompette en ré majeur, RV 781
Antonio Caldara : Il nome più glorioso : Sinfonia – Caro mea vere est cibus – Chaconne en si bémol, opus 2 n° 12 – La morte d’Abel : Sinfonia

Maîtrise des Pays de la Loire, Mariana Delgadillo Espinoza (direction), Ensemble Amarillis, Héloïse Gaillard (flûte, hautbois et direction)
Enregistré en l’Abbaye royale de Fontevraud (février 2021) – 78’05
Mirare MIR 632 – Notice (en français et en anglais) d’Héloïse Gaillard







Elisabeth Jacquet de La Guerre : Sémélé (cantate n° 1) – Sonate en trio n° 4 en sol mineur – Judith (cantate n° 6) – Suite en sol majeur
Maïlys de Villoutreys (soprano), Ensemble Amarillis, Héloïse Gaillard (flûte, hautbois et direction)
Enregistré à La Courroie, Entraigues-sur-la-Sorgue (5‑7 novembre 2021) – 60’
Evidence Classics EVCD 088 – Notice (en anglais et en français) d’Héloïse Gaillard et de Catherine Cessac





Interpréter Antonio Vivaldi pose toujours, comme pour nombre d’autres compositeurs, des questions sur lesquelles musicologues, musiciens, chercheurs en tous genres bataillent, chacun y allant de son argument, de son assertion, de son hypothèse, archive à l’appui... Et, de fait, comment doit‑on chanter des pièces qui, composées pour les quatre grands ospedali vénitiens (San Lazaro dei Mendicanti, Santa Maria della Pietà, l’Ospedale degl’Incurabili et l’Ospedale SS. Giovanni e Paolo dei Derelitti), n’étaient donc destinées qu’à des jeunes filles ?


Comme nous avions déjà eu l’occasion de l’écrire (voir ici), les controverses opposant les meilleurs spécialistes sur ce point sont sans fin. Pour H. C. Robbins Landon, il était tout à fait possible que, à l’occasion, des hommes (peut‑être seulement des hommes d’église d’ailleurs) aient été invités à chanter aux côtés des jeunes orphelines pour tenir les parties destinées aux ténors et aux basses (Vivaldi, Jean‑Claude Lattès, p. 90). Pour Patrick Barbier, cette hypothèse « est [au contraire] fort peu probable », celui‑ci estimant plutôt que certaines parties devaient être confiées à des jeunes femmes à la tessiture particulièrement grave ou alors, autre hypothèse envisagée, que certaines parties destinées à des voix masculines étaient transposées à l’octave supérieur (La Venise de Vivaldi, Grasset, p. 113). Cette dernière hypothèse est également privilégiée par Sylvie Mamy dans son Vivaldi maintes fois cité dans nos colonnes (Fayard, pp. 151‑152). C’est sans doute effectivement l’hypothèse la plus plausible puisque le président de Brosses, témoin de certains concerts donnés dans la Sérénissime, écrivait que ces jeunes filles « sont élevées aux dépens de l’Etat, et on les exerce uniquement à exceller dans la musique. Aussi chantent-elles comme des anges, et jouent du violon, de la flûte, de l’orgue, du hautbois, du violoncelle, du basson [...] Ce sont elles seules qui exécutent, et chaque concert est composé d’une quarantaine de filles [...] Leurs voix sont adorables pour la tournure et la légèreté » (Lettres d’Italie, lettre à M. de Blancey, 29 août 1739). D’homme, il n’est jamais question ici, y compris dans la partie « chant » des concerts auxquels le président rennais a pu assister lors de son voyage... Au plan argumentaire, on se référera également aux longues explications données par Héloïse Gaillard dans la notice d’accompagnement du disque, extrêmement bien faite et fort convaincante.


Après donc Geoffroy Jourdain et Hervé Niquet notamment, voici Héloïse Gaillard et son Ensemble Amarillis qui interprètent à leur tour des œuvres chorales du Prêtre roux (en l’espèce le célèbre Gloria) en n’ayant recours qu’à des voix de jeunes filles, en l’occurrence la Maîtrise des Pays de la Loire dirigée par Mariana Delgadillo Espinoza. Si, musicologiquement parlant, on est sans doute assez proche de la vérité historique, le résultat ne convainc pas totalement. La maîtrise chante en effet assez faux en plus d’une occasion ce qui, pour une pièce destinée à un chœur et un orchestre, s’avère tout de même assez rédhibitoire. Des aigus mal maîtrisés (« Et in terra pax ») ou parfois difficiles à atteindre (dans le « Domine Deus »), une justesse chancelante dans le « Laudamus te » (où le côté acide des cordes se conjugue au surplus à un manque d’élan, le chant étant plus hoqueté qu’autre chose)... Même si le chœur (deux groupes de sopranos de six chanteurs chacun et un groupe de six altos où l’on ne compte en tout que trois voix de jeunes garçons) se donne à fond, difficile d’être séduit par un ensemble vocal qui éprouve aussi souvent des difficultés. C’est dommage car le « Gloria in excelsis Deo » introductif est très bien fait : vif, brillant, jubilatoire (comme le rappelle très justement le titre du disque). Le « Et in terra pax » comporte de beaux moments (le soutien des basses en crescendo à partir de 2’55, les sonorités diaphanes dues au petit effectif), le hautbois d’Héloïse Gaillard est très suave dans le « Domine Deus », le « Domine fili » est formidable par son entrain et ses sonorités. Quant au choix d’introduire au milieu du Gloria les premier et troisième mouvements du Concerto pour deux trompettes RV 537 (adapté ici pour une trompette et un hautbois), on peut ou non adhérer aux explications figurant dans la notice ; l’interprétation n’en est pas moins bien faite mais, à titre personnel, nous préférons de loin la version originelle pour deux trompettes (réécoutez la version dirigée par Claudio Scimone avec Guy Touvron et Serge Boisson chez Erato !).


