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11/01/2023
Johann Sebastian Bach : Variations Goldberg, BWV 988 (arrangement des trios d’Iroise et Syriab, Sophie Pantzier et Friedrike Kayser)
Trio d’Iroise : Sophie Pantzier (violon), François Lefèvre (alto), Johann Caspar Wedell (violoncelle) – Syriab Trio : Abdalhade Deb (oud et chant), Ibrahim Bajo (kanun), Amjad Sukar (percussions)
Enregistré dans l’Adelbrinsaal de l’abbaye bénédictine (Kloster) de Drübeck, Allemagne (21‑24 novembre 2022) – 79’56
Solaire Records – Notice en anglais et arabe


Sélectionné par la rédaction





Les arrangements d’œuvres de Johann Sebastian Bach, et singulièrement de ses Variations Goldberg, pour toutes sortes d’instruments ne manquent pas mais ici l’approche est particulièrement originale. En effet, les arrangements du présent disque tirent lesdites variations du côté de la musique arabe grâce à l’imagination de deux trios, l’un de cordes, classique (violon, alto, violoncelle), et l’autre d’instruments orientaux : oud (sorte de luth), kanun (cithare sur table) et percussions.


Il s’agit autant d’arrangements que de variations sur les variations du Cantor. Les deux trios à l’œuvre cherchent à montrer qu’un dialogue est possible entre deux mondes musicaux totalement étrangers, entre la musique de Bach écrite et polyphonique et la musique arabe improvisée et monophonique. Les Goldberg servent alors de base à des recréations improvisées, parfois sous l’influence de mélodies traditionnelles. Elles sont ainsi clairement reconnaissables au début, puis de moins en moins, sans qu’elles disparaissent complètement pour autant, se rappelant de temps en temps à notre bon souvenir.


Sont réunis pour cette tentative de co‑construction deux trios qui ont fait connaissance en 2018 : le Trio d’Iroise, ensemble franco-allemand constitué à la suite des Rencontres d’Iroise de Bretagne de 2017, et le Trio Syriab, constitué la même année par des artistes syriens provenant d’un ensemble de quarante membres créé en 2009 et dispersé dans le monde du fait de la guerre.


Le résultat surprend. Alors que les arrangements des Goldberg ou de L’Art de la fugue sont le plus souvent confiés aux mêmes instruments du début à la fin, l’unité de ces œuvres étant ainsi préservée, les approches changent ici à chaque variation. Les premières, arrangées pour cordes seules, peinent cependant à convaincre ; la qualité instrumentale ne paraît pas à la hauteur et la lecture est passablement poussive. On ne commence à tendre l’oreille qu’à la quatrième variation uniquement interprétée en pizzicatos, le son du oud lui conférant des couleurs inédites. A la cinquième, interviennent les percussions orientales. A la sixième, des ornementations arabes improvisées apparaissent. Les cordes, aux sons maigrelets, peinent alors à suivre les envolées des artistes syriens dans les variations suivantes mais le mélange instrumental intéresse de plus en plus malgré l’échec de certaines. Les cordes manquant de netteté finissent même par lâcher à la onzième variation, comme si elles craignaient de s’imposer. Et ce n’est pas la treizième variation interprétée au violon et au oud qui change cette impression de déséquilibre. A la quinzième, Bach n’est d’abord plus qu’un prétexte et la voix d’Abdalhade Deb intervient dans des psalmodies qu’on ne comprend que si l’on connaît l’arabe, avant que les cordes ne prennent, malheureusement, le relais comme pour rappeler qu’il ne faut pas trop s’éloigner de l’objet de l’enregistrement, de la référence. La dix‑huitième est franchement ratée, la mayonnaise ne prenant décidément pas avec ces ingrédients si différents. La vingtième, confiée aux cordes et aux battements de mains, lorgne du côté du jazz. Les suivantes, à part les vingt‑cinquième et vingt‑sixième, où le kanun n’est pas sans rappeler le clavecin, sont de plus en plus ancrées dans les traditions musicales arabes et du coup plus stimulantes. Le retour final de l’Aria qu’on pourrait croire interprété au début par un accordéon termine même l’album magnifiquement. Il achève de nous convaincre de l’intérêt et de la sincérité du dialogue instauré par les deux trios et qui, au fond, va sans doute plus loin que ce qu’ont pu faire, avec des moyens pourtant indéniablement supérieurs, Jordi Savall, ses musiciens de l’ensemble Hespèrion XXI et leurs remarquables amis musiciens arabes ou turcs dans l’album Mare Nostrum (chez Alia Vox) ou encore Daniel Barenboim avec son West‑Eastern Divan Orchestra composé d’Israéliens et d’Arabes a priori peu enclins à s’entendre, car ici c’est la création musicale elle-même, son cœur, qui est mixte. Contrairement à ce que l’actualité ou certains pourraient faire croire, il démontre encore une fois qu’il y a au moins une voie pour l’enrichissement mutuel entre l’Occident et le monde arabo-musulman : la musique.


Le chemin emprunté, que seule la paresse qualifierait de naïf, ne mérite ainsi que des éloges. Les esprits curieux, les passionnés des Goldberg et les collectionneurs de transcriptions en tous genres de Bach pourront acquérir le disque sans le regretter nonobstant ses défauts de réalisation et ses déséquilibres.


Stéphane Guy

 

 

 

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