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01/15/2022
Nikolaus Harnoncourt : Le Baiser des Muses
Entretiens avec Bertrand Dermoncourt (préface de Gidon Kremer)
Actes Sud – 128 pages – 17 euros





La disparition de Nikolaus Harnoncourt, le 5 mars 2016, a indéniablement laissé un grand vide dans le monde de la musique classique. Même si l’on n’est pas toujours convaincu par ses enregistrements (à cet égard, sa dernière gravure consacrée aux Quatrième et Cinquième Symphonies de Beethoven chez Sony fut une cruelle déception...), force est de constater qu’il aura toujours eu quelque chose à dire tant au concert qu’au disque, de Biber à Stravinsky en passant par Bach, Mozart, Johann Strauss ou Bruckner.


Et comment mieux dire les choses que de le faire dans le cadre d’entretiens ? Voici donc un aperçu de la pensée du grand chef autrichien à travers cette compilation d’entretiens réalisés au fil de plusieurs années par Bertrand Dermoncourt, plume bien connue du monde de la musique classique, ancien éditorialiste au magazine Classica et actuellement directeur de la musique de la station Radio Classique. Sur la forme, ce petit livre se subdivise en sept chapitres (précédés d’une préface du violoniste Gidon Kremer et d’un avant-propos de Bertrand Dermoncourt) qui, sous des titres parfois obscurs (« La philosophie de la sécurité », « Le cadeau des dieux »), voient Harnoncourt traiter successivement du métier de chef d’orchestre, de ses enregistrements discographiques (qui figurent dans le chapitre « Evolution, révolution » et non pas dans le chapitre « Cinq cents enregistrements » ce qui, notons-le, n’est tout de même pas des plus intuitifs...), des compositeurs abordés au cours de sa carrière, de ses affinités avec certains compositeurs (Händel, Haydn, Schubert...), de l’opéra aujourd’hui, de l’art en général et enfin de son « testament musical » pourrait-on dire. Même si le titre peut sembler grandiloquent, précisons tout de suite que « le baiser des muses » ne doit pas être vu comme une simple expression commerciale mais c’est l’image qu’Harnoncourt utilise pour définir l’art lorsque la question lui est posée au chapitre VI.


On connaît les écrits de Nikolaus Harnoncourt et force est de constater que ces entretiens nous apportent, de façon complémentaire, d’assez nombreux éléments tant biographiques que sur les conceptions et goûts musicaux du grand chef. On imagine ainsi le jeune violoncelliste Harnoncourt, au sein de l’Orchestre symphonique de Vienne, jouer Bruckner dans les années 1950 sous la direction de Bruno Walter, chef qui l’a grandement marqué mais pas autant qu’Erich Kleiber, dont il avait visiblement gardé un grand souvenir. On remet en perspective l’aventure discographique du Concentus Musicus de Vienne qui avait débuté ses enregistrements avec des raretés signées Eustache du Caurroy, Anthony Holborne ou Isaac Posch. On découvre la véritable passion qu’Harnoncourt nourrissait pour Antonín Dvorák (son émotion à l’écoute du mouvement lent de la Septième Symphonie, son rêve de diriger un jour le Concerto pour violoncelle...). Enfin, on sourit (ou sursaute, c’est selon...) en lisant ses propos dans lesquels il descend en flamme pêle-mêle Rossini, Gluck, Berlioz (ses œuvres étant une « succession d’effets creux ») ou Lully (à l’égard duquel il ne comprend pas l’estime qui peut lui être portée).


Bref, la matière est intéressante et tout admirateur du grand chef ne manquera pas d’y puiser des informations. Pour autant, à notre sens, le résultat est loin d’être à la hauteur ; la faute, à l’évidence, à Bertrand Dermoncourt. Tout d’abord, et même si Harnoncourt était extrêmement cultivé et si l’écouter devait être passionnant, était-il utile de lui poser des questions telles que « Quelle est votre définition de l’art ? », « Comment jugez-vous l’évolution de l’art au XXe siècle ? » ou que pensez-vous de la citation du peintre Balthus suivant laquelle « Le XXe siècle est le siècle de la laideur » ? On a presque envie d’ajouter : « Vous avez cinq heures » ! Pourquoi ne pas s’être davantage attardé sur la seule musique, sur l’évolution, par exemple, de son approche de Bach, de Mozart ou de Schubert (quels changements pourtant au fil du temps au niveau des tempi, des effectifs orchestraux, du phrasé...) ? Regrettons également que ces entretiens, dont Bertrand Dermoncourt nous précise pourtant qu’ils ont été « retravaillés et annotés pour l’occasion », ne soient pas datés puisque certains propos auraient ainsi davantage pu être mis en perspective. Ainsi, lorsque Harnoncourt parle de Dvorák, pourquoi ne pas lui avoir parlé de son enregistrement amstellodamois du Stabat Mater, sauf à ce que l’entretien soit antérieur ; on n’en saura rien, preuve que davantage d’éléments contextualisés sur ces entretiens auraient sans doute été utiles.


En fin de compte, ce livre est une frustration plus qu’autre chose : de fait, en raison d’un travail éditorial insuffisant à l’évidence, l’essai nous apparaît en grande partie raté.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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