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04/04/2021
Frantz Wouilloz-Boutrois : La Fabuleuse Histoire des «Berliner Kabaretts»
L’Harmattan – 361 pages – 37 euros


Must de ConcertoNet





Ce livre encyclopédique que publie L’Harmattan a pour prétexte et point de départ de raconter comment est né et a évolué le cabaret dans son avatar berlinois. Il va plus loin car son propos déborde sur l’histoire d’une ville au destin très singulier et sur l’histoire d’un pays et de son peuple sur pratiquement deux siècles.


Le cliché en matière de cabaret berlinois est l’excellent film de Bob Fosse Cabaret (1972) d’après le roman de Christopher Isherwood Farewell to Berlin - Berlin Stories paru en 1939. Il illustrait au travers d’un récit autobiographique la vie d’un de ces cabarets de revue à l’époque de la fin de la République de Weimar et la montée en puissance du parti national-socialiste. C’est peut-être la partie la moins développée dans cet ouvrage car la plus courte de l’existence de ces établissements de divertissement rapidement vidés de leurs artistes et fermés par le régime en place.


Et pour bien en raconter la naissance, Frantz Wouilloz-Boutrois remonte aux origines de ces établissement à Paris à la fin du XIXe siècle, quand Montmartre lançait la mode et l’usage de ces premiers cabarets dont il date l’apparition de leur appellation vers 1890, avec entre autres le fameux et original Chat noir de Rodolphe Salis, ouvert en 1881 sur le boulevard de Rochechouart. C’est avec des artistes comme Aristide Bruant, Paul Delmet, Polaire, chansonniers, mélodistes, pantomimes, que s’est forgé un type de spectacle qui va vite à l’occasion du chambardement dû à la création de l’Empire allemand en 1871 s’exporter dans sa capitale en plein essor.


Les grands ancêtres de ces établissements s’appellent l’Apollo Theater, l’Überbrettel, le Metropol Theater, le Schall und Rauch et le Wintergarten. Sur l’histoire de ce dernier existe un documentaire exemplaire publié en bonus du DVD consacré par EuroArts au Kroll-Oper.


Des personnalités comme Victor Hollaender, Arnold Schoenberg, Max Reinhardt ont contribué à développer l’identité de ces établissements dont le divertissement était la vocation et toutes les formes artistiques, la danse principalement mais aussi le chant, la parodie, la satire, la pantomime, le luxe des décors et des costumes attiraient un public nombreux et très divers. La cabarettiste Trude Hesterberg, artiste emblématique de la République de Weimar à multiples facettes, chanteuse, comédienne, actrice et directrice d’établissements, en a donné dans ses Mémoires une parfaite définition: «Le cabaret est une œuvre miniature subtile. Soit tout, soit rien ne fonctionne. Et pourtant, c’est le plus imprévisible et le plus difficile de tous les arts. L’effet exact d’une chanson ne peut être prédit, en aucun cas, il dépend entièrement du public.»


Puis sont apparus une foule d’établissements spécialisés en fonction de leur public, particulièrement de l’appartenance de celui-ci aux diverses couches sociales de la société. Une société qui évoluait à la vitesse du son en ces années précédant la Première Guerre mondiale, qui mit à peine un frein à l’activité de divertissement et lui donna un rôle consolateur et social dans l’humiliation générale ressentie par le peuple après-guerre.


Frantz Wouilloz-Boutrois détaille un impressionnant travail de recherche non seulement sur les établissements eux-mêmes mais aussi sur leurs fondateurs et sur tous les artistes qui s’y sont produits. Plus que des notices biographiques, ce sont de formidables portraits étayés d’anecdotes et de précisions sur la nature de leur art, tous illustrés par au moins une photographie. Cela nous vaut des portraits de grandes danseuses de cabaret telles Anita Berber, Trude Berliner, Margo Lion, Valeska Gert et même Joséphine Baker, qui, comme une autre Française, Yvette Guilbert, ont fait une partie de leur carrière en Allemagne. Nombreuses furent ces artistes, tant l’essor du cinéma muet puis parlant est lié à cette époque, à travailler aussi dans les studios berlinois comme Marlène Dietrich, qui y débuta avant de s’envoler pour l’Amérique, Ilse Bois, Rosa Porten... Et d’autres talents musicaux qui furent copiés dans l’Europe entière comme les Comedian Harmonists ou Paul Whiteman, inventeur du «jazz symphonique».


Parallèlement à l’aspect artistique, l’auteur dessine un saisissant portrait de la société berlinoise de l’entre-deux-guerres, cette ville s’autorisant tant à la scène qu’à la ville une liberté de mœurs à peu près unique en Europe. L’émancipation des femmes pas seulement sur le plan des droits civiques et politique, la liberté sexuelle avec des communautés homosexuelles des deux sexes mais aussi du travestissement, l’usage des drogues dures tout à fait répandu dans les milieux artistiques, la mise en spectacle de nombreuses perversions sexuelles.


Un important chapitre détaille, au-delà des cabarets dont l’existence a perduré après la Seconde Guerre mondiale, l’évolution des différentes expressions de la vie artistique dans Berlin sectorisée puis divisée et ensuite dans la capitale de l’Allemagne unifiée. Cela va même jusqu’à nos jours car y existent toujours un certain nombre d’établissements, sous la forme classique de revue ou bien avec une vocation satirique dont l’auteur, très impliqué dans la vie culturelle berlinoise, dresse une liste tout à fait à jour.


Sur le plan éditorial, ce copieux ouvrage de lecture facile est rédigé dans un style qui, évitant le ton érudit, parle directement au lecteur et est enrichi d’une imposante iconographie d’excellente qualité et d’un précieux lexique. On s’étonne cependant, s’agissant d’un éditeur aussi réputé, que l’on ait laissé passer autant de coquilles, de grossières fautes de conjugaison et de mauvais usages de prépositions. Cela ne nuit guère à sa clarté ni à l’enrichissement artistique et historique d’un ouvrage qui s’inscrit dans une collection placée sous l’égide de la Fondation Editraum, dirigée par Frantz Wouilloz-Boutrois, qui communique sur l’actualité de ce sujet.


Mentionnons enfin comme complément à cette lecture le magnifique album allemand de photographies Cabaret Berlin. Revue, Kabarett and Film Music Between the Wars publié en 2003 chez Edel Classics dans la collection «Earbooks». Très peu de texte (bilingue allemand-anglais), l’essentiel de l’historique, mais 120 pages d’illustrations de qualité exceptionnelle de ces Années folles (Golden Twenties ou Roaring Twenties) à Berlin. Portraits mais aussi photos de scène, décors, devantures de théâtres, affiches et scènes de la rue berlinoise font revivre ces années légendaires. Quatre cds d’une qualité sonore étonnante inclus dans la couverture offrent des chansons de cinq compositeurs : Rudolf Nelson, Ralph Benatzky, Micha Spoliansky et Friedrich Holländer. Les interprètes en sont Marlene Dietrich, Curt Bois, les Comedian Harmonists, Eva Busch, Margo Lion, Claire Waldorff parmi tant d’autres qui se sont illustrés pendant cette courte mais fructueuse époque de la République de Weimar.


Olivier Brunel

 

 

 

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