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10/28/2022
Jean Sibelius : Luonnotar, opus 70 [*] – Tapiola, opus 112 – Pelléas och Mélisande, suite orchestrale, opus 46 [*] – Rakastava, opus 14 – Vårsång, opus 16 [*]
Lise Davidsen (soprano), Bergen filharmoniske orkester, Edward Gardner (direction)
Enregistré à la Grieghallen, Bergen (7‑9 mai 2018 [*] et 16‑19 février 2021) – 72’51
SACD Chandos CHSA 5217 – Notice (en anglais, allemand et français) de Gustav Djupsjöbacka





Après leur superbe interprétation (CHSA 5178) de poèmes symphoniques et de mélodies avec orchestre, pour lesquelles Gerald Finley fait preuve d’une émouvante souplesse et d’une robuste puissance vocale qui doivent peut‑être quelque chose aux exigences des particularités harmoniques et modales de la musique de Jean Sibelius (1865‑1957), Edward Gardner et l’Orchestre philharmonique de Bergen se tournent de nouveau vers le compositeur finlandais pour proposer une sélection d’œuvres symphoniques très contrastée qui couvrent toutes ses années les plus actives de 1893 à 1926.


Lise Davidsen crée le climat irréel né d’un étrange ailleurs qui convient tout à fait à Luonnotar (1913), poème symphonique avec soprano qui exige une distanciation subtilement expressive. Une luonnotar est une fille de l’air, un esprit de la nature et c’est ainsi que le Kalevala désigne parfois Ilmatar, vierge‑fille qui permet l’éclosion des éléments du cosmos contenus dans les sept œufs de sarcelle, qu’elle protégeait, brisés malgré elle au cours d’une violente tempête en mer. L’imaginaire s’enflamme à l’écoute toute musicale de ce conte fantasque. Lise Davidsen, Norvégienne, affronte le finnois avec grâce et surmonte les difficultés d’une ligne vocale athlétique, sur plus de deux octaves, aux arêtes vives et aux impressionnants sauts d’intervalles, inattendus, peut‑être, mais typiques de Sibelius et de certaines modalités finlandaises. Les timbres de la partie orchestrale, d’une tonalité tout aussi ambiguë, colorent fortement mais discrètement le récit, les cordes frémissantes, les timbales redoutables et les vents aux teintes moirées. Le tutti, puissant, mouvant et houleux sous la baguette de Gardner, n’intervient qu’aux moments cruciaux.


Luonnotar et Tapiola (1926) font partie des œuvres les plus abouties du compositeur. Les Norvégiens lancent donc leur programme au plus fort. Tapiola, c’est le domaine de Tapio, tout‑puissant dieu des forêts, omniprésent mais insaisissable, dont on ressent la terrible présence à chaque instant de cette composition peu ordinaire. La partition de Sibelius, chromatique, modale ou à base de la gamme par tons, n’obéit à aucune règle fixe et la prodigieuse originalité qui en découle ne manque ni de rigueur ni de perfection formelle. Les instruments attendus d’un grand orchestre sans harpe s’augmentent d’un piccolo, un cor anglais, une clarinette basse et un contrebasson, la percussion se réduisant aux seules timbales orageuses. Le compositeur en tire des effets et des couleurs incomparables qui soulignent toute la sauvagerie visionnaire de Tapio et de son domaine. Les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Bergen les livrent avec maîtrise et conviction. Ils interprètent Tapiola avec la force intense qui convient aux œuvres de Sibelius. La tension ne se relâche jamais jusque dans les passages d’apparence plus douce.


Sans avoir une pareille envergure mais toujours aux fragrances finlandaises, Pelléas et Mélisande (1904‑1905), Rakastava (version 1911‑1912) et Värsang (1894) complètent le programme. Petite suite en trois mouvements pour cordes divisées, le triangle et les timbales peu présents, Rakastava (L’Amant) se fonde sur une œuvre pour voix de 1893, arrangée par deux fois pour des formations vocales différentes. Cette version finale, purement instrumentale, les a éclipsées sur le plan international, sans doute à cause des difficultés de la langue finnoise mais surtout grâce à l’originalité et à la finesse éthérée de la polyphonie orchestrale. Chassant le sentimental et les nombreux excès de d’autres interprétations, Gardner et les musiciens de Bergen transmettent de manière poignante les fines émotions introspectives de l’amant (personnage d’un poème du Kanteletar), cela, de la rencontre à l’adieu, de l’éveil délicat au drame d’une souffrance contenue. Seul le mouvement perpétuel qui ouvre le deuxième volet fait brièvement exception à l’« l’odeur noire » sous‑jacente que Sibelius tenait à y instiller et que les forces orchestrales de Bergen recréent avec sensibilité et adresse.


Värsang (Chant de printemps) bénéficie des luxueuses sonorités chantantes de l’orchestre norvégien. De facture plus simple, plus classique, le tutti souvent à base d’accords sur toute la verticale, la pièce semble aller d’une germination à de multiples éclosions éclatantes, les crescendos comme des explosions de couleur parfois tonitruantes.


Tout comme Fauré, Sibelius tire une suite pour une formation plus importante de sa musique de scène qui soutient la poésie ineffable de Pelléas et Mélisande. Après une entrée en matière qui évoque un grandiose château iodé et hostile où couve le drame, le compositeur se concentre davantage sur la fragilité énigmatique de Mélisande autour de qui gravite le poids de la présence des hommes. Tout est dans le non‑dit et l’indicible, impressionniste et intériorisée. Les quelques recours aux éclats d’orchestre se justifient toujours pleinement. Sibelius conserve la charmante petite pastorale et le bref mouvement d’entracte, un scherzo léger et dansant, comme uniques moments de détente. Gardner et ses musiciens soulignent délicatement les intentions du compositeur, sans effets inutiles, sans excès, tout en faisant ressortir la richesse sonore de l’orchestration. Ils bouleversent lors du dernier volet, une élégie désolante et désolée à la mort de Mélisande. C’est à noter que Sibelius maintient le seul chant de la musique de scène mais avec deux clarinettes en remplacement de la voix. Gardner se permet de faire appel à Lise Davidsen pour restituer avec succès le chant d’origine, délicate référence symbolique à trois sœurs aveugles.


Luonnotar et Tapiola dominent un programme bien mené par Edward Gardner à la tête de l’Orchestre philharmonique de Bergen, dont il est chef principal et directeur musical depuis 2015 à la suite de deux ans en tant que principal chef invité. Les timbales et les cordes sont impressionnantes et on ne peut que féliciter les exécutants sans pour autant trop vite oublier les cuivres et les bois, importants et efficaces au cœur des cinq œuvres élues.


Le site de Lise Davidsen
Le site de l’Orchestre philharmonique de Bergen


Christine Labroche

 

 

 

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