Evidemment, dans les trois œuvres concertantes, la réussite est plus patente dans la mesure où Héloïse Gaillard possède toute la technique et la musicalité propres à agrémenter ces pièces. Le Concerto RV 443 pour flautino (ce qui autorise les solistes à jouer soit de la flûte traversière piccolo soit, comme ici, de la flûte à bec soprano en fa) virevolte avec une fraîcheur et un naturel confondants, le Concerto RV 156 (peu connu celui‑là) permet aux cordes de l’Ensemble Amarillis de faire montre de toute leur verve tandis que le Concerto RV 781 fait de nouveau briller le duo formé par la trompette et le hautbois solo (quel éclat dans le mouvement conclusif de cette œuvre, en principe jouée à deux hautbois !).


En complément de Vivaldi, le grand Caldara, avec quatre extraits d’œuvres assez disparates : une Sinfonia (extraite de la sérénade Il nome più glorioso), composée pour deux trompettes mais transcrite là aussi pour une trompette et un hautbois, le motet Caro mea vere est cibus (plutôt bien chanté par trois enfants issus de la Maîtrise des Pays de la Loire mais moins prenant néanmoins à notre sens que les motets Exaudi, Domine, vocem meam ou Ad Dominum cum tribularer, une Chaconne issue du recueil de douze sonates en trio opus 2 (magnifique pièce !) et une nouvelle Sinfonia (extraite cette fois‑ci de l’oratorio La morte d’Abel) complètent donc ce disque de façon un peu disparate mais dont la facture n’en demeure pas moins de bon niveau.


Quittons maintenant la Venise baroque du XVIIIe siècle pour nous transporter à la fois dans le temps et l’espace, soit à Versailles et Paris à cheval sur les XVIIe et XVIIIe siècles avec la figure si intéressante d’Elisabeth Jacquet de La Guerre (1665‑1729). L’Ensemble Amarillis nous propose là deux cantates françaises datant de 1715 pour Sémélé et 1708 pour Judith. Durant chacune un quart d’heure environ (un peu moins pour la première, un peu plus pour la seconde), chaque cantate alterne assez sagement airs et récitatifs, accompagnés par un petit ensemble de cinq musiciens, la partie instrumentale ayant été en partie reconstituée comme l’explique très bien Héloïse Gaillard dans la notice d’accompagnement où Catherine Cessac, grande spécialiste d’Elisabeth Jacquet de La Guerre et autrice d’une biographie remarquée de la compositrice (Actes Sud), resitue en outre chaque œuvre dans la vie de cette compositrice-phare du monde baroque français.


La cantate Sémélé, sur un livret de l’incontournable Antoine Houdar de La Motte, met en scène les tourments par lesquels passe l’héroïne dans ses amours avec Jupiter. Grande connaisseuse de ce répertoire, la soprano Maïlys de Villoutreys chante fort adroitement cette pièce où la fière Sémélé finit par mourir, victime de son orgueil en voulant vivre un amour ardent avec le roi des Dieux. Théâtrale dans les récitatifs (à l’image de l’accompagnement, notamment lors des volutes musicales de la violoniste Alice Piérot dans le passage « Mais, quel bruit étonnant se répand dans les airs ? »), véhémente, fière comme Artaban (« Quel triomphe, quelle victoire... »), puis finalement résignée face au sort qui l’attend, Maïlys de Villoutreys est d’une parfaite justesse de caractère (et de chant), les cinq musiciens présents à ses côtés assurant tout le décor nécessaire à cette belle peinture musicale de la vanité.


Il en va de même dans la cantate Judith, toujours sur un livret d’Houdar de La Motte, qui fait alterner quatre récitatifs et quatre airs peignant cette fois‑ci l’héroïne biblique bien connue, laquelle tue Holopherne lors du siège que ce dernier mène devant Béthulie, redonnant ainsi la foi à son peuple qui parvient alors à mettre les Assyriens en déroute. En moins de vingt minutes, Elisabeth Jacquet de La Guerre nous peint là aussi une héroïne au caractère complexe, certains passages s’avérant particulièrement réussis comme cet intermède strictement musical du « Sommeil » (joué à la flûte par Héloïse Gaillard), comme ce passage qui tient à la fois de la description et de l’autocélébration de l’héroïne (« Le coup est achevé »), air dans lequel le clavecin imaginatif de Marie Van Rhijn fait merveille, ou comme cet étrange intermède « De mouvement et marquez » dédié aux cordes. Maïlys de Villoutreys narre avec passion l’histoire de Judith, habitant le personnage en dépit des dimensions relativement modestes de la partition ; une belle réussite en tout cas, cette cantate nous semblant plus « achevée » que la précédente.


En complément de ces deux cantates, une sonate en trio et une suite, l’une en sol mineur, l’autre en sol majeur. Cette dernière s’avère des plus distrayante, mettant en valeur flûte seule (« Courante »), clavecin seul (« Sarabande ») ou un adroit dialogue entre flûte et violon (« Gigue »). Si la composition s’écoute donc avec plaisir, elle illustre surtout la diversité des talents d’Elisabeth Jacquet de La Guerre, loués à son époque, tombés malheureusement dans l’oubli, pleinement réhabilités aujourd’hui.


Le site de l’Ensemble Amarillis et d’Héloïse Gaillard
Le site de la Maîtrise des Pays de la Loire
Le site de Maïlys de Villoutreys


Sébastien Gauthier

 

 

 

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